« Quand j’ai appris que, pour la deuxième fois en huit mois, nous, les restaurants, allions devoir fermer nos portes le jeudi suivant, j’ai réuni le personnel en prenant sur moi pour ne pas éclater en sanglots. Je me suis dit : « Ne craque pas, cache ton angoisse, l’équipe se repose sur nous, ils n’ont pas besoin de ça…  » Pour eux, le retour au chômage partiel signifie toucher 84% de leur salaire net seulement. Je mettrai au bout pour compenser, si je peux, mais je ne peux rien promettre.

Lors du premier confinement, notre perte de chiffre d’affaires avait été colossale, alors qu’on avait ouvert depuis six mois seulement. Mon mari, Grégory et moi rêvions depuis longtemps d’ouvrir un hôtel de charme. Le Manoir d’Apreval, c’est un coup de cœur. Pour acheter ce lieu magique et chargé d’histoire, nous avons fait de très gros investissements, soit de lourds emprunts où nous sommes caution personnelle. Mais les clients avaient tout de suite été au rendez-vous. Jusqu’au premier confinement en mars dernier…

Un énorme ras le bol

On nous avait coupé les ailes, mais depuis la réouverture en juin, on commençait à se relever. Une fois de plus, en octobre, nous avons donc dû couvrir les meubles de feuilles de plastique, comme des linceuls. En déambulant dans le restaurant, le bar désert, j’ai éprouvé un énorme ras le bol. Une envie de crier ce que j’avais sur le cœur, moi comme tant d’autres entrepreneurs, commerçants, indépendants qui se demandent tous les jours s’ils se relèveront de cette nouvelle fermeture. Je me suis dit qu’il fallait alerter les pouvoirs publics et les médias sur la situation catastrophique des jeunes entreprises comme nous, créées trop récemment pour entrer dans les cases prévues par l’aide gouvernementale.

Je me suis filmée pour lancer un cri d’alarme. Hashtag : #SauvonsLesJeunesEntreprises. Pourquoi tant d’entre nous risquent de mettre la clé sous la porte malgré toutes les aides publiques ? Je précise que je ne privilégie pas l’économie contre la santé des Français !

Trois exemples chiffrés à l’appui. Prenons le fond de solidarité proposé dès le début de la crise sanitaire : c’est très bien évidemment. Mais il s’élève à 10 000 euros maxi. Or nous, nos charges c’est 51 000 euros de frais et charges fixes chaque mois ! On les trouve où les 41 000 euros restant à payer ? Car même si le restaurant, l’hôtel et le spa sont fermés, nous avons toujours des frais de gardiennage, de ménage, une personne à l’accueil qui gère les annulations des clients qui avaient réservé, les factures en tous genres qui continuent d’arriver. Et quand les règles se sont assouplies, on a reçu les fonds, mais quatre mois après le début de la crise… 

Un appel au secours

Je ne veux pas vous assommer de chiffres, mais un dernier truc dingue (il le faut pour comprendre ma rage, et celle de tant d’autres) : en dessous de 50 salariés, on bénéficie d’une « subvention Covid-19 » – jusqu’à 5000 euros – pour financer les équipements sanitaires liés à la Covid-19 (masques visières, distributeurs de gel, vitres plexiglas… etc).

On a fait la demande dans les délais. Mais l’assurance maladie nous a répondu que le fond était tout bonnement épuisé ! Encore une aide qu’on n’a pas eue. J’en ai parlé avec un charcutier d’Honfleur qui m’a dit : « Alexandra, on est dans le même cas ! On n’a jamais rien reçu ! »

Depuis que j’ai fait cette vidéo, j’ai reçu énormément de messages de soutien d’entrepreneurs révoltés, de commerçants, d’indépendants, aux abois, comme nous. Le Secrétariat d’Etat au tourisme et des journalistes m’ont appelée. Au-delà de ma situation, c’est pour nous tous que j’appelle au secours !

Croyez-moi, on s’est battus jusqu’à cette deuxième fermeture, pour continuer à travailler en dépit des restrictions qui se sont abattues sur nous. Lors de la première vague, nous avions mis nos chambres vides à disposition du personnel soignant des environs. On a fait de belles rencontres avec des gens formidables. Quand on a réouvert le12 juin dernier, nos clients, surtout des Parisiens assoiffés d’air pur et de nature après trois mois de confinement se sont rués chez nous, pour faire du vélo, marcher dans la pommeraie. Pour respecter les règles et distances sanitaires, on leur a proposé des repas « les Pieds dans l’herbe » : toutes les tables bien espacées dans les jardins, face au coucher de soleil sur la mer. Le succès a été au delà de nos espérances. Pour répondre à la demande, on a recruté, on est passé de 17 à 30 salariés. C’était d’ailleurs étrange de passer directement du coma artificiel du printemps à cette frénésie inédite. On revivait. La belle aventure reprenait.

Une profonde injustice 

Arrive la 2e vague. Quand a été instauré le couvre feu à 21 h, qui nous forçait à faire diner nos clients à 19h, on a eu une idée : on a proposé aux clients de rester dormir sur place, en bradant le prix des chambres : « Qui dîne dort ». Puis le gouvernement nous a demandé de fermer à nouveau. Comment se motiver, garder la flamme, faire des projets, alors qu’on ne sait pas où on va, que les dettes s’alourdissent ?

