De « votre colin, avec ou sans patates ? » à « je vais vous montrer qu’on a de la dignité chez les Rougemont », Geneviève et Charles-Henri ont intégré le panthéon des personnages secondaires inoubliables de la comédie française. Leurs interprètes, Annick Alane et Pierre Meyrand, nous ont certes quittés, mais leur mémoire perdure notamment grâce au succès intemporel du film Les Trois Frères.

Deux séquences – l’une à jeun, l’autre sous l’emprise de l’alcool – et une bonne dose de répliques garanties « cent patates » auront suffi à introniser Charles-Henri et Geneviève Rougemont au sein de la grande confrérie des personnages secondaires cultes. Archétype de couple petit-bourgeois outrancier encombré d’une fille aussi blâfarde et empotée que dure à « caser » (Isabelle Gruault), le duo formé par Pierre Meyrand et Annick Alane pour la comédie culte Les Trois Frères (1995) a laissé un souvenir impérissable. Les deux acteurs ont eux, hélas, tiré leur révérence…

Mort en 1999 à 67 ans seulement, emporté par un cancer (et non par la dignité, comme son fameux personnage), Pierre Meyrand n’aura survécu que quelques années au film à succès des Inconnus, plébiscité par près de 7 millions de spectateurs lors de son exploitation en salles, et n’aura eu dans cet intervalle que peu d’opportunités de se signaler au grand écran, apparaissant dans des rôles mineurs dans On connaît la chanson d’Alain Resnais (1997) et Charité biz’ness (1998) de Thierry Barthes et Pierre Jamin. L’essentiel, s’il était pourtant déjà passé devant la caméra de Rivette, Deville, Bertucelli ou Leconte, était en fait ailleurs : depuis la fin des années 1950, c’est au théâtre que Pierre Meyrand s’était bâti une solide carrière de comédien, d’abord auprès de Roger Planchon, pendant une dizaine d’années, au Théâtre de la Cité Villeurbanne comme sur les plus prestigieuses planches parisiennes (Montparnasse, Odéon, Champs-Elysées, Chaillot…), jouant Molière, Shakespeare, Marivaux et Dumas (campant chez ce dernier D’Artagnan).

En 1974, il prend le virage du Théâtre en Liberté, nom de la compagnie qu’il fonde avec celle qui, suite à leur rencontre l’année précédente, va devenir sa femme, Arlette Téphany (disparue en juillet 2018), et sa partenaire artistique. Le couple prendra ainsi en tandem la tête plusieurs théâtres, notamment le Centre dramatique national du Limousin, et Pierre évoluera régulièrement sous la direction d’Arlette – Brecht, Ionesco, Giraudoux… Ce sera toutefois sous celle de Régis Santon qu’il glanera le Molière 1995 du comédien pour sa performance dans Les Affaires sont les affaires d’Octave Mirbeau.

Sa camarade de jeu dans Les Trois Frères, Annick Alane, lui a survécu de longues années, s’éteignant en octobre 2019 à l’âge de 94 ans après avoir continué à occuper les écrans, le petit et le grand.

Elle-même créditée de deux Molières (Molière de la comédienne dans un second rôle en 1993 et 2000), qui attestent de son parcours également remarquable et intensif au théâtre, l’interprète de Geneviève Rougemont chez Les Inconnus était ainsi réapparue par la suite dans 18 ans après (2003) de Coline Serreau (laquelle l’avait déjà fait tourner les années précédentes dans Trois hommes et un couffin et La Crise), Vipère au poing (2004) de Philippe de Broca, Deux jours à tuer (2008) de Jean Becker, La Femme invisible (2009) d’Agathe Teyssier, La Clinique de l’amour (2012) d’Artus de Penguern et, la même année, en compagnie de son fils Bernard Alane dans le film d’animation Le Magasin des suicides de Patrice Leconte. Dernières lignes d’une filmographie riche de rôles pour Edouard Molinaro (Hibernatus, 1969), Claude Pinoteau (La Gifle, 1974, et La Septième Cible, dix ans plus tard), Alain Delon (Pour la peau d’un flic, 1981), Claude Sautet (Garçon !, 1983), Jacques Demy (Parking, 1985), Claude Zidi (La Totale !, 1991), Claude Berri (Germinal, 1992)…

Sans oublier toute une galerie de rôles mineurs en télévision, de téléfilms (dont le dernier, Les Mauvaises Têtes, en 2013, était porté par Daniel Prévost et Camélia Jordana) en séries à succès : Les Cinq Dernières Minutes, L’Homme du Picardie, Maigret, Maguy, Le Comte de Monte-Cristo, Louis La Brocante ou encore Joséphine, ange gardien.

Quant à Isabelle Gruault, elle semble, l’inénarrable Marie-Ange des Trois frères, elle semble, à l’image de son personnage, avoir eu du mal à se caser à l’écran, après de fugaces passages dans… Les Passagers (1999) de Jean-Claude Guiguet et L’Adversaire (2002) de Nicole Garcia.


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