S’il est impossible de mettre ses enfants sous cloche pour les protéger des diktats de beauté, les parents peuvent dès l’enfance et de façon simple, les habituer à prendre de la distance et favoriser un regard bienveillant sur leur corps.
Comment aimer son corps ? L’apprécier ? Cohabiter en paix avec lui ? Le sujet est vaste, le chantier, colossal. Seulement en commençant par le début, comprenez en agissant dès l’enfance, il est possible de se faciliter la tâche à l’âge adulte. «Les parents n’ont pas le plein contrôle sur les facteurs pouvant influencer le développement de l’image corporelle, mais les attitudes parentales faisant partie de ces facteurs, ils peuvent tenter d’avoir une influence positive», assure Nadia Gagnier (1), psychologue et conférencière québécoise, spécialiste du sujet depuis plus d’une dizaine d’années.
La mission paraît d’autant plus intéressante que l’enfant aiguise le regard qu’il porte sur son corps dès les premiers instants de socialisation. «L’image du corps se construit à partir de quatre facteurs, précise Amélie Rousseau, professeure de psychologie à l’Université de Lille, et psychologue spécialisée dans les troubles de l’image et alimentaires. D’abord à partir du modèle esthétique prédominant – la minceur chez les femmes, la musculature chez les hommes, ensuite à partir des interactions que l’enfant a avec autrui. Elle se fonde aussi sur les caractéristiques physiques qui évoluent avec le temps, et enfin via le facteur psychologique, l’estime de soi.»
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Rappeler que les jouets ne sont pas la normalité
Les standards de beauté pénètrent l’univers des enfants extrêmement tôt, à travers les jouets et les dessins animés, et les plongent dans un environnement où le corps a une importance capitale, selon Amélie Rousseau. «Prenons Barbie, sa maigreur et sa forte poitrine ; elle offre une contradiction biologique extrêmement étonnante, souligne la professionnelle. Chez Disney, les corps proposés dans les dessins animés sont en-dessous de la normalité, on voit peu d’enfants en surpoids, et quand c’est le cas, il s’agit du petit rigolo, c’est caricatural.»
La suite de l’histoire est simple : l’enfant évolue et grandit en prenant ces représentations pour modèle, «ils se comparent et voient l’écart. Plus ce dernier est important, plus il y aura de l’insatisfaction corporelle», résume la psychologue.
Que faire pour les en protéger ? Inutile de boycotter dessins animés et jouets et de les obliger à s’amuser avec du sable et des cailloux jusqu’à leur 10 ans. L’objectif est de les aider à maintenir une distance, en leur rappelant que cette poupée, ce garçon à la télévision, ne relèvent pas de la réalité. «On peut aussi aider l’enfant à développer son jugement critique en lui expliquant les dessous des médias, en lui parlant des making of, par exemple, ajoute Nadia Gagnier. Vers 8 ou 9 ans, on peut s’asseoir avec lui dans un lieu public, et lui demander de compter les passants qui correspondent en tout point aux diktats de la mode et des images véhiculées dans les médias. Il s’apercevra rapidement que ce qu’on lui présente comme image ne correspond en rien à la réalité.»
Montrer très tôt la diversité des corps
En étant confrontés très tôt aux diktats de la beauté, les complexes peuvent apparaître de façon précoce. «Ça infiltre notre discours. Les enfants entre eux se critiquent quand l’un ne donne pas aux autres une image conforme à quelque chose d’agréable et de valorisé, comme le fait d’être trop gros ou trop maigre, commente Bruno Falissard, pédopsychiatre et professeur de santé publique à l’Université Paris-Sud. En témoigne la «stigmatisation des enfants présentant des problèmes de poids, dès la maternelle, et l’emploi d’adjectifs négatifs comme « gros », « moche », rebondit Amélie Rousseau. On sait que les moqueries, les taquineries en lien avec le corps sont un facteur de risque de développement de troubles de l’image du corps et du comportement alimentaire plus tard.»
Pour accepter la différence et tenter de ne pas (trop) pâtir d’un standard unique, les parents peuvent montrer très tôt à l’enfant des ethnies et des corps divers. «Cela leur permet de voir qu’on est pas pareil, explique Bruno Falissard. Ils réalisent ce que les gens sont dans la vie et non dans l’imaginaire construit à partir d’un idéal du corps.» Dans le cas où un enfant souligne spontanément une différence, le parent peut l’interroger, le faire parler. «À un petit qui dirait « ah regarde une telle comme elle est ! », on peut lui répondre « oui, et alors ? ». Si l’enfant trouve le corps « moche », on peut lui demander « ah bon et pourquoi ? »», illustre le pédopsychiatre.
