L’année dernière, Adele, qui a vendu plus de 100 millions de disques depuis ses débuts en 2006, avait choisi de faire une pause, officiellement pour préparer son prochain album (le dernier est sorti en 2016), officieusement pour se remettre d’un chagrin d’amour. En avril 2019, son divorce du père de son fils Angelo, 7 ans, Simon Konecki, semble avoir servi de détonateur. Nouvelle vie, besoin de changement, à 31 ans, la chanteuse commence à maigrir. Beaucoup. En Janvier 2020, des premières photos d’elle, prises par des fans dans les Caraïbes la montrent ayant perdu une vingtaine de kilos. Dans les rédactions des magazine people, très vite, le verdict tombe : Adele suivrait le régime « Sirtfood diet », composé d’aliments contenant des sirtuines, une famille d’enzymes que l’on retrouve dans la pomme, le thé matcha, l’huile d’olive, le soja, les agrumes ou l’oignon. À ce moment-là, sur les réseaux sociaux, c’est l’incrédulité : Adele, une des stars préférées des millenials, est méconnaissable ! Clavicules apparentes, visage émacié, certains fans doutent même qu’il s’agisse bien d’elle. Mais l’heure n’est pas encore aux jugements et aux critiques. L’affaire Adele démarre réellement le 5 mai dernier. Le jour de son 32ème anniversaire, la chanteuse s’affiche sur Instagram en mini robe noire… et ça met le feu aux poudres. Où est passée la jeune maman aux formes voluptueuses ? La chanteuse semble avoir perdu la moitié de son poids ! C’était une belle femme, c’est toujours une belle femme… mais plus du tout la même. Les réseaux s’embrasent et très vite, plusieurs types de commentateurs apparaissent. Le gros des troupes, ce sont les fans qui adorent, félicitent, applaudissent : des inconditionnels, qui, on le devine, trouveraient la chanteuse sublime même si elle se faisait greffer un troisième sein. Face eux, le bataillon des « contre »… pour des raisons très différentes. D’abord, il a les fans qui n’aiment pas la nouvelle Adele, parce qu’ils la trouvaient plus jolie avant. Ce qui est leur droit le plus strict après tout (dans un monde où commenter le physique des stars sur les réseaux est devenu le loisir le plus partagé, mais c’est une autre question). Plus étonnant, parmi les commentaires négatifs, on trouve ceux des militants anti-grossophobie. Adele, au fond, ils s’en fichent, c’est au symbole de sa minceur qu’ils s’en prennent. Pour eux, s’afficher fièrement comme elle le fait, ça signifie qu’elle détestait son corps d’avant… même si la chanteuse n’a fait aucun commentaire dans ce sens. Et puis, une troisième catégorie de « contre » est apparue : celle des fans d’Adele, qui se sont sentis personnellement trahis par sa perte de poids. Dans le « Telegraph », la journaliste Rebecca Reid explique qu’en féministe moderne, la nouvelle silhouette de la chanteuse devrait ne lui faire ni chaud ni froid (« son corps, son choix », après tout). Mais en découvrant le post Instagram de la star, elle a senti son cœur se serrer : « Le corps dont Adele ne voulait plus, c’est le mien ». Rebecca Reid explique qu’elle fait une taille 44, et pendant des années, elle s’est sentie proche de la chanteuse, comprenant la minutie qu’elle mettait à son maquillage et sa coiffure (« une façon de détourner l’attention sur le visage »), s’inspirant de son style vestimentaire, se sentant « validée » par le fait qu’une star de cette envergure -sans mauvais jeu de mots- assume ses rondeurs. Plus douloureux encore pour la journaliste, le flot de commentaires positifs : lire « Adele est tellement plus belle depuis qu’elle est mince », pour elle, c’est conclure « je serais tellement plus belle si moi aussi, j’arrivais à perdre du poids ». De leur côté, les « pour » sont furieux qu’on s’en prenne à la star et insultent les « haters » dans des envolées qui nous ramènent au bon vieux temps du « Leave Britney alone !» (i.e. le célèbre pétage de plomb de Chris Crocker, un fan de Britney Spears en 2007 ndlr). Le coach sportif d’Adele, Pete Geracimo, a ainsi publié un long commentaire sur instagram « Cela fait mal au cœur de lire tous ces commentaires négatifs et ces accusations grossophobes questionnant l’authenticité de son incroyable perte de poids »(…) Adele « a toujours suivi ses propres règles » et « n’a jamais prétendu être quelqu’un qu’elle n’était pas »…. etc etc.
Dans cette affaire, tout le monde semble se sentir blessé, et l’on songe à l’essai « Génération offensée » de Caroline Fourest (Grasset), qui dénonce ces « petits lynchages ordinaires, qui finissent par envahir notre intimité, assigner nos identités, et censurer nos échanges démocratiques. Chaque jour, un groupe, une minorité, un individu érigé en représentant d’une cause, exige, menace, et fait plier ». Une seule voix, à l’heure où nous rédigeons ces lignes, ne s’est pas encore exprimée. Celle d’Adele, qui doit se demander par quel étrange phénomène son corps est devenu le sujet de débat du moment. Et au-delà de son cas personnel, se poser la question : Après des décennies où les stars n’avaient pas le droit de grossir, en 2020, ont-elles encore le droit de maigrir ?
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