INTERVIEW – Quand elle était plus jeune, on ne l’appelait pas Julie mais « La fille qui a des taches ». Au fil des ans, la jeune femme, dont le corps est recouvert à 70% d’angiomes, a décidé de raconter son histoire, sa différence et de combattre le harcèlement scolaire et digital en créant un compte Instagram. Elle fait de sa différence, un bel exemple de body positive.
Julie a une particularité physique : elle est née avec des angiomes sur 70% du corps. Cette anomalie vasculaire fait apparaître des taches rouges sur la majeure partie de sanpeau. Plus jeune, sa différence lui a valu le surnom de « la fille qui a des taches ». À l’adolescence, les mots de ses camarades de classe deviennent plus durs et elle pense même à faire enlever ses angiomes. Pendant presque deux ans, elle enchaîne les séances de laser, mais sans résultats. Elle décide donc de garder ses taches et quitte sa Provence natale pour travailler pendant 10 ans à l’étranger. Alors qu’elle avait oublié sa « différence », à son retour à Paris, Julie retrouve les remarques désobligeantes et les regards insistants.
En 2020, à 38 ans, Julie est fière de sa particularité et du chemin qu’elle a mené pour l’accepter. En 2018, pour parler de son parcours et croiser d’autres adultes qui ont des angiomes, elle lance son compte Instagram. Si elle rencontre des personnes qui la soutiennent et l’encouragent, elle subit également une vague de cyber harcèlement. Mais Julie ne se laisse pas abattre et continue à publier des photos de son corps et de ses taches. Son compte Instagram rassemble actuellement plus de 38 000 personnes qui la suivent pour sa bonne humeur, sa joie de vivre et son humour. Comme de nombreuses autres influenceuses, Julie travaille aujourd’hui à faire changer les mentalités grâce aux réseaux sociaux.
« Je ne pensais pas avoir ma place sur les réseaux sociaux »
Gala : Qu’est-ce qui vous a poussé à créer un compte Instagram en juillet 2018 ?
La fille qui a des taches : Un été, j’étais au bord d’une piscine avec des amis, à Montpellier. Très vite, la discussion a tourné autour de mes angiomes et un de mes amis m’a demandé pourquoi je ne créerais pas un compte Instagram pour raconter mon quotidien. Pas convaincue, j’ai répondu : « mais qui ça va intéresser ? » Je ne pensais pas avoir ma place sur les réseaux sociaux… Après réflexion je me suis dit que ça me permettrait de rencontrer (et d’échanger avec) d’autres personnes atteintes du même mal que moi.
Gala : Vous n’aviez jamais rencontré quelqu’un qui a des angiomes comme vous ?
La fille qui a des taches : Non, je n’ai jamais rencontré quelqu’un avec autant de tâches que moi. La seule personne adulte identifiée avec un angiome visible (il en a un sur le nez, ndlr) est Jean-Luc Reichman, le présentateur télé, mais je ne le connais pas. Je me suis donc lancée. Et pendant un an et demi, j’étais quasiment dans l’ombre car je n’avais pas plus de 200 abonnés constitués de ma famille, mes amis, et quelques égarés arrivés sur mon compte grâce au hastag #angiome.
Gala : Aujourd’hui vous avez 39 000 abonnés, comment votre compte a-t-il décollé ?
La fille qui a des taches : Je suis passée de 200 à 1500 abonnés quand deux influençeuses qui dénoncent les diktats imposés par la mode en mettant en avant » des femmes à la beauté différentes » ont créé le compte Instagram @onveutduvrai et reposté une photo de moi. Sauf que le revers de la médaille est très vite arrivé : suite à cette mise en lumière, j’ai subi un cyber harcèlement intense pendant trois semaines.
Victime de cyber harcèlement, elle a posté une photo d’elle nue qui a « fait le buzz »
Gala : Quel genre de cyber harcèlement ?
