• Le 4 mai 1897, l’incendie du Bazar de la Charité dans le huitième arrondissement de Paris a fait plus de 130 morts. Dans leur quasi-totalité, les victimes sont des femmes.
  • TF1 diffuse ce lundi soir les deux premiers épisodes de la série « Le Bazar de la Charité ».
  • Pour « 20 Minutes », l’historien Bruno Fuligni, auteur du livre « L’incendie du Bazar de la Charité » paru aux éditions de L’Archipel, explique quels ont été les conséquences de cette tragédie.

Avec Le Bazar de la Charité, la série en huit épisodes que
TF1 lance ce lundi à 21h05, nombre de téléspectateurs et téléspectatrices prendront connaissance d’un événement quelque peu oublié de l’histoire de
Paris. Si l’intrigue sur le destin des trois héroïnes est fictive, l’incendie du Bazar de la Charité, lui, a bien eu lieu, le 4 mai 1897, au lendemain de son ouverture. Le feu est parti d’une cabine de projection du cinématographe. Ce drame, qui a fait plus de 130 victimes, a marqué son époque et a eu des conséquences sociales, politiques et religieuses, comme l’explique à 20 Minutes l’historien Bruno Fuligni, auteur de L’incendie du Bazar de la Charité (éd. L’Archipel).

Le Bazar de la Charité, c’était en quelque sorte l’endroit où il fallait être vu lorsque l’on faisait partie de la haute société ?

Oui. Le Bazar de la Charité n’était pas un grand magasin, comme le croient parfois les gens, mais un consortium qui organisait chaque année une vente de charité dans un lieu qui n’était pas toujours le même. C’était aussi un rendez-vous mondain dans lequel on pouvait approcher les jeunes filles à marier de la très haute société. Ce sont ces jeunes filles qui tenaient des stands, dans leurs plus beaux atours. Les jeunes hommes avaient l’occasion de les approcher, éventuellement de leur demander une bise ou un furtif contact à l’occasion d’une vente. En achetant des babioles à des prix très élevés ils montraient ainsi qu’ils n’étaient pas des chasseurs de dots, qu’ils avaient une vraie fortune et représentaient de bons partis.

L’un des aspects particuliers de ce drame est que la quasi-totalité des victimes sont des femmes…

On a dénombré 131 victimes directes de l’incendie. Six d’entre elles n’ont pas été identifiées – les corps étaient tellement brûlés – et personne ne les a réclamées. Sur ces 131 victimes, on n’en compte que sept de sexe masculin, dont deux enfants et trois vieillards. La question s’est posée très vite de savoir ce qu’étaient devenus ces messieurs et en particulier ces jeunes gens avantageux qui, quelques instants avant l’incendie, paradaient devant ces demoiselles. La rumeur s’est répandue qu’ils se sont enfuis sans chercher à secourir les dames et même que certains d’entre eux, à coups de canne voire de bouteilles de champagne, se sont frayé un chemin pour pouvoir sauver leur peau. Cela a ruiné tout le crédit qu’il restait à l’aristocratie en France en cette fin de 19e siècle. Il y a eu des caricatures, des chansons : Le Baron d’Escampette, Les Chevaliers de la frousse… Ils ont été beaucoup moqués.

A l’inverse, d’autres hommes, du peuple, se sont distingués par leur héroïsme…

Les sauveteurs volontaires étaient des passants qui ont risqué leur vie pour extraire quelques femmes du brasier. Ceux-là étaient des hommes du peuple : un cocher – le cocher Georges qui a reçu la Légion d’honneur –, un plombier, un vidangeur de fosses septiques. De l’autre côté du bazar, il y avait un terrain vague où s’étaient réfugiées des personnes qui étaient littéralement léchées par les flammes. Elles ont pu s’échapper parce que le cuisinier d’un restaurant a cassé, à coups de marteaux, la grille qui obstruait une petite fenêtre. De là, une centaine de personnes a pu échapper aux flammes. Comme cette vente de charité avait une motivation un peu réactionnaire et antirépublicaine, le gouvernement républicain s’est saisi de ces figures de sauveteurs pour montrer que l’esprit chevaleresque est passé du côté du peuple, que ce sont les simples citoyens français qui ont risqué leurs vies pour sauver des vies.

La presse de l’époque a relaté les faits avec beaucoup de sensationnalisme. Davantage que le feraient les médias aujourd’hui ?

