Témoignages. – Avocats, architectes, financiers… Ils occupent des postes très prenants et à grandes responsabilités, qu’ils trouvent – ou pensent – incompatibles avec le congé paternité.
Le congé de paternité et d’accueil de l’enfant… Instauré en 2002 et optionnel, il séduit de plus en plus de Français. À tel point qu’aujourd’hui, sept jeunes pères sur dix le prennent. Certains regrettent qu’il ne soit pas assez long. D’autres n’en profitent tout simplement pas. Ceux dont les emplois sont les plus précaires, par exemple (seulement 48% des pères en CDD le prennent, relève un rapport de l’IGAS). Mais aussi les cadres aux salaires élevés, les CSP ++.
C’est le cas de Benjamin (1), 37 ans et directeur associé d’un fonds d’investissement hôtelier. «Dans le milieu où je travaille, et à mon niveau de hiérarchie, c’est compliqué de prendre des jours supplémentaires, autres que les cinq semaines de vacances», avoue ce père de trois enfants, âgés de 2 à 6 ans. «Si j’avais pris mon congé paternité, c’est-à-dire des congés à d’autres dates que celles de mes boss, j’aurais dû de toute manière travailler tous les jours, parce qu’eux n’arrêtent jamais.»
Vers quel congé paternité se dirige-t-on ?
Aujourd’hui, en France, un jeune père a la possibilité – s’il le souhaite – de prendre 11 jours consécutifs dans les quatre mois qui suivent la naissance de son enfant (18 jours pour une naissance multiple). À cela s’ajoutent trois jours à la charge de l’employeur. Mais tout va changer en juillet 2021. Comme l’a annoncé Emmanuel Macron le 23 septembre, la durée du congé paternité va être doublée, passant de 14 à 28 jours. Sur ces 28 jours, les jeunes pères auront l’obligation d’en prendre sept immédiatement après la naissance de l’enfant.
« Ça me paraissait gonflé »
Comme Benjamin, Paul (2) vit au rythme frénétique du monde de la finance. Lui bénéficie de sept semaines de vacances par an, ce que ces patrons, installés à la Défense, estiment «suffire». «Pour le premier enfant, je pense que c’est important de prendre quelques jours parce que tout est nouveau. Mais pour le troisième, dans mon cas, la nounou gérait déjà très bien les deux premiers après l’école, tandis que ma femme se sentait prête à s’occuper seule d’un nourrisson. Et franchement, le mien dormait toute la journée, on n’avait pas besoin d’être deux.»
Le Parisien de 36 ans, diplômé d’une école d’ingénieurs, ne jette pas pour autant la pierre à son employeur. «Mon boulot ne me l’a pas clairement interdit et je peux faire du home office, concède-t-il. Tant que le job est fait on ne m’embête pas sur les horaires. Du coup, j’aurais pu demander à prendre ces 14 jours mais ça me paraissait un peu gonflé.»
Pour Paul, ce n’est tout simplement pas dans la culture du pays, «contrairement à l’Australie ou le Canada où les managers poussent leurs équipes à profiter de leur vie perso». «En France, ce serait aller à l’encontre des comportements de mon entourage professionnel. Il paraît que les mentalités changent avec les nouvelles générations, j’attends de voir comment ces dernières se comporteront avec des responsabilités professionnelles et familiales à assumer.»
Des conséquences sur la carrière ?
Associé d’un cabinet d’avocats parisien qu’il a cofondé, Charles, lui, est père de deux petites filles de 5 et 7 ans et demi. Il ne s’est arrêté que pour la naissance de son aînée. «Lorsque ma cadette est née, j’étais déjà à mon compte. Si je m’étais arrêté, j’aurais seulement bénéficié d’une indemnisation journalière de 53 euros. Honnêtement, les conséquences sur mon activité professionnelle auraient été catastrophiques.» En effet, les professions libérales ne disposent pas de la même sécurité que le salariat ; et s’absenter de son job devient presque le parcours du combattant. Cela suppose de mettre sur pause les dossiers en cours, et a fortiori plus rien ne rentre dans les caisses.
Dans le cas de Charles, l’équation a vite fait pencher la balance. L’incompréhension de ses clients et la baisse de son salaire auraient été beaucoup trop importantes. «De toute manière, c’est impossible pour moi de prendre des congés en dehors des périodes classiques de Noël et des vacances d’été», assure-t-il. Cependant, tous les avocats ne sont pas logés à la même enseigne. Depuis 2014, le barreau de Paris a en effet institué un congé paternité de quatre semaines à destination des avocats collaborateurs (versus les avocats associés qui, eux, ont des parts dans le cabinet), durant lequel leur rémunération est maintenue. Il n’empêche : s’absenter autant de temps est encore mal perçu. «Ce congé de quatre semaines coûte très cher au cabinet et démontre, selon moi, une certaine attitude des collaborateurs qui en feraient la demande incompatible avec l’activité libérale : manque d’implication, réaction de salarié vivant dans le confort…», s’agace Charles. Ce dernier l’admet, les mentalités commencent à évoluer. «C’est rentré dans les mœurs donc ça heurte moins les associés. Cela laisse toutefois nécessairement une trace dans le dossier du collaborateur…» En tant que patron, lui n’est pas pour autant opposé à l’idée du congé paternité, «dans la limite du raisonnable». «15 jours c’est bien», plaide-t-il.
« Une occasion perdue »
À Nice, Marco, architecte dans une agence internationale et père d’une fille de 5 ans et demi, félicite la récente annonce d’Emmanuel Macron. «Allonger le congé paternité permet de responsabiliser les nouveaux pères, d’aider la mère à la maison et de prendre du temps pour se retrouver en famille.» À la naissance de son bébé, il a pourtant continué à se rendre à l’agence, qu’il avait intégré «seulement» dix jours plus tôt. «Je n’avais pas envie de me faire remarquer. Je voulais montrer que j’avais de l’énergie à revendre, que j’étais motivé.»
Avec le recul, le père de 44 ans regrette. «C’est une occasion perdue, confie-t-il. C’est bête car au fond, la naissance d’un enfant ça n’arrive parfois qu’une fois dans une vie, deux-trois fois en moyenne. Alors autant en profiter !» S’il n’est pas sûr d’agrandir sa famille, Marco considère que l’allongement du congé paternité est «un premier pas, un bon compromis». Un progrès certes, mais encore loin de ce qu’offrent d’autres pays d’Europe. En Norvège, par exemple, les parents peuvent se répartir les semaines et choisir de percevoir 100% de leur salaire sur 49 semaines ou 80% de leur rémunération pendant 59 semaines. Plus proche de l’Hexagone, l’Espagne proposera dès 2021 au parent autre que la mère biologique – le père, mais aussi la compagne de la mère dans les couples lesbiens – de bénéficier de 16 semaines de congé (contre 8 aujourd’hui).
En France, la durée du congé paternité va être doublée, passant de 14 à 28 jours, en juillet 2021. Sur ces 28 jours, les jeunes pères auront l’obligation d’en prendre sept immédiatement après la naissance de l’enfant. Paul, le financier de la Défense, salue cette obligation qui, jusqu’ici, n’en était justement pas une. «Le congé mat’ était une obligation, alors que le congé pat’ était un droit ; ça change tout. D’ailleurs, toutes les femmes prendraient-elles un congé mat’ aussi long si on ne leur imposait pas ?» s’interroge-t-il – à juste titre.
(1) (2) Le prénom a été modifié.
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