La fille qui a des taches : Je recevais des centaines d’insultes chaque jour, ça allait de « T’es grosse, tu devrais te suicider » à « Ta mère aurait dû avorté », en passant par « Tu me donnes envie de vomir avec tes taches »… J’avais suffisamment supporté de brimades pendant mon enfance, il était hors de question que je subisse cette violence à nouveau sur les réseaux sociaux. J’ai donc fait une story qui annonçait que je jetais l’éponge, c’était trop dur. Au bout d’une semaine, ma story avait été relayée je ne sais combien de fois et mon compte a explosé (3000 abonnés). Et j’ai reçu des centaines de messages d’encouragements. J’ai alors décidé de revenir, et de tout faire pour transformer tout ce négatif en positif. J’ai alors posté une photo de moi nue, avec les insultes que j’ai reçu inscrites sur mon corps. Et sans le vouloir, ça a fait le buzz.
https://www.instagram.com/p/B2KEujAiMjs/
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« Mon combat aujourd’hui : aider mon prochain »
Gala : Que faisiez-vous dans la vie à cette époque ?
La fille qui a des taches : J’étais directrice d’une agence de garde d’enfants et j’adorais mon job. Aujourd’hui je suis auto entrepreneur. Mon parcours professionnel m’a beaucoup aidée : après mes études, j’ai eu la chance de partir travailler à l’étranger en tant que Géo en mini club pour le Club Med, puis pour Nouvelles Frontières. Ces dix années passées hors de mon contexte ont été très bénéfiques car à aucun moment, je ne me suis sentie différente. Je suis allée en Grèce, en Crète, en Sicile, aux Canaries, au Maghreb, à Maurice, à la Réunion, aux Antilles et République Dominicaine. Dans tous ces pays, c’était comme si mes tâches étaient invisibles. Je vais vous raconter une anecdote : j’avais un amoureux en République Dominicaine qui ne m’a jamais interrogé sur mes angiomes. Quand je lui ai demandé pourquoi, il m’a naturellement répondu : « Je suis noir, tu es rose, et alors ? ». Ces voyages et cette rencontre ont contribué à me renforcer encore plus, à m’assumer, à m’exposer sans aucun problème et à transmettre ma force aux personnes avec une particularité. Car tel est mon combat aujourd’hui : aider mon prochain.
Son conseil aux jeunes mal dans leur peau : écrire « tu es beau/belle » sur leurs miroirs
Gala : Justement, quels conseils donnez-vous à des jeunes mal dans leur peau ?
La fille qui a des taches : Je leur conseille d’écrire sur chacun des miroirs de leur maison : ‘ » tu es beau/belle « pour s’en souvenir les jours où on l’oublie. De se laisser photographier, de se regarder en photo, ça aide à prendre confiance. Je conseille aussi aux jeunes de rester prudents sur les réseaux sociaux, et surtout, je leur dis que la vraie vie n’est pas celle des stars de la téléréalité qui font rêver dans les chaumières. Bien s’entourer est indispensable, et comprendre que la beauté est subjective aussi. On est tous beau pour quelqu’un quelque part…
Gala : Quel est votre pire souvenir d’enfance ?
La fille qui a des taches : Il date du CP : dans ma classe il y avait un garçon atteint de leucémie et la maitresse nous asseyait toujours l’un à côté de l’autre. Pour elle, les deux « différents » de la classe se devaient d’être ensemble. Comme j’avais trouvé cela anormal, j’en ai parlé à mes parents qui ont aussitôt pris rendez-vous avec elle. De plus, comme mes parents avaient la bougeotte, on déménageait sans arrêt. J’étais donc toujours la nouvelle, dans la cour de récréation, « peau rouge » est l’insulte qui revenait le plus, et « la fille qui a des tâches », d’où mon nom sur Instagram. Au collège, c’était encore plus difficile, car c’est la période où on a les hormones en folie… comme les garçons sont bêtes à cet âge-là, il était hors de question de sortir avec la fille qui… J’avais donc très peu d’amis et pas de petit ami.
Gala : Comment le viviez-vous ?