Valoriser les pouvoirs du corps plutôt que le corps lui-même
L’idée n’est pas non plus d’arrêter de complimenter sa progéniture. Cependant, si «valoriser les attributs physiques part d’une bonne intention, cela revient à évaluer le corps de l’enfant», insiste la psychologue Amélie Rousseau. Pour éviter que le (la) petit(e) accorde une importance démesurée à son apparence, les parents peuvent l’habituer à prendre de la distance vis-à-vis d’elle. «Mieux vaut vanter les fonctionnalités du corps, « avec tes grandes jambes, tu peux courir très vite », et les qualités intrinsèques de l’enfant. Quand on décrit son ou sa meilleur ami(e), on ne le fait pas en parlant de ses attributs physiques. C’est dans ce sens que l’on peut travailler avec les petits, en leur apprenant à décrire l’autre en disant qu’il est drôle, vif, plein d’enthousiasme, etc.», précise Amélie Rousseau.
Sans surprise, la pratique du sport aide l’enfant à saisir toutes les potentialités de son corps et à en déceler les avantages. Plus que les activités individuelles, les sports collectifs seraient à privilégier, selon Amélie Rousseau : «Ils ne sont pas basés sur des performances individuelles, c’est une équipe entière qui va gagner. On fait un effort pour le groupe.»
L’influence inconsciente des parents
Inutile de rappeler que le couple parental n’est pas infaillible, qu’il fait bien souvent ce qu’il peut, et qu’un mot prononcé sans réfléchir, cela arrive. Reste qu’il est important d’avoir présent à l’esprit l’impact sur l’enfant et le rapport qu’il pourra entretenir avec son corps, des phrases dites innocemment. «Le petit en particulier, est avant tout quelqu’un dans le regard de ses parents, rappelle le pédopsychiatre Bruno Falissard. C’est très inconscient et cela arrive aux parents aux meilleurs intentions, mais nous reproduisons avec nos enfants ce que l’on nous a fait étant enfant. De plus, ils nous ressemblent, et on voudrait se réaliser à travers eux. Alors quand ils ne correspondent pas à l’image qu’on s’en fait, on risque de leur faire remarquer et cela résonne chez eux. On sous-entend « tu ne me remplis pas moi en étant ce que j’aimerais que tu sois ».»
D’où l’importance de se pencher sur le bien fondé de la critique que l’on s’apprête à émettre. «Demandons-nous si on ne va pas trop loin. Certains enfants s’en fichent mais d’autres sont plus sensibles. Ça peut leur faire du mal, se cristalliser et entraîner un terrain favorable aux complexes», informe Bruno Falissard.
Le propre rapport qu’entretient le parent avec son corps joue un rôle. Si un père ou une mère est très préoccupé(e) par son apparence ou par l’alimentation, il est probable qu’il ou elle le transmette à sa progéniture. «Être un modèle « sain » d’acceptation de soi et de la diversité corporelle peut aussi permettre à l’enfant d’embrasser cette diversité pour les autres et lui-même», commente la psychologue Nadia Gagnier. Ainsi, la spécialiste recommande d’éviter de se critiquer devant le miroir et de juger à haute voix l’apparence d’autrui devant l’enfant.
Alimentation et rapport au corps sont évidemment liés. Les tournures employées pour parler de la nourriture peuvent d’ailleurs favoriser des rapports cordiaux entre les deux à l’âge adulte. Plutôt que de raisonner en termes de prise de poids, mieux vaudrait interagir avec l’enfant sur ce qu’apporte l’alimentation, selon la psychologue Amélie Rousseau. «Au lieu de dire « si tu manges comme ça, tu vas grossir », indiquons que si l’enfant mange de telle ou telle manière, son corps fonctionnera moins bien», illustre la professionnelle.
Veiller à l’auto-surveillance et dédramatiser
«On voit beaucoup d’enfants de 8 ou 9 ans, se regarder avec insistance dans le miroir, s’évaluer», rapporte Amélie Rousseau. Pour éviter ce comportement, les parents peuvent habituer l’enfant dès son plus jeune âge à laisser son corps tranquille. Face aux critiques émises par son fils ou sa fille, le parent peut rassurer. «Il est important de lui dire qu’il est normal d’être insatisfait de certains aspects de soi, relève Nadia Gagnier. On peut même lui confier comment nous, parents, essayons de gérer cette perception et les émotions qui en découlent.»
L’heure peut aussi être à la dédramatisation. Après tout, est-on obligé de se trouver beau ? «De nos jours, nous sommes dans une quête effrénée pour « être bien », souligne le pédopsychiatre Bruno Falissard. Tout le monde est censé se trouver « joli », mais commençons déjà par ne pas nous trouver moche.»
(1) Nadia Gagnier est auteure de Miroir, miroir… Je n’aime pas mon corps ! Le développement de l’image corporelle chez les enfants, les adolescents et les adultes, (Éd. La Presse), 16,75 €.
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