L’année 2020 touche bientôt à sa fin et pour beaucoup elle a été particulièrement difficile et éprouvante. En cause, évidemment, l’épidémie de coronavirus et ses dommages collatéraux : confinements, couvre-feux, mesures de distanciation sociale, inquiétudes pour ses proches, décès dans l’entourage etc.
Pour Serge Hefez, responsable du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière (Paris), « 20% de la population française commence à basculer dans la psychiatrie ». Invité d’Europe 1 vendredi12 décembre, le spécialiste tente d’alerter les autorités sur les conséquences de la crise épidémique sur notre santé mentale.
Des symptômes amplifiés
Pour le spécialiste, bon nombre de Français se retrouvent aujourd’hui dans une situation de détresse. En effet, Santé Publique France a signalé une augmentation de 20% des troubles anxieux, de 20% des idées suicidaires.
Des symptômes qui ne sont pas nouveaux mais « sont aujourd’hui en train de déraper de plus en plus vers la psychiatrie », explique Serge Hefez.
Jérôme Salomon, directeur général de la Santé, évoquait déjà le 17 novembre dernier une hausse des troubles lors de son point d’information sur l’évolution de l’épidémie en France : « La santé mentale des Français s’est de nouveau dégradée entre fin septembre et début novembre. »
« C’est terrible, tous mes collègues disent la même chose, note Serge Hefez. On est dans cette troisième vague psychiatrique à l’heure actuelle, avec des risques suicidaires qui sont majeurs, avec des dépressions qui sont quasiment mélancoliques, des états de sidération anxieuse avec des risques de décompensation, un peu sur un mode paranoïaque. »
La crainte d’une hausse des suicides
Pour Michel Debout, sociologue et membre de l’Observatoire du suicide, également invité d’Europe 1 le 12 décembre, « il y a des groupes dans la population, comme les jeunes, les chômeurs, les petites entreprises, les artisans, les commerçants ou encore le monde de la culture, qui ont le sentiment d’être laissés pour compte, d’être abandonnés. (…) Évidemment, cela provoque des sentiments négatifs, dépressifs. Et chaque fois que les pensées suicidaires augmentent, les passages à l’acte augmentent ».
Michel Debout ne cache pas son inquiétude pour les années à venir : « Toutes les crises, et ça a été prouvé dès la grande crise de 1929, ont montré que les suicides augmentaient dans les deux années qui la suivaient. C’est bien ce que je crains : si rien n’est fait, on connaîtra une augmentation préoccupante du nombre de tentatives de suicide et du nombre de suicides en 2021 et même jusqu’en 2022. »
Un avis partagé par Serge Hefez, qui relate l’augmentation des « tentatives de suicides, notamment chez les adolescents, qui sont multipliées par rapport à l’année dernière ».
« Il faut agir vite »
Dans un communiqué publié le 3 décembre, les psychiatres Rachel Bocher, Serge Hefez, Marion Leboyer et Marie-Rose Moro, accompagnés de la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury, alertent les autorités sur le fait que « la troisième vague psychiatrique est là ».
« Il faut agir et il faut agir vite », a plaidé Serge Hefez, car les liens familiaux et amicaux, ou encore le sport, ne suffisent dorénavant plus à atténuer les maux que ressentent certains Français. « Il faut vraiment des soins pour ces personnes-là, des diagnostics, et pouvoir conduire des traitements appropriés », alerte le psychiatre.
Les cinq professionnels de la santé mentale suggèrent également de mettre en place une « campagne d’information pour contribuer à (…) la déstigmatisation » des problèmes psychiatriques, car « aujourd’hui en France, ça reste difficile de dire (…) qu’on est déprimé, qu’on est anxieux ».
Ils demandent aussi que « l’effort de déploiement de plateformes” d’information et d’aide « soit renforcé avec la mise à disposition d’outils d’autodiagnostic, d’auto-aide et de moyens de faciliter l’accès aux professionnels de santé mentale », soulignant que les parcours de soins sont aujourd’hui « peu lisibles ».
Enfin, ils jugent nécessaires des « moyens supplémentaires, pour ouvrir le temps de la pandémie des consultations dédiées (…) qui pourraient s’appeler Covid Psy » dans les établissements hospitaliers.
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