Je ressens une profonde injustice, un sentiment de deux poids deux mesures : alors que nous avons appliqué rigoureusement le protocole sanitaire, nous, les restaurants, sommes sanctionnés, considérés comme un cluster potentiel parce que les clients retirent leur masque pour manger. Mais il n’y a pas de souci à laisser les Franciliens s’agglutiner aux heures de pointe dans le métro. 

Heureusement, je ne suis pas du genre à me laisser abattre. J’ai fait du sport à haut niveau. J’ai appris à garder un mental d’acier, dans les moments d’adversité. Ça aide à rester combative quand on entreprend en temps de crise. Ma famille, elle, aussi est une source d’inspiration en cas de coup dur. Je me souviens d’un moment qui m’a marquée. J’ai 12 ans et je me présente au concours régional du Conservatoire régional de danse. Mais je ne suis pas sélectionnée. Ma grand-mère qui m’écoute, lui raconter, en larmes, ma défaite me dit : « Ma chérie, c’est une réussite ! ». Je ne saisis pas : « Mais oui Alexandra, on apprend de ses échecs, pour mieux réussir par la suite ».

Et cette leçon de vie, j’y repense tout le temps.

Papa, aide moi

Je pense aussi souvent à mon père, maître de conférence à l’Université Paris-Dauphine. Brillant, généreux, et toujours réconfortant. J’ai l’impression qu’il est toujours un peu là, veillant sur moi, Quand j’avais un souci, il me disait : « Ne lâche pas. C’est dans les pires moments que tu vas puiser en toi une force que tu n’imagines pas. » Je sortais toujours de son bureau éclairée, apaisée. Je lui parle… « Papa aide moi… Tu ferais quoi à ma place ? »  

C’est grâce à mes parents que j’ai attrapé tôt le virus de la politique, et que j’ai continué à en faire, même en me lançant dans l’hôtellerie-restauration haut de gamme. J’ai appris l’art du débat en assistant aux duels animés à table entre papa, plutôt de droite, contre ma grand-mère prof d’histoire géo, et de gauche. Je ne comprenais rien, si ce n’est qu’un débat d’idées, même musclé, peut rester respectueux de l’autre.

En fac de droit, j’avais répondu à une offre de stage à l’Assemblée nationale. Je ne savais pas qu’il s’agissait de travailler pour la députée Nathalie Kosciusko-Morizet, alors peu connue. Je suis devenue son assistante parlementaire puis je l’ai suivie quand elle a été nommée secrétaire d’Etat à l’écologie. Je l’ai encore suivie à la mairie de Longjumeau. Et puis avec mon mari, nous nous sommes installés à Cabourg, que je connais depuis mon adolescence. J’y ai été directrice des services généraux de la mairie.

J’en suis partie pour divergences de vue avec le maire et son équipe, puis je me suis présentée contre lui aux dernières municipales comme candidate sans étiquette. Avec autour de moi des gens qui viennent de droite comme de gauche. Pour une petite ville, ce n’est pas nécessaire d’être encartée. On peut partager avant tout des valeurs républicaines, laïques, écologiques, féministes …. Le maire sortant avait été condamné en 2018 à trois mois de prison avec sursis pour violences conjugale (il avait frappé sa femme en pleine rue). Sur les marchés, des gens me disaient : « Ça ne me regarde pas, c’est sa vie privée »… Quant à moi, on me balançait de temps à autre : « Mais si vous êtes élue, comment allez-vous concilier votre travail de chef d’entreprise, votre rôle de mère de famille et un mandat de maire ? »

Ça me faisait sortir de mes gonds, ces questions qu’on ne pose jamais aux pères entrepreneurs qui font de la politique.

Défendre l’intérêt général

J’ai donc été battue, mais ma vidéo, c’est ma façon de continuer à faire de la politique. Je n’ai pas besoin d’avoir une écharpe tricolore pour défendre l’intérêt général. Oui, ma vie de famille a été compliquée pendant la campagne électorale. Mais Grégory me soutenait à fond… Ce qui est sacré pour nous, c’est notre dîner en famille avec nos filles, Coppélia et Capucine, 8 ans et 2 ans. Aujourd’hui, j’essaie de les préserver de mes angoisses pour l’avenir du Manoir, et notre avenir à tous.

Quels parents ne craignent pas le naufrage de l’économie, et ne s’inquiètent pas pour l’avenir de leurs enfants en ce moment ? L’année dernière, j’avais bien expliqué mon choix de me présenter aux municipales à mon aînée, qui me disait, « Vas y maman ! ».

Avec cette vidéo coup de gueule, suivie d’une deuxième pour donner des solutions, comme le guichet unique d’aide aux entrepreneurs en période de confinement, j’espère être une fois de plus, un rôle modele pour mes filles. »

*Dans sa vidéo de 2 minutes 36 minutes, Alexandra Lorin-Guinard, 36 ans, avec une émotion et une colère contenues, explique chiffres à l’appui, ce que ça signifie, concrètement, de devoir à nouveau fermer un établissement de 30 salariés. L’an dernier, elle a racheté avec son mari une bâtisse du 17e siècle près d’Honfleur, transformée en un hôtel spa haut de gamme et un restaurant gastronomique (les Jardins de Coppélia). A travers sa situation, Alexandra veut alerter pouvoirs publics et media, sur toutes ces PME et commerces, notamment dans le tourisme, et l’hôtellerie restauration, qui sont en train de couler. #SauvonsLesJeunesEntreprises. 

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