Vienne, temple de la culture touché par un troisième confinement depuis le 26 décembre, n’annule pas son traditionnel concert du Nouvel an attendu le 1er janvier, mais il se déroulera sans public. Quant à la saison des bals, la pandémie lui a été fatale.

Une première depuis 1939

Les institutions viennoises furent parmi les premières d’Europe à rouvrir début juin. L’Autriche voulait préserver sa richesse musicale qui fait sa renommée mais depuis novembre, la capitale de 1,8 million d’habitants s’est confinée puis reconfinée, et le silence règne. Un concert, un seul mais sans doute le plus symbolique des 15.000 programmés annuellement avant la pandémie, se tiendra malgré tout en cette singulière période de fêtes. « Une annulation enverrait un terrible signal au monde entier », confiait à l’AFP fin octobre Daniel Froschauer, directeur de l’Orchestre Philharmonique, au moment où la forte hausse du nombre de contaminations faisait craindre le pire.

Pour ce premier violoniste, il était « tout simplement inconcevable » de se priver de ce prestigieux rendez-vous. Le concert du Nouvel an, dédié à la dynastie Strauss, est diffusé dans plus de 90 pays, pour une audience de 50 millions de téléspectateurs. Et ceux qui ont le privilège d’y assister, dans l’antre dorée du Musikverein, sont tirés au sort en début d’année. Ce 1er janvier, les musiciens se produiront devant une salle vide pour la première fois depuis la création de l’événement en 1939, sous la direction de l’Italien Riccardo Muti. Pour combler le silence, surtout après une tempétueuse polka, la chaîne publique ORF retransmettra les applaudissements en direct des mélomanes: 7.000 personnes pourront ainsi partager leur enthousiasme depuis leur salon.

L’énergique Daniel Froschauer se démène depuis le printemps pour plaider la cause de la musique et des artistes, n’hésitant pas à contacter directement le chancelier Sebastien Kurz. Le Wiener Philharmoniker est à l’Autriche ce qu’est « le soccer pour l’Angleterre », aime-t-il dire. Au cours des quelques mois de sursis, « nous n’avons jamais eu de foyer d’infection », assure M. Froschauer. « Nous étions testés régulièrement et le public se montrait très discipliné », portant le masque et gardant la distance.

450 bals annulés

Difficile en revanche de trouver des parades pour les danseurs des 450 bals qui égayent d’ordinaire l’hiver autrichien, de novembre à février: ramoneurs, cafetiers, haltérophiles, tous ont leur soirée, passionnés de fleurs, scientifiques ou mordus de bonbons aussi. Une tradition qui remonte au XVIIIe siècle quand les bals de cour des Habsbourg ont cessé d’être réservés à la seule aristocratie.

Thomas Schäfer-Elmayer, à la tête d’une des écoles les plus connues de Vienne, fondée par son grand-père il y a 100 ans, ne cache pas sa « tristesse » en montrant la salle désertée aux murs ornés de photos en noir et blanc et au parquet luisant, où tournoient en temps normal une centaine d’élèves. A 74 ans, ce très courtois expert en « étiquette » a officié comme maître de cérémonie des bals les plus chics. « Nous sommes totalement impuissants », dit-il, évoquant un « désastre, un gâchis incroyable ».

Sans compter les milliers de travailleurs qui vivent des bals viennois, dans les hôtels, salons de coiffures, la confection de smokings et de robes, les fleuristes, la location de salles… « je me demande combien vont pouvoir survivre », souffle le grisonnant professeur. En 2019/20, la saison avait attiré un demi-million de visiteurs, dont 55.000 spécialement venus de l’étranger, pour des dépenses moyennes de 290 euros par personne.C’est donc un total de 150 millions qui sont partis en fumée cette année, regrette Norbert Kettner, directeur de l’Office du tourisme de Vienne. Au-delà de cette manne financière, les bals « incarnent un mode de célébration viennois », mêlant la nostalgie de l’âge d’or de la capitale autrichienne et « une ambiance très festive ».

Après une chute du nombre de nuitées de plus de 70% sur un an entre janvier et novembre 2020, M. Kettner voit dans le concert du Philharmoniker « un message » positif pour tirer un trait sur une annus horribilis pour la culture, moteur économique de Vienne. Déjà il appelle les touristes à revenir tout en étant « réaliste ». « On peut espérer une normalisation aux alentours de l’été 2021, mais on a conscience que rien n’est garanti ».

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