- « Paye ton tournage » recense sur Tumblr, Instagram et Facebook des témoignages de femmes et d’hommes qui ont observé du sexisme ou vécu des violences sexuelles.
- Le concept a été créé par Barbara Juniot et Alice Godart, qui a subi un viol en 2015 et transformé sa colère en activisme.
- « Le code du travail doit s’appliquer aux tournages » explique l’activiste rencontrée dans sa ville, Bruxelles.
On la retrouve à la terrasse d’un des cafés de la capitale belge où elle vient parfois travailler, en compagnie de son amie et collègue militante Clara Lévy. S’ensuivent quelques blagues sur les meilleures friteries du coin et des conseils touristiques pour visiter Bruxelles. C’est ici qu’Alice Godart a élu domicile, en 2011, pour faire ses études de cinéma. Ici qu’elle a pu dégoter « un 20 m² et payer 300 balles » quand étudier à Paris était « hors de portée » pour son budget. Ici aussi que la jeune femme de 28 ans a co-fondé « Paye ton tournage », un
site sur Tumblr puis un
compte Instagram qui répertorie, à la manière de sa cousine « Paye ta Schneck », dont elle s’est inspirée, toutes les remarques sexistes du
milieu du cinéma.
« Demande à la stagiaire aux gros seins de ramener un poly » ; « Ma chérie apporte la roulante » ; « Alors quand est-ce que c’est prévu la tournante avec la nouvelle ? »… Sur payetontournage.tumblr.com, les récits s’accumulent, formant un système. Quatre ou cinq femmes aujourd’hui se relaient pour éditer ces témoignages qui affluent. Elles en reçoivent jusqu’à une dizaine par jour.
« On a découvert beaucoup de souffrance »
Au début, Alice Godart était seule avec Barbara Juniot, rencontrée dans son école de cinéma. Les deux étudiantes sont sensibilisées à la cause féministe et déchantent quand la vague MeToo déferle, fin 2017. Autour d’elles, les récits s’égrainent, mais la résignation domine. « Des étudiants nous disaient qu’il allait falloir s’habituer, que « ça va être le milieu », mais le milieu, c’est nous ! », s’insurge Alice.
Alors elles décident de récolter ces témoignages, en utilisant les listes de mails de l’école et leur propre réseau. Elles fabriquent aussi des affichettes avec des adresses emails sur des languettes à découper qu’elles punaisent dans les festivals de films. Très vite, elles atteignent une centaine de textes. « On a découvert beaucoup de souffrance », explique Alice, qui ajoute : « La mise en commun fait ressortir ce qui est inacceptable. »
Un viol en pleine rue
La souffrance, Alice l’a connue, de la manière la plus brutale, en 2015. Un viol dans une rue bruxelloise, un de ces viols que le commun des gens s’imagine en pensant au mot « viol » : « Mon agresseur m’a étranglée en pleine rue et j’ai perdu connaissance. Je me suis réveillée au sol et en sang », a-t-elle raconté au site créé par la RTBF, Les Grenades.
Alice Godart a ensuite expérimenté tout ce qui souvent pèche, en Belgique comme en France, dans la prise en charge des victimes. Sa plainte est classée sans suite dès le lendemain parce que les femmes qui avaient alerté la police avaient signalé par erreur une « dispute conjugale », alors qu’elle ne connaissait pas son agresseur. On ne lui propose pas de voir un médecin, ni l’aide aux victimes à laquelle elle a pourtant droit, en Belgique. La policière qui prend sa plainte, qui ne sera jamais sanctionnée pour sa mauvaise conduite, la culpabilise en lui reprochant d’avoir été « imprudente de rentrer si tard le soir ».
« Le militantisme c’est du travail gratuit »
« J’ai reçu très peu de soutien, dit-elle en visant son ancienne école de cinéma. La seule issue possible c’était le féminisme. C’était une façon d’évacuer la colère. » Un investissement qui frise parfois le burn-out militant, comme l’a raconté Anaïs Bourdet, qui a mis fin, en juin 2019, à sept ans de
« Paye ta Shnek ». « J’ai eu un gros découragement au moment des Césars [qui ont vu le cinéaste Roman Polanski, accusé de violences sexuelles par douze femmes,
recevoir douze récompenses], se souvient Alice Godart. Il faut se rendre compte de la charge militante. J’ai passé des week-ends où je ne faisais que ça toute la journée. Ce n’est pas toujours gratifiant de travailler en ligne. C’est fatigant au quotidien. Le militantisme c’est du travail gratuit. Les gens oublient ça. Quand j’ai vu qu’on récompensait un violeur, c’était très violent. J’ai voulu arrêter, mais c’était trop grave », dit-elle. « C’est épuisant, on a peu de soutien », ajoute Clara Lévy, une jeune productrice qui l’épaule au quotidien.
Aujourd’hui les voilà pleines d’enthousiasme, embarquées pour donner des formations à la rentrée à la Fémis, la grande école de cinéma française. Avec pour maître mot, la pédagogie. Et un but simple, clair et précis que poursuit Alice Godart : « Notre combat ce n’est pas de punir des personnes mais de faire changer leur mentalité. Le code du travail doit s’appliquer aux tournages. »
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