Non, papa n’est pas toujours l’homme merveilleux que l’on avait rêvé. Il peut même être un pauvre type, un menteur, un escroc… Récit de celles qui ont, un jour, brutalement vu se déboulonner l’idole de leur enfance.
C’est sans doute nécessaire pour grandir, passer à l’âge adulte. Encore faut-il que les choses se fassent en douceur et au bon moment. Parfois, la vie va plus vite que nous. Avant même que l’on réalise que l’on a peut-être placé son père sur un piédestal, que l’on en a fait un modèle, l’idole s’effondre d’elle-même. Et l’on découvre alors que papa n’est pas seulement un homme platement comme les autres, mais qu’il est moins que ça. Un mari infidèle, un escroc, un salaud… Le lien se brise, le monde s’écroule.
Certaines mettent des années à s’en remettre, et ne renouent jamais. D’autres font la paix – plus ou moins vite – et reconnaissent, quelques années plus tard, que cet électrochoc les a aidées à se construire. Toutes, en tout cas, racontent la violence de la révélation. Surtout à notre époque où la relation père fille est plus que jamais étroite, intime. Fini, en effet, le temps où les filles étaient ignorées, tenues à l’écart par des pères qui ne s’intéressaient qu’à leur progéniture mâle.
Les relations père–fille ont changé. Merci aux féministes qui se sont battues pour que les femmes soient enfin reconnues comme les égales des hommes. Une révolution qui permet aux pères de faire de leurs filles de vraies héritières avec qui ils peuvent échanger, partager des valeurs et une vision du monde. Aussi bien qu’avec leurs fils. Résultat : jamais les filles ne se sont senties aussi proches de leur père. Jamais non plus il n’a été aussi douloureux pour elles d’accepter de le voir faillir, manquer à son image…
Malgré toutes les révolutions, la sortie du désir oedipien demeure plus lente et plus compliquée pour elles que pour les garçons. Or la manière dont le père rêvé, adulé, idéalisé, tombe – ou pas – de son piédestal est décisive pour la vie amoureuse de la femme future. Aujourd’hui plus que jamais, un père qui soudain brise son image de héros, brutalement, précocement entraîne un vrai cataclysme.
Mais quand le lien résiste à la tempête, il n’en est que plus fort. Et devient alors une vraie relation, entre adultes avertis.
Mon père était un voyou
Anna, 28 ans, avocate : « Dans la petite ville où je suis née, mon père, maire et industriel, me paraissait extraordinaire. A la sortie de l’école, tout le monde le saluait avec déférence. Et puis, alors que j’avais 14 ans, brusquement, ce père si puissant a disparu. Ma mère, mon frère et moi avons déménagé dans la maison de ma tante, à Paris. Il y a eu d’étranges conciliabules entre les membres de la famille et des inconnus. Finalement, ma mère a fini par nous avouer que notre père était en prison. Là, le ciel m’est tombé sur la tête. C’était impossible. J’ai même pensé qu’il était mort et que ma mère n’osait pas nous le dire. Quand elle tentait de m’expliquer les raisons de son emprisonnement, je claquais la porte. Mon père ne pouvait rien faire de mal…
Alors quel choc lorsqu’au parloir j’ai vu cet homme, si pâle et si minable! Ce ne pouvait pas être mon père. Il m’a parlé d’histoires de fausses factures, mais je n’ai pas écouté. Il a dit qu’il m’aimait très fort et je me suis bouché les oreilles. A mes copines, j’ai annoncé que mon père était mort et je me suis inventée un autre patronyme.
Cette rage contre lui a duré deux ans. Quand il a été libéré, j’avais 16 ans et j’ai fait fugue sur fugue. Lui a piqué une colère terrible: il était mon père et je lui devais le respect, en dépit des problèmes qu’il avait eus. Résultat : soit je faisais la paix avec lui, soit je prenais la porte. Alors je suis partie vivre chez les parents de ma meilleure amie. Un an plus tard, le père d’une copine, avocat, m’a aidée à faire marche arrière. J’ai fini par comprendre, grâce à une éducatrice-psy, que je refusais de voir la réalité, que j’avais peur de grandir et que ma violence à l’égard de mon père était une forme d’amour désespéré.
Depuis quelque temps, je ressens une espèce de culpabilité à l’égard de ce père que je n’ai pas su aimer quand il en avait le plus besoin. J’essaie de me rapprocher de lui, mais ce n’est pas encore gagné. En revanche, je suis persuadée que le choix de la profession d’avocate a en grande partie été déterminé par l’envie de mieux comprendre ce qui lui est arrivé, mais sans passer par lui. »
Mon père était volage
Emilie, 22 ans, étudiante aux Beaux-Arts : « Enfant, j’ai souvent rêvé qu’un aigle immense m’emmenait au bout du monde. Or mon père, qui est architecte, travaille souvent au Brésil et en Australie. J’ai adoré ce père, peu loquace et mystérieux, qui revenait de ses voyages avec d’énormes cadeaux. Nous avions une relation père fille très forte. Et j’ai eu souvent envie de m’enfuir avec lui pour une vie extraordinaire…
J’avais 14 ans, quand j’ai entendu mes parents parler de divorce, d’une femme de 25 ans et d’un départ définitif pour l’Australie. Mon aventurier venait de fracasser mon univers. Il ne restait plus qu’un salaud, un menteur, qui avait fait semblant de nous aimer ma mère et moi. Quand je me suis retrouvée seule avec lui, je lui ai posé des questions et il ne s’est pas dérobé. Il m’a raconté ses aventures multiples et sa nouvelle liaison.