A la fin du 19e siècle, l’espérance de vie était inférieure à 60 ans, on vivait au contact de la mort. Les moindres obsèques donnaient lieu à des cortèges spectaculaires dans les rues, avec les passants qui se découvraient. Le rapport à la mort était différent du nôtre, elle n’était pas occultée à cette époque-là. Il y avait un certain goût pour le macabre, c’est ce que l’on a appelé « l’esprit fin de siècle ». Les journaux d’alors donnaient dans le sensationnalisme en allant parfois très loin dans les descriptions des scènes atroces, de restes carbonisés, dans le récit de l’affliction des victimes. Il y a des passages de cette presse que l’on trouverait sans doute insupportables aujourd’hui et qu’aucun journal ne publierait.

Il faut aussi comprendre que la presse commençait à être illustrée : depuis 1891, on savait imprimer à grand tirage une gravure colorisée avec le supplément du Petit journal. Les lecteurs de ce quotidien ont eu des vues en couleur, pleines pages, de l’incendie et de l’enlèvement des cadavres carbonisés. Dans d’autres journaux qui n’étaient pas encore passés à la couleur, il y avait des gravures assez précises montrant l’étendue du sinistre, ce qui a ajouté sans doute, au côté macabre et spectaculaire de la chose.

Cet incendie a été relativement oublié, peu de monde aujourd’hui a eu connaissance de ce drame. Comment l’expliquer alors qu’à l’époque il a profondément traumatisé Paris ?

Pas seulement la ville. A l’époque, en tant que fait divers, c’était déjà un gros incendie, avec plus de 130 victimes. Il se trouve que parmi ces victimes, il y avait des personnalités très en vue. Pour ne citer qu’un seul nom : la duchesse d’Alençon, qui était tout de même la sœur de Sissi, l’archiduchesse d’Autriche, donc nous sommes-là au plus haut de l’aristocratie. Cela veut dire que cet incendie a frappé les esprits à Paris, dans toute la France et même dans le monde. Avec les alliances familiales, le jeu des cousinages, toutes les cours d’Europe ont été endeuillées par l’incendie. Ce fait divers s’est politisé parce qu’on s’est interrogé sur l’absence totale de précautions : rien n’était ignifugé, les sorties étaient soit des portes à tambour, soit des portes ne s’ouvrant que vers l’intérieur. On s’interrogeait donc sur les mesures de sécurité ou l’inconscience des organisateurs en se demandant si le gouvernement n’aurait pas dû être plus directif.

Des photographies de l'incendie du Bazar de la Charité (Paris 8e) en mai 1897.

La polémique a aussi rebondi sur le terrain religieux…

Un hommage a été rendu aux victimes à Notre-Dame. Compte tenu de la dimension internationale du sinistre, le président de la République Félix Faure, qui était pourtant peu religieux, était présent, ainsi que les membres du gouvernement, les députés, les sénateurs… jusqu’aux plus anticléricaux. Un prêtre est monté en chaire pour expliquer que ces femmes étaient les victimes expiatoires des crimes de la Commune et de la république, ce qui a beaucoup fâché les républicains. Cela a rebondi avec un débat nourri dans l’hémicycle du palais Bourbon – à l’époque, c’est la Chambre des députés – qui a démarré sur les responsabilités de l’incendie et très vite en est arrivé à la question de la laïcité de l’hommage qui a été rendu et des attaques de l’Eglise contre l’Etat. C’était huit ans avant la loi de 1905 [sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat], cet incendie a accru la fracture entre la France catholique et la France « anticléricale », dirais-je.

Un monument et une chapelle

« L’incendie du Bazar de la Charité a marqué la géographie parisienne », souligne Bruno Fuligni. Les six victimes qui n’ont pas été identifiées bénéficient d’une concession perpétuelle au cimetière du père Lachaise (Paris 20e) où se dresse un monument à leur mémoire. « Les familles des victimes identifiées ont acquis la parcelle de la rue Jean Goujon où a eu lieu la catastrophe [rue Jean-Goujon, Paris 8e] pour y faire bâtir la chapelle Notre-Dame de consolation, toujours visible aujourd’hui », relate l’historien. L’édifice a été confié en 2013 à la Fraternité Saint-Pie-X, une branche traditionaliste non reconnue par l’Eglise catholique.

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