Tandis que certains ont trouvé l’amour pendant le confinement, s’essayant aux premiers rendez-vous virtuels, d’autres histoires s’éteignaient dans les appartements voisins.
Si la Covid-19 a été (et est encore), une épreuve que notre physique et notre mental ont dû gérer dans l’urgence, notre cœur a aussi pu être indirectement chamboulé par le nouveau coronavirus et les huit semaines de confinement qui l’ont accompagné.
Catherine Demangeot*, psychologue de couple, s’est penché pour Marie Claire sur le (des)amour au temps de l’enfermement.
Marieclaire.fr : Selon un sondage IFOP, 4% des personnes interrogées durant le confinement envisageaient une séparation pour l’après, pourquoi cette expérience a-t-elle pu se transformer en épreuve pour certains ?
Catherine Demangeot : « Ce que j’ai observé c’est que tous les couples n’ont pas été confrontés aux mêmes réalités. Il y a les couples avec enfants et ceux sans. Déjà, ceux avec, se sont retrouvés avec des contraintes supplémentaires, il a fallu concilier les aspects professionnel, privé et familial qu’en temps normal, on délègue. Il n’y avait plus de frontières entre ces pôles généralement bien organisés.
Les couples, de base, sont déjà confrontés à une problématique similaire puisqu’on essaie de consacrer du temps à ses enfants et d’être consciencieux dans son travail, ce qui ne laisse plus de temps à la vie amoureuse, ni aux moments dont on a besoin pour être avec soi-même. Pendant le confinement c’était encore pire, parce que même le sport qui était de base un exutoire, était très restreint, beaucoup courraient en rond comme des hamsters dans leurs roue.
Les couples se sont regardés en chien de faïence et ne se sont plus touchés, ce qui a généré de la méfiance et de la distance, ça s’est inscrit dans le temps et a été très délétère
On a été confronté à la solitude, même dans le couple, c’était en mode présence-absence avec quelqu’un présent physiquement et absent de la relation, il n’y avait plus de connexion entre les gens. Puis, il y a eu une opportunité de réfléchir au sens de la vie et suite à ça, des gens ont entrepris des changements, qui sont parfois passé par des ruptures brutales et d’autres qui ont mis en place des petits changements en faisant un bilan, parce que tout le monde n’a pas le même rythme. Ce sont notamment ces différences qui ont été compliquées à accepter pour beaucoup de couples. On s’est retrouvé dans un même lieu de vie, mais pas forcément ensemble. Il y avait ceux qui travaillaient beaucoup par nécessité tandis que d’autres ont sur-investi l’activité professionnelle, ce qui les a empêchés de penser au stress lié à la situation. Certains ont été jusqu’à me dire qu’ils avaient travaillé énormément pour se sentir libres et utiles parce que ça les ramenait à leur vie d’avant.
Aussi en termes de contact, il y a eu une rupture. Beaucoup de choses ont été dites dès le départ « il ne faut pas avoir de relation sexuelle, ne pas se toucher… » Les couples se sont regardés en chien de faïence et ne se sont plus touché, ce qui a généré de la méfiance et de la distance et ça, comme ça s’est inscrit dans le temps, ça a été très délétère.
De plus, le fait que l’on soit tout le temps ensemble alors que le désir est quelque chose qui s’exprime dans le manque et l’absence, ça a créé un climat particulier. Sans compter que les gens étaient très fatigués après avoir passé plusieurs heures derrière leur écran : au final, le soir, tout le monde était épuisé et on ne se parlait pas, on ne se regardait pas, on ne se touchait pas.
Ce serait intéressant de faire des recoupements avec les demandes de divorces. Certains avocats ont rapporté que les pourcentages de requêtes sont en hausse depuis l’année dernière, mais il ne faut pas oublier que pendant le confinement les tribunaux ont géré les urgences et non les divorces, donc il y a un effet rebond.
Comment se fait-il que chez certains couples, l’effet inverse a été observé ?
