Il est minuit moins trois lorsque Niels Schneider ouvre le portail de fer, comme s’il guettait notre arrivée. Quelque part dans le 11e arrondissement de Paris, une grande cour pavée ceinte de petits immeubles avec des ateliers en rez-de-chaussée. On devine une fraternité de voisinage derrière les plantes et les arbustes. Voici le refuge que le comédien partage depuis peu avec Virginie Efira, qu’il n’est plus nécessaire de présenter comme la femme de sa vie. Leur amour discret a été l’objet d’aveux clairs et nets de leur part, une façon de dire aux curieux : « Oui, c’est vrai, nous nous aimons, eh bien maintenant oubliez-nous ! »

Au-dessus de nous, comme un drap sombre piqueté de minuscules points lumineux, le ciel sous lequel nous allons converser, là, autour de la table que Niels Schneider a apportée et éclairée, et où patientent les bouteilles de vin qui délient les langues. Après tout, et cela le fait rire, rien de plus logique que de rencontrer après minuit celui qui fut Matthias dans Les rencontres d’après-minuit de Yann Gonzalez.

Niels Schneider, garçon ballotté dans Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait

« J’ai vécu la nuit très longtemps, confie-t-il à voix basse pour ne pas réveiller les voisins. Avant, j’étais plus à l’aise la nuit que le jour, j’avais l’impression d’être plus moi-même. J’ai tellement fait la fête… je n’avais pas compris que ça jouait à ce point sur mes jours, sur mon anxiété. Quand j’ai arrêté, j’ai eu l’impression de renaître. Trop de mauvais souvenirs, et des bons aussi. »

Le comédien de 33 ans a obtenu le rôle principal de Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait d’Emmanuel Mouret, une intelligente, sensible et amusante digression, entre Woody Allen et Éric Rohmer, sur les jeux de l’amour et d’un hasard transmuté en tortueuse mais au final assez heureuse destinée.

C’est Camélia Jordana, également à l’affiche du film, qui l’avait alerté : « Il y a le rôle d’un garçon ballotté entre plusieurs filles qui est tout à fait pour toi ! » Niels Schneider a lu le scénario et a appelé Emmanuel Mouret qui n’avait pas pensé à lui.

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Mais le réalisateur ne s’est pas trompé en faisant confiance à cet être fragile et déterminé, rêveur concentré, candide mais lucide, dont le personnage à l’écran semble sculpté dans le même moule que lui.

Un garçon comme téléporté de chez Woody Allen, le réalisateur « génial » dont Niels a revu une grande partie de la filmographie pendant le confinement. Il parle de son rôle, longuement, avec fébrilité, de ce double qui semble à côté de ses pompes mais qui, en réalité, possède une sensibilité extralucide sur les relations amoureuses.

« Cette chose incroyable dont tout le monde parle et qui est l’amour, murmure-t-il en allumant une cigarette. Le drame de mon personnage est de ne pas avoir vécu de grande histoire tragique, c’est la raison pour laquelle il n’arrive pas à écrire de roman. Il essaie d’effilocher, de dénouer tous les faux-semblants de l’amour. C’est un personnage idéaliste qui tombe amoureux au moment où il ne cherche plus à l’être. »

Niels Schneider, « ébloui » par Virginie Efira

La conversation roule maintenant sur l’amour, en général, avec ses chausse-trapes, ses pièges, ses tentations. « Doit-on culpabiliser parce qu’on fait une connerie une nuit ? La fidélité, c’est peut-être mieux, mais est-on plus heureux en étant fidèle et jaloux ? J’ai besoin de confiance, qu’on me dise les choses. Je n’ai rien contre l’amour libertin mais je ne suis pas sûr que ce soit un système qui fonctionnerait chez moi. J’ai besoin d’attachement, d’exclusivité. Mais en même temps, l’exclusivité pose question. J’ai souvent trompé, mais je n’éprouve plus aucune frustration à ne pas aller voir ailleurs, même si je sais que peut-être un jour le risque reviendra. Dans un couple, il faut être ouvert à ces questions. »

On lui dit que c’est tout simplement l’amour, jamais éprouvé avec cette intensité, qui a vaincu cette envie de séduire tous azimuts. On lui parle de la femme qui dort, peut-être, quelques étages au-dessus de nous. Il hésite à évoquer cet amour qui dure depuis trois ans. Cela se comprend. Niels a trouvé enfin la sérénité aux côtés de « Virginie », celle qu’il a aimée au premier regard ou presque, sur le tournage du mal nommé Un amour impossible.

Virginie possède une pensée que je trouve juste, et en même temps elle peut être à la fois tendre, cruelle et mordante. C’est une femme comme il n’y en a pas deux.

