Dans la littérature ou au cinéma, les love stories nous passionnent. Mais pourquoi nos cerveaux sont-ils si réactifs à nous identifier aux histoires de cœur ?
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Qui n’a pas versé une larme devant Titanic ? Qui n’a pas fantasmé sur le si séduisant Clark Gable dans Autant en emporte le vent ? Qui ne s’est pas identifiée à Meryl Streep dans Out of Africa ou Sur la Route de Madison ? Qu’elles s’achèvent par un happy end ou finissent dans les larmes, les histoires d’amour sur grand écran nous transportent, nous donnant l’impression de vivre plus intensément. Genre souvent méprisé, qualifiées de bluettes, de comédies à l’eau de rose, voire de romans de gare, ces fictions tout en sentiments commencent pourtant à intéresser les chercheurs. Curieux d’expliquer un tel succès, ils travaillent sur les raisons de notre emballement et s’appliquent à percer ce qui se passe dans notre cerveau quand nous sommes emportés par ces récits fantasmatiques. Décryptage.
Un peu de chimie, beaucoup d’hormones
« Pour que l’événement le plus banal devienne une aventure, il suffit qu’on se mette à le raconter », écrivait Jean-Paul Sartre dans La Nausée. Même si elles ne brillent pas toujours par leur originalité, les histoires (sentimentales ou pas) ont un pouvoir sur notre cerveau, assure le chercheur en neuroéconomie Paul Zak, dans son article « How stories change the brain »*. À leur écoute, celui-ci libère deux hormones : celle du stress, le cortisol, et celle de l’attachement, de l’amour et de l’empathie, l’ocytocine. Un récit qui fonctionne reprendrait ainsi une structure universelle : un héros ou un antihéros lancé dans une quête parsemée d’obstacles à surmonter, permettant au lecteur de s’attacher à lui. Et lorsque le personnage souffre, nous souffrons avec lui ! Quand il est heureux, nous sommes heureux avec lui ! C’est cette identification, cette stimulation émotionnelle que nous recherchons au fil des pages des romans d’amour. Rencontre, conflit, triomphe de l’amour… La recette a ainsi fait le succès de la mythique collection Harlequin. Née au Canada il y a plus de quarante ans, elle continue de vendre pas moins de 4 millions de livres dans le monde chaque année. « Nos lectrices ne sont pas dupes, analyse ainsi Karine Lanini, directrice éditoriale. Elles savent que, dans la vraie vie, un milliardaire ne va pas débarquer pour les demander en mariage… En revanche, l’intensité des émotions, celles que l’on ressent au début d’une relation amoureuse, existent bel et bien et les lectrices la réactivent en lisant nos livres. »
Le syndrome Roméo et Juliette
Plus l’histoire semble impossible, plus elle nous attire. La littérature a fait son miel de ces amants maudits qui ont bravé leurs familles, la société et même les dieux au nom de leur amour. Publiée en 1595, la pièce de Shakespeare Roméo et Juliette a inspiré depuis des ballets, des films, des opéras, des tableaux, des bandes dessinées… Tout comme le mythe médiéval de Tristan et Yseult, ou encore les légendaires Orphée et Eurydice de la mythologie grecque. En psychologie, c’est bien connu : l’interdit aiguise le désir. On parle d’ « effet Roméo et Juliette », pour désigner le surplus d’intérêt que nous éprouvons pour une relation a priori interdite. Cet « effet » a été mis en évidence dans les années 1970 par le psychologue américain Richard Driscoll. Pour ses travaux, il a interrogé 140 jeunes couples dont l’union ne remportait pas l’assentiment parental. Il en a conclu que la désapprobation des ascendants ne faisait que renforcer l’ardeur des jeunes gens unis dans l’adversité. Même en tant que simples spectateurs, nous sommes sensibles aux charmes de la transgression. Si les amours de notre président Emmanuel Macron avec son ancienne professeur de trente ans son aînée nous fascinent, c’est sans doute parce qu’elles brisent un tabou et nous séduisent par leur côté anticonformiste. Ne dit-on pas de Brigitte Macron qu’elle a tout d’un personnage de roman ?
Des sourires et des larmes
Les histoires d’amour finissent mal en général. Et c’est tant mieux pour les spectateurs ! Selon Silvia Knobloch-Westerwick, professeur de communication à l’Ohio State University, les films tristes nous rendraient plus heureux. Une conclusion qu’elle tire après avoir fait visionner le film dramatique Atonement (Reviens-moi en version française) à 361 étudiants, invités à remplir des questionnaires sur leurs émotions et leur niveau de bonheur avant et après leur séance ciné. S’ils se sentaient plus heureux après, ce n’est pas par sadisme, affirme la chercheuse, mais parce que ce genre de fictions nous inciterait à penser à nos proches et à tout ce qu’ils apportent de positif dans nos vies. Rien de tel qu’un récit amoureux bien tragique pour se souvenir de la chance qu’on a d’avoir un amoureux à portée demain (et de cœur).
L’empathie vient en lisant
Loisir pas si solitaire, la lecture de romans d’amour nous aide aussi à développer nos liens. En nous mettant dans la peau d’un narrateur, nous développons notre empathie et notre intelligence émotionnelle, affirme le professeur de psychologie canadien Keith Oatley, dans un article publié en 2016. Une de ses expériences consistait à faire deviner aux participants l’humeur d’une personne à partir d’une simple photo de ses yeux. Résultat : les amateurs d’œuvres romanesques parvenaient plus facilement à déceler les émotions à partir du cliché que ceux qui n’avaient aucun penchant pour le genre. « La fiction est une simulation de la sphère sociale. De la même manière que certains améliorent leurs capacités de pilotage via un simulateur de vol, ceux qui lisent des romans peuvent faire progresser leurs compétences sociales », explique le chercheur.
Thérapie de couple sur canapé
Vous aimez regarder une comédie romantique blottie contre votre moitié. Eh bien vous évitez peut-être ainsi de laborieuses séances dans le cabinet d’un thérapeute de couple. D’après une étude menée auprès de 174 duos de jeunes mariés par les universités de Rochester et de Los Angeles en 2014, les conjoints qui voient ensemble ce genre de films auraient moins de risques de se séparer. Plus précisément : un couple qui discute de cinq films sentimentaux chaque mois réduirait de moitié la probabilité de divorcer dans les trois premières années de son mariage. Mais attention aux excès ! Les films à l’eau de rose peuvent aussi nous rendre trop idéalistes et bien trop exigeants envers notre conjoint(e). Selon une étude de 2008 réalisée par l’université d’Édimbourg (Royaume-Uni), les fans de films comme Coup de foudre à Notting Hill ou Quatre mariages et un enterrement auraient plus de difficultés que les autres à communiquer avec leur partenaire. « Ces personnes estiment en effet que le sexe doit être toujours parfait ou que l’autre doit pouvoir répondre à leurs attentes sans qu’on ait besoin de les lui préciser », déplore le Dr Bjarne Holmes, l’un des auteurs de l’étude. Alors si vous avez le cœur qui bat la chamade, la tête sens dessus dessous et l’esprit qui divague, vous souffrez sûrement des effets indésirables de l’abus de comédies romantiques ! Autant le savoir…
* UC Berkeley, 2013.
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