Le 20 mai, le huitième roman d’Agnès Martin-Lugand sera disponible. À l’occasion de la sortie de Nos résiliences, l’auteur s’est confiée sur ses inspirations.

On ne présente plus Agnès Martin-Lugand. Depuis Les gens heureux lisent et boivent du café, son premier ouvrage, nombreux sont les lecteurs à attendre avec impatience sa prochaine publication. L’an passé, elle nous avait charmés avec Une évidence. Cette fois-ci, l’auteur nous emmène dans les résiliences d’un couple, Ava et Xavier, dont la vie bascule après un terrible accident. Traumatisme, culpabilité, reconstruction et pardon sont au cœur de ce nouveau roman. Agnès Martin-Lugand s’est livrée sur les inspirations qui forment son processus d’écriture et la parole qu’elle a voulu donner à des personnages, une fois encore, poignants. Entretien.

Comment l’idée de Nos résiliences est-elle venue ?

J’ai tourné autour de ce roman pendant plusieurs mois. Ce qui m’intéressait c’était de donner la parole à la personne qui n’est pas la victime d’un accident. J’avais cette envie parce que je trouve qu’on n’en parle pas très souvent. J’avais également envie de parler d’une histoire d’amour impossible. Pendant une longue période, j’ai cogité. J’avais tout : j’avais les personnages, j’avais les thématiques que je voulais traiter. Mais il fallait voir comment construire l’histoire pour y parvenir tout en servant le propos que j’avais envie d’aborder : être dans la tête d’une femme dont le mari a un accident.

C’est vrai qu’on parle peu de l’impact qu’un tel choc traumatique a sur les proches d’une victime. Cela vous paraissait important d’apporter ce point de vue ?

Oui, on parle souvent, et à juste titre, des victimes d’accident. Mais on ne parle pas du conjoint ou de la conjointe et ce qu’il ou elle vit. C’est ce qui m’intéresse car les conséquences sont énormes du côté de l’entourage également. On demande des nouvelles de la personne qui est à l’hôpital, et c’est normal. Mais quand demande-t-on des nouvelles de la celle qui aide et est présente au quotidien ? Cela n’arrive pas souvent. Et quand cela arrive, elle n’ose pas forcément répondre, car cette réponse est associée à une forme de culpabilité. Quand, dans le roman, Ava avoue qu’elle ne va pas bien, c’est culpabilisant pour elle. Parce que sur le papier, pour tout le monde, celui qui va mal dans l’histoire, c’est Xavier. Globalement, dans mes romans, j’aime parler de ceux qu’on entend peu.

Xavier et Ava semblent faire le deuil de leurs vies d’avant. Le roman parle beaucoup d’acceptation. D’après vous, peut-on parler de deuil même lorsqu’il n’y a pas de décès après un accident aussi grave ?

Le terme de deuil est peut-être un peu fort. Mais effectivement, il y a cette question de l’acceptation. Au début ils savent que quelque chose a changé mais ils ne savent pas encore exactement quoi ni dans quelle mesure. Ils n’ont pas encore la conscience des conséquences de cet événement traumatique. Alors même qu’il va leur falloir, Ava la première, apprendre à vivre avec. Avae veut tellement se raccrocher à ce qu’ils étaient avant l’accident… Mais c’est impossible, car cette vie n’existe plus. Il y avait une vie avant l’accident et il y en a une autre après. Tout tourne autour de ce questionnement : une fois l’accident accepté, comment peuvent-ils reconstruire leur vie d’après ? L’idée étant qu’il faut non seulement accepter de ne pas oublier mais aussi accepter de vivre avec ce trauma.

L’intimité du couple a une place primordiale dans le roman. Pouvez-vous nous en parler ?

Je suis partie du principe leurs deux corps avant le drame ne faisaient qu’un, ils étaient intimement fusionnels. Tout allait bien dans leur couple, dans leur vie intime. Or quelque chose a été brisé. L’accident, l’hôpital… ont conduit à une rupture, une séparation. Du côté de Xavier, il fait l’expérience de la défaillance de son corps, c’est comme si celui-ci l’avait lâché, trahi. Il ne peut plus faire ce qu’il veut de son propre corps, ce qui est absolument terrible. Il ne se reconnaît plus lui-même. Quant à Ava, elle se pose – et c’est naturel si l’on se place de son point de vue – beaucoup de questions : vais-je reconnaître ce corps couturé, meurti ? Vais-je pouvoir me le réapproprier ? Peut-il être à nouveau le mien ? Y parvenir nécessite tout un cheminement psychologique. Il s’agit de se réapproprier un corps mentalement pour pouvoir le supporter, là encore l’accepter, physiquement.