J’éprouvais de la haine, de la colère, du désespoir, mais aussi une émotion trouble envers cet homme qui me révélait sa vie en m’avouant ses faiblesses, ses désarrois. L’aigle magnifique de mon enfance s’est envolé, et j’ai découvert un homme fragile avec un grand besoin de séduire et d’être aimé. Mon père et moi découvrions une autre manière de nous aimer. Ce drame familial m’a obligée à grandir d’un seul coup. Je devenais celle qui peut le comprendre et l’accepter tel qu’il est.
Finalement, après des mois d’orage, mes parents se sont réconciliés. Et moi, je regarde aujourd’hui mon père avec une infinie tendresse. Comme s’il m’avait appris à aimer pour de vrai. »
Mon père était maniaco-dépressif
Laetitia, 24 ans, vendeuse : « Dans mon école, certaines de mes copines avaient un père plein aux as. Mais moi, avec mon papa simple chauffeur de taxi, j’avais néanmoins l’impression d’avoir tiré le gros lot! Il était le plus sympa, le plus drôle, le plus adorable de tous. Il a longtemps été mon modèle de bonne humeur et de joie de vivre.
Seulement voilà, durant nos vacances, alors que j’avais 11 ans, mon père a fait une crise de délire très grave. On l’a retrouvé presque nu, sur le toit de notre hôtel à Madrid, prêt à s’envoler. Et dans ma vie comme dans celle de ma famille, plus rien n’a jamais été comme avant.
Avant de se stabiliser, mon père, diagnostiqué maniaco-dépressif, a traversé bien d’autres crises, suivies de longues périodes d’abattement. A ses côtés, ma mère et mes frères passaient de la compassion à l’énervement. Moi, je me suis murée dans une résignation désespérée. Mon père n’existait plus. Je devais apprendre à vivre avec un fou.
Depuis longtemps, je crois, mes parents me préparaient à accepter cette réalité, sans me brusquer. Il aurait suffi que je les questionne pour que tout s’éclaire
D’ailleurs, sa vitalité, sa bonne humeur annonçait dorénavant l’arrivée d’une autre crise. Si bien que je ne savais même plus qui j’avais aimé: un père ou les manifestations d’une maladie mentale? Durant toutes ces années, vis-à-vis de mon père, j’ai vécu dans la honte, la colère, la peur et la culpabilité. Et j’ai enfoui l’amour que j’avais pour lui. Sans l’intervention d’un psy, je crois que je ne serais jamais arrivée à démêler tout cela. Il m’a fallu beaucoup de temps pour accepter ce père et sa maladie si bizarre. C’est seulement quand j’ai emménagé avec mon copain que tout s’est clarifié: d’un seul coup, mon père m’a énormément manqué.
Il y a bientôt deux ans, lui et moi avons recommencé à nous parler, à nous faire des câlins. Petit à petit, j’ai presque retrouvé mon père d’autrefois. Plus encore, j’ai découvert que j’aimais prendre soin et protéger celui qu’il est devenu aujourd’hui ».
Mon père aime les hommes
Noémie, 25 ans, comédienne : « L’an dernier, j’ai participé à la Gay Pride avec mon père et son copain ! Une grande première, car j’avais mis des années à accepter l’idée que mon père était… homosexuel. En fait, mes parents ont divorcé, par consentement mutuel, en 2000. Mais pendant trois ans, j’ai voulu ignorer avec qui il vivait. Comme j’avais toujours fait semblant de ne rien comprendre.
Mes parents faisaient chambre à part depuis des années, au point que je trouvais ça normal. “Il ronfle trop”, prétendait ma mère. Mon père ne partait plus en vacances avec nous. L’été, comme il est auteur et comédien, il rejoignait ses copains pour bosser: festivals, répétitions… Depuis longtemps, je crois, mes parents me préparaient à accepter cette réalité, sans me brusquer. Il aurait suffi que je les questionne pour que tout s’éclaire. Mais je n’étais pas prête. J’avais souvent vu des hommes en couple à la maison, et parfois, pour un regard, un sourire un peu appuyé, une conversation qui s’arrêtait brusquement, je me demandais si mon père…
Mais jamais je n’avais voulu l’admettre. Quand j’ai eu 19 ans, mes parents m’ont annoncé leur divorce. Mon père allait “changer de vie”, m’ont-ils dit pour me tendre une perche. J’ai continué à faire l’autruche. Après leur séparation, je voyais régulièrement mon père, mais sans jamais aborder le sujet. Sa sexualité me dégoûtait. Au fond de moi, j’espérais qu’après une parenthèse homo, il redeviendrait un homme “normal”, divorcé mais hétéro. Jusqu’au jour où, à propos de son nouvel appartement, il m’a surtout parlé de son ami Franky, qui l’avait si bien aménagé. Il a même insisté en mentionnant ma chambre et le bureau de Franky, maquettiste indépendant. Et moi, je continuais à ne rien vouloir entendre.
C’est ma mère qui a fini par me forcer à admettre la vérité. Elle m’a raconté combien mon père en avait bavé pour accepter sa sexualité. A quel point il s’était senti coupable vis-à-vis de nous deux. Et que je devais, moi aussi, arriver à accepter la vérité. Parce que quand on aime quelqu’un, on ne peut pas ne l’aimer que par le bout qui nous plaît. Soudain, je me suis sentie très fière de mes parents, qui avaient su tordre le cou à un sacré tabou.
Un peu plus tard, comme je venais de toucher mon premier cachet, j’ai invité mon père et Franky au restaurant. Mon père, habituellement réservé et sombre, semblait heureux, et puis Franky s’est révélé drôle et sympa. De temps en temps, je passe prendre le thé chez eux, mais je ne reste jamais dormir. Fini les faux-semblants: mon père est gay. Mais il m’aime comme je suis. Et moi, je me sens mieux depuis que je l’accepte tel qu’il est.
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