On avait laissé Lou en 2018 de retour d’un road trip qui clôturait une première saison de huit épisodes démarrée en 2004. Ce mercredi, l’héroïne à succès revient dans Lou ! Sonata¹ (Glénat)*, premier mouvement d’une nouvelle saison où on la retrouve devenue jeune adulte le temps de sa première année d’études loin de sa famille. Entre l’excitation du premier appart’, de gros moments de solitude et de nostalgie, des amis de passage et de nouvelles rencontres pas toujours réussies, Lou traverse cette nouvelle étape au rythme de la réalisation d’un mystérieux mémoire de fin d’études. Un processus créatif en forme d’(en) quête existentielle tout en ellipses, humour et métaphores. Dans cet album encore plus cérébral et énigmatique que les précédents, son créateur Julien Neel continue de surfer entre tendresse et mystère et dynamite les codes de sa série en livrant un roman graphique de 144 pages doublé d’une bande originale en forme album musical. Il a expliqué (sans spoiler) à 20 Minutes les coulisses de cette création passionnante.
Pourquoi ce titre très musical pour cette nouvelle saison ?
Je voulais une forme de motif qui marque un peu la différence. Ma référence c’était Dragon Ball Super et Naruto Shippuden : je trouvais que c’était bien pour une deuxième saison d’avoir un nom un peu international qui claque comme ça. Sonata exprime aussi que la musique prend de plus en plus d’importance dans la vie de Lou et dans la mienne et ma volonté d’accompagner cette bande dessinée d’une véritable bande-son [accessible via l’appli Beam Beam ou
YouTube et sur toutes les plateformes de streaming]
Est-ce la première fois que vous accompagnez votre travail dessiné de musique ?
En fait, depuis des années, je fais de la musique en amateur et à chaque fois que j’écris je compose de la musique qui reste dans mon ordinateur pour mon plaisir. Mais après avoir fait du cinéma où j’avais travaillé avec le compositeur Julien Bicaro et connu le plaisir de travailler avec d’autres gens, il y avait une forme de frustration de la bande dessinée qui est un métier extrêmement solitaire. Au moment de l’écriture de l’album, on a donc eu l’idée de monter une association pour travailler avec des musiciens [le groupe Krystal Zealot] et des graphistes de ma région pour qu’on s’amuse autour de la narration. On a donc utilisé les thèmes et la structure de mon album dessiné pour composer un album de musique, une transposition de l’univers de Lou sur un autre support.
Faut-il l’écouter en lisant la BD ?
Non pas forcément, ce qui m’intéresse c’est que les gens l’écoutent après avoir lu la bande dessinée : c’est comme un jeu de piste pour retrouver les différents moments de cette année de Lou et les différentes ambiances. Et puis il y a aussi des surprises (un morceau avec le professeur qui pète les plombs, un répondeur téléphonique, de la chanson réaliste française, de la techno…) Pour moi ça correspond bien aux différentes couleurs qu’il y a dans l’album. J’aime beaucoup le hip-hop et la musique électronique et je travaille depuis des années avec des séquenceurs, des boîtes à rythmes, des machines et des synthétiseurs. Ce projet a été l’occasion de travailler avec de vrais musiciens de jazz et d’autres univers et de faire un melting-pot de tout ça. J’aime écouter plein de musiques différentes et cette culture du copier-coller correspondait bien à ce que je raconte dans l’album aussi.
Dans cet album, Lou part étudier dans une nouvelle une ville, malgré les réseaux sociaux, les visites de ses amis et de nouvelles rencontres, c’est finalement la solitude qui domine beaucoup ?
Pour parler de cette époque où on part du foyer familial et ou va se construire dans une nouvelle ville j’ai transposé ce qu’à vécu ma fille quand elle est partie dans une ville qui s’appelle Lyon avec un Y (et qui correspond à Tygre dans l’histoire). Mais en même temps, je ne sais rien de ce qu’a vécu ma fille pendant ces deux ans où elle est partie ! Donc j’ai comblé ce vide en racontant ce que moi j’avais vécu en arrivant dans cette nouvelle ville qui est toujours la mienne Aix-en-Provence. Et effectivement quand on arrive dans un nouveau lieu comme ça il y a un rapport à la solitude qui est intéressant. C’est la première fois qu’on se retrouve vraiment seul : est-ce qu’on aime ça ? Qu’est-ce qu’on va en faire de cette solitude ? Comment on la comble ? Ce sont des questions que pose l’album.
Pendant toute cette première année universitaire, on ne sait pas exactement ce que Lou étudie et elle non plus d’ailleurs ! Pourquoi ce flou ?
