Interview.- Le virus rôde encore et toujours, et l’angoisse aussi. À quelques jours du déconfinement progressif le 11 mai, certains ressentent une boule de nœuds au ventre, au point d’hésiter à replonger dans le monde extérieur. Explications avec une psychosociologue.
On l’attendait avec impatience depuis plus de quarante jours. À compter du lundi 11 mai, date du déconfinement progressif, certains vont reprendre le chemin du travail et de l’école. Plus besoin d’attestation pour sortir dans la rue. Pourtant, à l’approche du jour J, chez certains la peur prend le dessus sur le désir de liberté, les poussant vers l’extérieur d’un pas que très moyennement assuré. La psychosociologue Dominique Picard (1) revient sur cette période de doute, passagère la plupart du temps, et donne les clés pour la surmonter.
En vidéo, comment les Français vivent-ils le confinement ?
Madame Figaro.- Pour certains, le déconfinement est source d’angoisse, peut-être même plus que le confinement. Comment l’expliquez-vous ?
Dominique Picard.– Le confinement a été rendu possible et admissible aux yeux des gens uniquement parce qu’il a été présenté comme une solution pour se préserver soi-même et les autres d’une menace. Cette perception d’un monde extérieur hostile a été intériorisée et favorise certainement l’angoisse du déconfinement. D’autant plus que les autorités référentes ne sont pas rassurantes. On nous dit que le virus circule moins mais pas qu’il ne circule plus. Jusqu’à présent on a la possibilité d’échapper à ce danger en le laissant à l’écart, maintenant il va falloir l’affronter. Généralement, dans ce genre de situation, un compte à rebours nous donne la possibilité de nous raccrocher à quelque chose de positif pour tenir. Sauf que là, nous ne savons pas combien de temps cela va durer et il n’y a rien de plus angoissant que l’inconnu.
La crainte d’une deuxième vague d’épidémie occupe beaucoup les esprits. Pourquoi se focaliser sur le pire à venir ?
Nous ne sommes pas confrontés encore à la réalité du déconfinement et nous restons donc encore dans l’imaginaire. L’épidémie a réveillé nos peurs les plus primitives, le grand méchant loup est partout et à la fois difficile à repérer. De sorte que tout ce qui touche de près à notre quotidien, en dehors de la maison, est considéré, souvent de façon exagérée, comme «potentiellement» dangereux. En alertant sur le risque de la deuxième vague d’épidémie, les médecins ont ainsi mis en valeur un «super danger» et ont cristallisé dans nos esprits toute la peur autour de lui. On ne sait pas bien ce que c’est mais on peut le nommer et donc mieux le maîtriser. Il s’agit d’un processus de réassurance.
Attestation, gestes barrières… Les règles auxquelles nous étions soumis jusqu’à maintenant nous ont-elles fait perdre notre insouciance au profit de l’hypervigilance ?
D’une certaine manière oui. En suivant toutes ces règles, on nous a demandé de changer notre comportement et d’être de bons petits soldats. On ne sort plus aussi simplement qu’avant. Dès qu’on fait un pas dehors, il faut remplir l’attestation, mettre son masque… Certes, cela nous oblige à penser constamment à la maladie, mais d’un autre côté, ces gestes nous offrent un cadre rassurant. Seulement, le déconfinement vient tout bouleverser à nouveau. En exagérant un peu, nous allons devoir réapprendre la liberté. Si cette notion peut paraître séduisante au premier abord, elle est plus complexe en réalité. Au lieu de donner des directives, les autorités vont désormais faire appel davantage au civisme, nous laissant face à notre propre libre arbitre. Prenons le port du masque, nous avons la liberté de le porter ou non mais nous avons également la responsabilité des autres. Si je décide de ne pas en porter alors que je côtoie une personne à risque, je suis responsable. Même chose pour le télétravail. Jusqu’à présent, il était imposé mais bientôt pour beaucoup cela ne sera plus le cas. Sans compter que prendre une décision ne sera pas chose aisée puisque les réponses offertes relèvent de domaines où même les spécialistes sont en désaccord. Comme l’inconnu, le flou n’est pas rassurant.
Le retour à la vie quotidienne s’accompagne également d’une reprise du contact humain. Là aussi, nous sommes partagés entre la joie et l’appréhension…
C’est compréhensible. Nous allons retrouver les mêmes personnes, renouer les mêmes rapports, sauf que le contexte sera nouveau. Si on avait l’habitude de se faire la bise ou de sauter dans les bras de ses amis, on ne pourra plus le faire sans leur demander au préalable leur accord, en particulier si la personne a peur du contact. Cela va inévitablement gêner la spontanéité des échanges mais il peut en ressortir quelque chose de positif, en particulier avec nos proches. Il s’agit d’une belle occasion pour aborder des questions personnelles, échanger plus profondément, imaginer une nouvelle complicité, une tendresse. De manière générale, je pense que se reconnecter avec le monde extérieur nous sera bénéfique. Pour preuve, le regain des rendez-vous chez le coiffeur. Cela pouvait sembler au départ superficiel mais non. On reprend contact avec tout ce qui nous conforte dans notre image de soi, notre existence.
Quelles sont les clés pour sortir de notre bulle protectrice en douceur ?
D’abord, il me paraît important d’essayer d’être le plus en prise avec ce qu’on éprouve. École ou non, télétravail ou pas… Plutôt que de se demander «ce qu’il faut faire», on se demande surtout dans quelle situation on se sentirait le mieux. Se forcer ne servirait à rien. En revanche si on souhaite affronter ce qui nous panique, les transports en commun par exemple, il est bon de le faire dans les meilleures conditions, en demandant peut-être à un proche de nous accompagner. Si l’angoisse subsiste, il ne faut pas hésiter à en parler avec des interlocuteurs de confiance par téléphone, contacter un ami, une plateforme téléphonique d’écoute ou un thérapeute. Le cas échéant, cette forte anxiété risque de nous ronger de l’intérieur, jusqu’à handicaper nos facultés de réflexion et d’action.
(1) Dominique Picard est l’auteure de Relations et communications interpersonnelles, publié aux éditions Dunod, 132 pages, 4,50 €.
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