Vous apportez souvent un point de vue féminin sur des sujets délicats. C’était le cas par exemple avec Une évidence, votre roman précédent. Pourquoi ?

C’est vrai que depuis mon premier roman, j’apporte systématiquement un point de vue féminin. Je pense que c’est simplement et instinctivement parce que je suis une femme. Pour mon cinquième roman, j’alternais les points de vue. Mais pour Nos résiliences, je tenais à rester focalisée dans la tête d’Ava. Je réalise en parcourant mes romans que j’aime donner la parole à des héroïnes, des femmes du quotidien. Leur vie est tout à fait ordinaire. Elles pourraient être n’importe qui autour de nous. Elles ne cherchent peut-être pas l’extraordinaire dans leurs vies mais elles le vivent. Ce qui m’intéresse c’est de parler de femmes qui pourraient exister.

Ces femmes sont souvent très nuancées, jamais parfaites mais jamais antipathiques pour autant.

Oui, car, au final, personne n’est parfait ! Ni Wonder Woman, ni celles qui croient qu’elles le sont : elles ne le sont jamais en réalité. C’est d’ailleurs ce qui les rend si attachantes. J’aime montrer que ces femmes vivent comme elles peuvent. Elles sont capables de dire qu’elles ont besoin des hommes mais elles sont capables de s’en sortir sans eux. Je veux montrer que les femmes peuvent sortir des sentiers battus sans pour autant être jugées pour leurs choix. L’un de mes objectifs quand j’écris est d’essayer d’amener le lecteur à ne pas les juger d’emblée. Je veux qu’il puisse s’identifier et se dire : « Si j’avais été à sa place, qu’est-ce que j’aurais fait ? »

Quelle est l’importance des personnages secondaires dans le roman ?

Pour moi, dans tous les romans, les personnages secondaires sont indispensables. Ce sont ceux qui reflètent le personnage principal. Ce sont eux qui le bousculent, lui font du bien et le font, d’une manière ou d’une autre, avancer. Il est vrai que dans Nos résiliences, on distingue plusieurs catégories de personnages secondaires. D’un côté le cercle amical et familial d’Ava. De l’autre Sacha et Constance, miroirs du couple que forment Xavier et Ava. Leurs vies d’avant sont radicalement différentes, mais tous les quatre sont tendus vers la même quête de résilience.

Que peut-on retenir de ce roman d’après vous ? Quelle leçon de vie peut-on en tirer ?

Je pense qu’il s’agit une fois encore de l’acceptation. Réussir à tirer du positif des épreuves traversées et transformer le traumatisme en quelque chose de mieux. Ce qu’il faut saisir c’est que pour aller mieux, il ne faut peut-être pas lutter contre un traumatisme, mais bel et bien l’accepter pour mieux le dépasser.

Une fois encore, vous avez écrit en musique. Est-ce la musique qui vous inspire ou ce que vous écrivez vous rappelle des chansons que vous affectionnez tout particulièrement ?

Ma playlist se construit au fur et à mesure de l’écriture. Si les morceaux sont aussi nombreux, c’est parce qu’avant même d’écrire une scène, je cherche la musique qui lui correspondait le mieux. Je dois trouver la mélodie qui m’embarquera dans l’atmosphère de ce que je suis en train d’écrire. C’est pour cette raison que si je n’ai pas le bon morceau, j’ai du mal à écrire. Il arrive même que je n’arrive pas du tout à écrire. Il m’est impossible d’écrire – et de me relire – dans le silence. Quand je mets de la musique, je ne choisis jamais une chanson au hasard. Et si je dois écouter un morceau en boucle pendant trois heures pour travailler un passage du roman, je l’écoute en boucle pendant trois heures. (rires) C’est quelque chose qui m’est indispensable.

Si vous deviez retenir trois mots pour décrire ce nouveau roman, quels seraient-ils ?

Je dirais épreuve, culpabilité et pardon. Et si je devais en rajouter un quatrième, ce serait l’amour. Parce que dans l’épreuve, la culpabilité et le pardon, il y a toujours l’amour. D’ailleurs, je crois qu’il y a toutes sortes d’amour dans ce roman.

Nos résiliences est disponible dès ce 20 mai aux éditions Michel Lafon.

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