Après la charge mentale et la charge émotionnelle mises en avant par la dessinatrice Emma, un nouveau travail invisible pesant sur les femmes est pointé du doigt : la charge sexuelle.
En 2017, les concepts de charge mentale et émotionnelle ont été popularisés en France par la dessinatrice Emma. En d’autres mots, il s’agit du travail invisible des femmes qui sont, non seulement, les gestionnaires du foyer mais s’occupent également du bien-être mental et des liens sociaux des autres. Ce poids logistique qui occupe l’espace mental des femmes s’immisce-t-il aussi dans l’intimité ?
C’est ce que démontrent les journalistes Clémentine Gallot et Caroline Michel dans un essai engagé, La Charge sexuelle. Pourquoi la sexualité est l’autre charge mentale des femmes, First Editions paru le 11 juin.
La charge sexuelle, c’est quoi ?
Dans un article publié sur le site de Slate en 2019, la journaliste Clémentine Gallot s’attaquait déjà à la charge sexuelle qui pèse sur les femmes dans les couples hétérosexuels : susciter le désir, s’occuper de la contraception ou encore s’assurer de la jouissance de l’autre sont autant de tâches qui reviennent systématiquement au sexe féminin.
Concrètement, ce « labeur sexuel invisible » comprend le fait de s’inquiéter du désir et du plaisir d’autrui (parfois au détriment du sien), d’être désirable, d’avoir de l’expérience « mais pas trop » (car il faut être « respectable »), de s’occuper de la contraception et des problématiques médicales mais aussi de subir les nombreuses injonctions qui pèsent sur le corps féminin. Mises bout à bout, ces charges orgasmique, médicale, contraceptive et esthétique forment le fléau de la charge sexuelle.
De l’interdiction à l’injonction
Malgré la « libération sexuelle » opérée ces dernières années, les inégalités n’ont pas disparu du jour au lendemain et de nouvelles contraintes sont même venues s’ajouter à la charge des femmes. Les injonctions de l’année 2020 ? Réussir sa vie sexuelle à tout prix, jouir sans entraves, connaître son corps, son point G, son Deep Spot, savoir pratiquer le « squirting ». Il faut innover, pimenter, surprendre l’autre pour ne pas tomber dans la ô combien effrayante routine. « En un siècle, on est passé de l’interdiction (dans un 19ème siècle répressif) à l’injonction, donc la transition est forcément compliquée, il y a forcément des continuités et des ruptures. Plusieurs raisons à cela : d’abord la libération sexuelle des années 60, qui a surtout libéré les hommes (cis, hétéros) -attention nous ne remettons pas en cause les acquis féministes des années 70. Ensuite, le capitalisme, qui induit un rapport utilitaire et de consommation à la sexualité (il faudrait à tout prix réussir sa vie sexuelle, en avoir une plus grosse quel le voisin). » explique Clémentine Gallot, co-autrice de l’ouvrage.
Lire aussi la tribune de Caroline Michel : Non, je ne trouverais pas mon point G, mon Deep Spot, mon clito
Cette pression sexuelle incombe davantage aux femmes. « Celles-ci pâtissent du revers de la médaille : ayant obtenu droits et libertés, il leur est désormais fortement suggéré de les mettre en pratique » écrivent les journalistes. Pour Clémentine Gallot, « Le problème des injonctions c’est qu’elles sont toujours à sens unique et dirigées vers les mêmes personnes. Et en matière de sexualité, il y a l’injonction à jouir mais elle s’accompagne toujours d’un discours ambivalent (donc impossible à atteindre) : par exemple, incarner à la fois l’exhibition et la pudeur ». La femme doit être à la fois la maman et la putain. On en revient aux contradictions impossibles à résoudre et à la charge esthétique : être sexy mais pas trop.
Une éducation sexuelle minimum qui manque d’inclusivité
Dans leur essai, Clémentine Gallot et Caroline Michel reviennent sur les représentations du genre et des sexualités à l’école. Et pour cause, en 2020, l’éducation à la sexualité réveille encore les tensions. Récemment, la Secrétaire d’Etat chargée de l’Egalite entre les femmes et les hommes devait encore démentir des rumeurs circulant à propos d’un soi-disant apprentissage de la masturbation à la maternelle. Entre crises de confiance entre parents et enseignants et frilosité moralet, l’éducation sexuelle, pourtant obligatoire depuis 2001, reste peu encadrée et souvent négligée. Nombreux considèrent que la sexualité est abordée à travers les cours de reproduction en SVT, mais où sont les cours et questions sur le consentement, l’égalité femmes-hommes, le sexisme, la lutte contre l’homophobie et la transphobie, ou tout simplement, le plaisir ?
« Dans l’Enquête sur la sexualité en france, c’est l’école qui est citée comme étant la première source d’information sur la sexualité (l’enquête date de 2006 donc on peut supposer qu’aujourd’hui internet joue un rôle important aussi). Quoiqu’il en soit, les guides qui sont fournis au corps enseignant sont obsolètes et peu inclusifs, et surtout le discours français majoritaire est celui d’une représentation différenciée de la sexualité (les filles d’un côté, les garçons de l’autre), au lieu de souligner les similitudes (tout le monde est excité, tout le monde jouit) comme dans d’autres pays, telle la Suède » abonde Clémentine Gallot. Et d’ajouter : « Bref, au lieu de transmettre du savoir, on produit de l’analphabétisme sexuel ». C’est d’ailleurs le titre d’une tribune du Monde qui dénonçait la représentation tronquée du clitoris dans les manuels de SVT et ses conséquences.
La charge sexuelle serait donc façonnée dès l’enfance, lors de la transmission des idées sur la féminité et la masculinité (les filles sont romantiques et les garçons davantage portés sur le sexe). « En accentuant les différences, on contribue à les construire : c’est un cercle vicieux » écrivent les autrices qui estiment quue le minisète de l’Education gagnerait à s’inspirer, en partie, d’un modèle suédois qui valorise les sexualités féminines.
Pour sortir de cette charge sexuelle, les journalistes proposent plusieurs pistes dans leur livre. « Cela se fait en deux temps : d’abord la responsabilisation individuelle (comme on a pris conscience de la répartition des tâches ménagères, là on le fait dans l’intimité). Et ensuite la déconstruction des dispositifs systémiques : cela demande de repenser collectivement les institutions, leurs discours et leurs pratiques, comme l’état, l’école, la médecine ou la presse – c’est aussi pour ça que c’est politique et que cela excède la stricte sphère privée ».
La charge sexuelle, Désir, plaisir, contraception, IST… encore l’affaire des femmes, éditions First, sorti le 11 juin 2020, disponible sur Amazon.
Voir aussi : Emma nous parle de la charge mentale
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