Jonas Kaufmann publie un double album chez Sony où il incarne le célèbre personnage de Shakespeare mis en musique par Verdi. Voilà l’information au coeur de l’événement organisé par visioconférence. Ce sera peut-être ainsi que nous fonctionnerons désormais. Une centaine de journalistes de tous les continents écoutait religieusement (leurs questions avaient été réunies à l’avance) la star Jonas Kaufmann, le chef Antonio Pappano et Andrea Penna, le patron de l’Académie Ste-Cécile de Rome qui fournit l’orchestre et les chœurs. Chœurs nous offrant en amuse-bouche celui dit de La Tempête (quand Othello revient victorieux à Chypre) sous la forme désormais familière d’un écran éclaté en cinquante mosaïques.

Sympathie

On constata d’abord (la conférence de presse n’avait pas commencé) l’aura de sympathie dégagée par Kaufmann qui lâchait, un peu consterné, qu’ »à l’opéra de Dresde, il faudra à la rentrée qu’il y ait des distances de six mètres entre chaque chanteur ». On a intérêt à privilégier les oeuvres qui ne multiplient pas les mouvements de foule !

Un Kaufmann qui, s’exprimant dans un excellent italien (en plus de son allemand natal, du français, de l’anglais et de l’espagnol !), a une vraie vision de ce « personnage énorme (Verdi a créé un très beau monstre) » : « C’est un soldat, rigide dans son aspect guerrier mais fragile dans l’intime, au sens érotique. C’est surtout un étranger. Un combattant, qui a vaincu tout seul, s’est fait ainsi tout seul et c’est son unique clef pour pénétrer une société à laquelle il n’appartient pas. Desdémone s’est échappée de son milieu pour venir à lui. Elle est, cette femme pure, le symbole de sa réussite sociale. S’il perd sa confiance en elle, il perd tout ; et donc la mort de cette femme (qu’il lui donne) est aussi sa propre mort ». Evidemment, ajoute-t-il, c’est une histoire qui vaut encore pour aujourd’hui : un homme modeste à qui le rang plus élevé d’une épouse, malgré ses qualités personnelles, ouvre d’autres fragiles horizons.

« Ce n’est pas une question de peau »

A une question qui remet au cœur d’Otello le problème du racisme et même du féminicide (on se souvient d’un Pavarotti, d’un Domingo, maquillés au brou de noix) Kaufmann qui, lui, n’a jamais cherché à accentuer par le maquillage le côté Maure de Venise (sous-titre de la pièce de Shakespeare) reprend : « Ce n’est pas une question de peau. C’est un étranger, je le répète. Dans un musée de Londres il y a un tableau comme ça, un homme, à la figure arabe, très élégant, la barbe bien taillée : c’est le guerrier Otello quand il revient dans la bonne société civile ».

C’est pourquoi, avec le soutien du chef Pappano, il a cherché scrupuleusement la douceur, la tendresse dans le chant, la délicatesse, qui correspond aussi à ce qu’a écrit Verdi : « Un triple pianissimi là où on aurait tendance à chanter fort : Verdi sait ce qu’il fait. Il s’agit d’amour, pas d’une déclaration de guerre. Il faut donc respecter ce genre de détail ». Pour nourrir aussi la compréhension du rôle. Qu’il a déjà incarné, depuis pas si longtemps, et dont il décrit la difficulté comme « l’ascension du Mont Blanc. Ou même (rire), de l’Everest ». 

« Tristan, c’est la Lune »

Une autre question, qu’on ne peut poser qu’à ce ténor-là, célèbre pour s’essayer, unique dans ce cas depuis un siècle, à tous les répertoires, veut comparer Othello au Tristan de Wagner : « Si Othello, c’est l’Everest, alors, Tristan (on est déjà épuisé en arrivant au troisième acte), c’est la Lune ». Il s’apprête par ailleurs, sous la direction de son chef favori – Pappano ! – à aborder encore un autre univers, celui de Britten, en anglais donc, avec Peter Grimes. 

D’ici là, il nous reste (nous en reparlerons) cet Otello, à défaut de le voir pour l’instant sur scène ; aussi pour la curiosité de la découverte d’une Desdémone, à peine évoquée par ces messieurs, la jeune Italienne Federica Lombardi, de la trempe, nous assure-t-on, d’une Nadine Sierra ou d’une Pretty Yende.

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