Effectivement, je ne sais absolument pas ce qu’elle fait comme études et tout le monde peut se projeter à l’intérieur de ça. Le seul cours qu’on la voie prendre est un cours de culture générale donc ça me permettait de parler de manière générale de l’éducation sans enfermer Lou dans une voie. A aucun moment je montre le résultat de son travail ou de quoi parle son mémoire. Mais je procède assez souvent comme ça : dans Lou ! quand vous regardez bien, il y a beaucoup de choses qui n’existent que dans l’imagination et dans la projection des lecteurs par rapport au personnage. Ce qui m’intéresse ce n’est pas tellement d’apporter des réponses parce que je n’en ai pas mais de poser des questions, de mettre des balises entre lesquelles les gens vont mettre quelque chose de personnel et s’ouvrir à une réflexion. En réalité, tout cet album mène vers une idée, sauf que cette idée je ne la révèle pas. Normalement, si on a bien lu l’album on peut déduire quelle est cette idée à la fin mais pour moi toute la conception de cet album c’était de monter vers une suspension.
En effet tout le travail créatif sur ce fameux mémoire est construit comme un travail d’enquête pour résoudre une énigme. Pourquoi cette construction ?
C’est une façon que l’album a de se raconter de façon méta, c’est-à-dire que cette façon de procéder pour arriver à son mémoire c’est la façon dont moi je travaille pour écrire mon album : tout ce qu’on voit dans l’album, comme le fait qu’elle construise une maquette de l’endroit qui l’intéresse, c’est ce que je construis moi quand je dessine l’appartement de Lou et quand je le modélise en 3D et que je bosse sur l’espace et la scénographie. Comme elle, je me sers de post-it pour travailler même si j’ai maintenant compliqué le processus en utilisant aussi des sortes de cartes de tarot. La correspondance avec le fait que la mère finalement a les mêmes méthodes de travail qu’elle de façon inconsciente c’est aussi intéressant parce que c’est arrivé à ma fille et à moi. Et en cours d’écriture, je me laisse beaucoup le plaisir d’avoir des surprises : je construis mes albums en sachant que je vais à un point précis, je pose des jalons et ensuite je reste à l’écoute de la réalité pour nourrir la fiction et pour arriver comme Lou à un moment où il y a une pièce manquante du puzzle qui va tout lier.
Et en l’occurrence, cette pièce manquante est un sampleur : encore une métaphore ?
Oui, je trouve que le sampleur était une métaphore intéressante justement pour la création et ce que vit Lou. Ce qui m’a toujours passionné dans le hip-hop c’est cette façon de construire du neuf en utilisant des sources qui viennent d’ailleurs. Moi en tant qu’autodidacte c’est quelque chose qui m’a vraiment inspiré : je n’ai jamais appris à dessiner ou à écrire des histoires, la seule chose que j’ai faite c’est de m’intéresser au plus de disciplines possible et de trouver des choses transversales. Et finalement pour moi la somme de toutes ces petites pièces ça fait cette bande dessinée.
Cette nouvelle saison marque aussi un changement de format, en termes de pagination notamment, pourquoi ces nouveautés ?
Quand j’ai commencé à faire de la BD dans la collection Tchô, il y a une quinzaine d’années j’étais dans un format imposé de 48 pages couleurs avec des gags en une page. J’ai joué le jeu au début mais c’est un format que je ne trouve pas idéal pour le type d’histoires que je raconte. Donc j’ai fait huit albums pour la première saison là-dedans et pour moi la condition sine qua non pour cette deuxième saison était que je continue à m’amuser. Je n’en pouvais plus du carcan de ce découpage classique (d’ailleurs dans les derniers albums de Lou ! on voit que j’étouffe là-dedans). J’avais besoin de réinventer complètement mon format, donc une pagination plus importante et moins de cases par page. Avec 144 pages, ça fait beaucoup plus de scènes et beaucoup plus choses intéressantes à raconter et puis effectivement le fait d’exploser la mise en page, d’avoir des choses qui dépassent, etc. ça permettait de faire respirer la bande dessinée. J’espère comme ça qu’on a l’impression que la BD a du souffle.
Combien de mouvements cette « sonata » contiendra-t-elle ?
Aussi longtemps que je continuerai à m’amuser et à prendre du plaisir avec mes lecteurs et avec mon histoire je continuerai à faire des albums. Là je finis juste le travail sur la bande-son de ce premier volet donc je vais me laisser quelques mois de respiration. Je vais attendre le retour des gens, voir si ça leur fait plaisir de retrouver Lou, de trouver cette formule avec la bande-son pour commencer à travailler sur le suivant mais évidemment j’ai déjà des pistes et des idées !
*« Lou ! – Sonata¹ », de Julien Neel, éditions Glénat, 17,50 euros
Source: Lire L’Article Complet