La fille qui a des taches : On se moquait de moi en permanence, j’étais harcelée au quotidien. J’étais tellement malheureuse que j’ai redoublé ma troisième. Mes parents m’ont envoyée en pension, et je me suis retrouvée entourée de filles de caractère qui m’ont aidé à m’accepter telle que j’étais. Ça m’a renforcée et je suis passée de la fille brimée à la meneuse de bande rigolote qu’il fallait à tout prix fréquenter. Dès lors, plus aucune remarque ne me blessait car l’humour et l’autodérision étaient devenus mes armes.
https://www.instagram.com/p/B50oWL1KRug/
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« Ma mère m’a transmis sa force, en veillant à ce que je ne me victimise pas »
Gala : Vous racontez que votre mère vous a elle aussi transmis sa force…
La fille qui a des taches : Elle m’a transmis sa force avec pudeur et en douceur, en veillant à ce que je ne me victimise pas. Elle ne m’a jamais fait sentir que j’étais différente, m’a toujours soutenu et continue encore aujourd’hui. Dans ma famille, l’angiome n’était pas un sujet. Je me souviens, petite, quand elle m’emmenait à l’hôpital faire mes séances de laser (je les ai poussés car je pensais pouvoir me débarrasser de mes taches), elle transformait ces rendez-vous en terrain de jeu, elle me racontait des blagues. Ces séances étaient très douloureuses mais n’ont servi à rien. Pourtant ça a duré 2 ans ! Aujourd’hui, ces tâches font partie de moi, j’ai appris à vivre avec…
Gala : Aujourd’hui, vous êtes auto-entrepreneur. Comment vit-on d’un compte Instagram ?
La fille qui a des taches : Je suis rémunérée pour du placement de produits, pour des prises de vues pour différentes marques qui correspondent à mes valeurs, et j’ai des contrats d’ambassadrice avec des marques de cosmétique tel que Dove, Uriage…
Gala : Doit-on utiliser des marques particulières lorsque l’on a des angiomes ?
La fille qui a des taches : J’ai la peau beaucoup plus sèche qu’une personne sans angiome, et je dois éviter de m’exposer au soleil, je dois donc utiliser des crèmes très hydratantes et porter de l’écran total à vie.
Sa victoire, dit-elle, est celle de « toutes les personnes qui ont une particularité »
Gala : Vous êtes associée au projet Sisterhood d’Elsa Wolinski, pouvez-vous nous en parler ?
La fille qui a des taches : Elsa est une belle personne et une belle rencontre. Un jour, elle m’a reconnue au parc des Buttes Chaumont et m’a envoyé un message me disant qu’elle me trouvait belle. À l’époque, j’avais peu d’abonnés, j’ai trouvé ça fou. On a vite sympathisé, et plus tard elle m’a proposé d’être sur la photo de groupe réalisée pour lancer sa marque engagée Sisterhood (elle reverse un pourcentage des bénéfices des ventes à des associations de femmes battues telle que Putain de guerrières, ndlr). Cette marque correspond à mes valeurs de solidarité féminine… Et puis, nous avons un projet en commun, une collab, mais chut, c’est secret… Encore une belle aventure qui s’annonce !
Gala : Une belle victoire pour vous, deux ans seulement après avoir créé votre compte Instagram !
La fille qui a des taches : Oui, une belle victoire aussi pour toutes les personnes qui ont une particularité. Et je vais vous faire une confidence, en plus de mes taches, je suis aussi consciente de ne pas correspondre aux canons de la beauté féminine. Cette visibilité m’a aussi permis d’assumer mes formes et de prendre ma revanche. Dernièrement une marque de jeans connue dont je tairais le nom m’a proposé de m’envoyer des pantalons, alors qu’il y a cinq ans, une vendeuse en boutique m’avait lancé qu’elle n’avait pas ma taille car j’étais trop grosse. Alors le succès de mon compte Instagram est doublement une belle revanche sur la vie.
https://www.instagram.com/p/CHRU67jFPxt/
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Crédits photos : Juliette Diott
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