« Au départ, avec Virginie, il y a eu une timidité que je ne me connaissais pas. Je ne pensais pas que cette histoire serait possible. Mais en même temps, l’attraction que j’éprouvais pour elle était tellement forte que je ne voyais pas comment on aurait pu avoir un autre rapport que celui que j’attendais. Virginie m’éblouissait. Je me suis jeté à l’eau. Ce sont d’ailleurs les nuits à parler ensemble qui ont facilité les choses, car seules les nuits provoquent autant de désinhibition. Virginie, c’est une joie de vivre, une pulsion de vie. Elle possède une pensée que je trouve juste, et en même temps elle peut être à la fois tendre, cruelle et mordante. C’est une femme comme il n’y en a pas deux. »

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« J’ai un lien avec mon frère dans l’au-delà »

La lampe posée sur la table et l’éclairage réglé pour les photos dessinent un autre visage que celui, habituel, de l’éphèbe sculpté par Praxitèle. Niels Schneider a grandi et tant mieux. La joliesse n’est pas toujours une qualité excitante à la longue. Le regard plus habité, les traits plus affirmés, donnent une profondeur à cet amoureux des nuits blanches, des longues divagations comme autant de plongées dans un puits d’où peut jaillir de l’or… ou de la boue.

Niels a hérité d’une grand-mère russe quelque chose de cet esprit joyeux et tourmenté, sombre et lumineux, réservé et généreux. Les trois sœurs de Tchekhov ont eu cinq frères, Vadim, Niels, Aliocha, Volodia et Vassili qui se ressemblaient et se sont aimés comme seuls des amis très proches peuvent s’aimer. Niels, Aliocha, Volodia et Vassili sont acteurs ou musiciens et les quatre communient dans l’amour infini porté à l’aîné, Vadim, comédien aussi, tué en 1993, à 17 ans, dans un accident de la route au Canada.

Mon frère est là, je sens sa présence à chaque seconde. Il m’encourage, me porte parfois.

Niels regarde au loin, au-delà des murs endormis, on le sent sur la crête fragile où la larme invisible habille soudain l’éclat de l’œil : « Mon frère est là, je sens sa présence à chaque seconde. Il m’encourage, me porte parfois. J’ai un lien avec lui dans l’au-delà. C’est une présence qui m’élève et me porte. » Une bonne étoile qui se consume en lui et qui ne s’éteindra jamais.

Chaque vie porte le deuil d’une félicité qu’on croyait éternelle. Un dernier verre, rouge cette fois. Une dernière cigarette. Et le silence qui nous enveloppe comme un voile de pudeur. Il est 2 heures du matin, Paris s’endort.

14 question d’après-minuit à Niels Schneider

Marie Claire : Dormez-vous bien la nuit ?

Niels Schneider : Avant, non. Maintenant, oui. C’est certain que l’amour me rend plus serein.

Votre boisson et nourriture nocturne ?

Moscow mule (vodka, jus de citron vert et ginger beer). Vin rouge. Pizza.

Vivez-vous sous une bonne étoile ?

Oui, parce que je suis né homme, blanc, en France, ce qui est naître privilégié. J’ai aussi une bonne étoile qui s’appelle Vadim.

Votre mère vous embrassait-elle avant de dormir ?

Oui. Mon père, lui, me lisait des histoires.

La nuit efface-t-elle le jour et les soucis ?

Non. Si je m’endors avec des idées noires en pensant les effacer, c’est raté : je me réveille avec les mêmes idées. Je me réveille plus serein quand je règle les choses avant de dormir.

Que trouve-t-on sur votre table de nuit ?

En ce moment Les détectives sauvages de Roberto Bolaño. Une lampe et mon portable.

Quels carburants après minuit ?

Un café et parler à des personnes stimulantes, intéressantes. J’ai carburé au Red Bull et à certaines drogues pendant des années pour combler des choses qui n’allaient pas.

La dernière fois que vous vous êtes couché tôt ?

Avant-hier, à Wissant, une station balnéaire du Nord. J’étais crevé à 23 heures.

Boules à facettes ?

J’ai adoré les boîtes quand j’étais très jeune. Je suis beaucoup sorti au Baron et au Moon, une boîte lesbienne. J’ai arrêté complètement. Ou alors en province pendant des tournages. J’adore.

Le parfum de la nuit ?

L’odeur absolument enivrante de mon amie. Mais aussi l’odeur désagréable des fonds de bouteilles et des cendriers pleins. Des odeurs de transpiration.

La nuit la plus dingue ?

Une nuit à Rome, lors du tournage improbable d’un film qui n’est jamais sorti. [Rires.] Les deux réalisateurs m’avaient demandé de me mettre dans l’eau de la fontaine de Trevi pour refaire la fameuse scène de La dolce vita. Les flics sont arrivés et m’ont menotté. Je me suis retrouvé en garde à vue toute la nuit.

Le plus trash la nuit ?

Des nuits avec certains amis qui se sont mal terminées, notamment à cause de la coke. Je me souviens de trucs très, très violents.

Que préférez-vous la nuit ?

Il y a quelque chose qu’on laisse de côté et quelque chose qui se révèle de soi, qui est parfois plus sauvage, plus surprenant, car on ne sait pas où ça va aller. Le quotidien n’appartient qu’au jour.

Les mots de la nuit ?

Où va la nuit, le rêve va.

(*) Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, avec aussi Camélia Jordana, Vincent Macaigne et Émilie Dequenne. En salle le 16 septembre.

Cet article a été initialement publié dans le n°817 de Marie Claire, daté d’octobre 2020

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