Philosophe, auteur, chroniqueuse, professeure et créatrice d’écoles Montessori, Marie Robert questionne le quotidien et notre rapport à l’image.
Madame Figaro. – La beauté en 2020, c’est quoi ?
Marie Robert . – J’enseigne à beaucoup d’ados et je vois se dégager deux grands courants qui n’existaient pas du tout lorsque j’avais leur âge. Leur corps est totalement présent. Il y a une véritable acceptation du naturel, quasiment militant. Ils disent : «Je suis comme je suis. J’assume mes boutons, mon poids, mes poils… et mon corps est un message de totale liberté.» Et cela va bien au-delà du genre. C’est le triomphe de l’individu, mais d’un point de vue positif. L’autre tendance qui me fascine tout autant, c’est le jeu et cette ironie autour des cosmétiques. Le maquillage ou la coiffure n’est pas du tout une source de camouflage, mais de comédie, de mise en scène. Le but n’est pas d’améliorer un éventuel défaut, mais de créer un personnage.
Le digital est-il facteur d’émancipation ou d’aliénation ?
Il est vrai que mes élèves font beaucoup de selfies, mais c’est presque de l’ordre de la quête métaphysique, comme si elles vérifiaient tous les jours qui elles sont et ce qu’elles deviennent. En se cherchant, elles apprennent à redessiner leurs contours en quelque sorte et à se rassurer face à ces questionnements incessants. C’est un outil de développement personnel comme un autre.
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Vouloir plaire est-il antiféministe ?
Il faut arrêter la confusion entre séduction et domination. Penser que vouloir plaire nous place comme inférieure, dominée, alors que c’est juste un rapport d’altérité. La séduction n’existe pas que dans une perspective de sexualité, d’ailleurs. C’est dire : «Regarde-moi comme je te regarde !» Les seules façons de rentrer en relation avec l’autre, c’est l’altercation ou la séduction. La seconde est préférable. Cela ne veut pas dire qu’on nie quoi que ce soit de notre identité. Au contraire, cela signifie à quel point il faut être ancrée et confiante pour oser aller vers l’autre. En réhabilitant la séduction, on réhabilite aussi le désir, qui est quand même un truc magnifique. Ce n’est pas juste contraindre l’autre à faire des choses qu’il n’a pas envie de faire. C’est dire à l’autre : je ne me suffis pas à moi-même. Heureusement, sinon on ne sortirait pas de chez soi.
La première chose qu’on voit chez quelqu’un, c’est le visage, qui est infiniment singulier. Ce qui est important, c’est cette singularité. Vouloir se présenter sous un meilleur jour ne signifie pas qu’on est faible. Au contraire, c’est une force. Prendre soin de soi, se maquiller, se parfumer, voire recourir à la chirurgie esthétique dans certains cas, ce n’est jamais que pour soi. C’est aussi dans la perspective d’être en lien avec les gens. Ça peut faire du bien un certain temps de rester chez soi en pyjama et les cheveux gras, mais ça ne nous rend ni spécialement heureuses ni épanouies.
Les normes esthétiques peuvent-elles vraiment disparaître ?
Il y a une multiplication des canons. On a accès à plus d’images, de représentations, mais les normes ont la vie dure. En tout cas pour ma génération et les plus âgées, certains critères, comme l’âge et la minceur, restent essentiels. Il y a plus de diversité dans les magazines, mais quoi qu’on en dise la minceur reste incontournable. Toutes les femmes ne parlent que de leur poids. Les cours de Pilates et de yoga, de la Grèce antique à aujourd’hui, prônent un corps mince et musclé.
Descartes, pour les jours de doute et autres philosophies à la française, Marie Robert, Éditions Flammarion/Versilio, 208 p., 16 €.
L’obsession du bien-être a-t-elle remplacé celle de la beauté ?
Derrière le jus vert, la méditation à 5 heures du matin, la douche froide, les asanas, les jours de jeûne, etc., je vois aussi l’obsession du contrôle et de la pureté, la volonté de puissance nietzschéenne. Au nom du bien-être, on construit des injonctions considérables, ultraculpabilisantes. Pour moi, ce n’est pas de l’ordre du bien-être qui fondamentalement appelle la paix du corps et de l’esprit. Comme s’il fallait encore s’inventer des épreuves. On reproduit une violence faite au corps. Ce n’est pas dit comme ça, bien entendu, mais il faut mériter quelque chose. Bien sûr que pour certaines, c’est bénéfique, mais de là à en faire un modèle de vie ! Aujourd’hui, on dit tout le temps : «Il faut sortir de sa zone de confort.» Pourquoi le confort serait négatif ? La douceur est invincible, disait la psychanalyste Anne Dufourmantelle. On en a plus que jamais besoin.
À lire : Descartes, pour les jours de doute et autres philosophies à la française, Marie Robert, Éditions Flammarion/Versilio, 208 p., 16 €.
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