CD : Pour ceux chez qui le confinement s’est révélé positif, c’est généralement qu’ils se sont mis des limites claires et qu’ils se sont parlés. Beaucoup de gens sont venus consulter parce qu’ils ne communiquaient plus, ou mal, depuis le confinement. Pourtant la communication dans le couple, c’est une opportunité de s’accorder sur les besoins, les désirs. Pendant le confinement alors que tout le monde s’est retrouvé dans une situation d’urgence, personne n’a réfléchi à mettre en place un cadre pour pouvoir gérer au mieux. Les gens ont fait comme ils pouvaient, par essai/erreur, comme font souvent les couples. Certains ont continué à faire ce qui ne fonctionnait pas et d’autres ont eu l’intelligence de mettre en place d’autres stratégies, ce qui demandait du temps et de la communication.
Les couples de longue durée qui ont eu assez d’intelligence émotionnelle pour pouvoir traverser des événements douloureux de la vie avaient plus de facilité à traverser cette période du confinement
Ceux-là se sont dit : « on va travailler de telle heure à telle heure et puis on va profiter du fait d’être à la maison pour manger ensemble ». Alors quelques fois ce n’était qu’une demi-heure, mais sans ordinateur, avec une conversation et du plaisir à manger ensemble et/ou avec les enfants.
Il est possible que ces couples aient aussi eu plus de ressources pour gérer leurs états émotionnels (créativité, travaux manuels, sport…) et apaiser leur mental.
Le confinement a-t-il plus été un élément déclencheur ou un coup de grâce ?
CD : Pour ceux qui avaient déjà des fragilités, ça a eu un effet catalyseur, de loupe grossissante. Des gens qui avaient déjà des problèmes, une sexualité et/ou une communication assez pauvre, qui vont d’ailleurs souvent de pair, ou qui ne partageaient plus grand-chose, étaient plus susceptibles de ne pas en sortir indemnes.
Les couples de longue durée qui ont eu assez d’intelligence émotionnelle pour pouvoir traverser des événements douloureux de la vie avaient plus de facilité à traverser cette période du confinement parce qu’ils ont déjà vécu des choses difficiles. Ce sont des couples qui ont fait beaucoup d’essais et sans doute beaucoup d’erreurs mais qui ne se sont pas reprochés mutuellement les erreurs qu’ils ont faites et ça c’est très important.
Dans l’étymologie chinoise, le mot crise est constitué de deux idéogrammes. Le premier représente un homme penché sur un précipice, c’est le mot « danger » et le second c’est le mot « opportunité ». Donc la crise, si elle est bien gérée est une formidable opportunité de changement et de croissance.
Si une cohabitation excessive a déjà fragilisé une union, que conseillez-vous de faire, si second confinement il y a ?
CD : Je ne conseille pas, puisqu’ainsi vous privez la personne d’une certaine satisfaction et d’une certaine estime de soi qui pourrait être renforcée en ayant eu l’opportunité de faire son choix. J’essaie de permettre aux couples de trouver une solution propre à leur problème.
Les clés dont ils ont besoin se trouvent dans l’acceptation des différences, sans tomber dans le piège d’évaluer son partenaire ou la qualité de sa relation à l’aune d’une situation extraordinaire. Beaucoup de gens nourrissent de grandes attentes qu’ils n’arrivent pas à exprimer alors que si nous avons des besoins et des attentes, il faut les communiquer (sachant qu’un adulte mature émotionnellement attend de son partenaire qu’il réponde à maximum 25% de ses besoins).
Enfin, il faut toujours expérimenter une bonne distance : trop proche ce n’est pas bon, trop loin ce n’est pas bon. Pendant le confinement, il fallait savoir être seul et ensemble.
Quand on s’isolait, il faillait le dire à son partenaire, le rassurer et lui expliquer qu’on ne le rejetait pas, qu’on avait seulement besoin d’un temps d’introspection, pour lui revenir le cœur ouvert ensuite. »
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*Catherine Demangeot, psychologue de couple à Paris.
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