En ce moment, vos proches confondent votre numéro de téléphone avec celui d’un psychologue. Aussi noble soit votre bienveillance, vous flirtez dangereusement avec l’épuisement. Comment l’éviter ? Réponses avec trois spécialistes en psychologie.

Ces dernières semaines, votre forfait téléphonique explose. En plus d’entendre les inquiétudes des amis vis-à-vis de l’épidémie du nouveau coronavirus, vous multipliez les appels auprès de vos proches, seuls et parfois vulnérables. Avant de vous épuiser à la tâche, trois spécialistes en psychologie listent les bons réflexes à avoir pour ne pas fléchir face à cet environnement anxiogène.

S’écouter

Avant de contacter un proche anxieux, la première chose à faire est de prendre la température de ses émotions. «Il ne faut pas seulement faire preuve de bonne volonté pour aider les autres car leur souffrance peut être coûteuse psychiquement et en fonction de notre histoire personnelle, de notre état d’esprit, on peut facilement être envahi par le récit de l’autre», détaille Hélène Romano (1). Cette psychologue clinicienne et docteure en psychopathologie a travaillé avec le neuropsychiatre Boris Cyrulnik sur les cellules psychologiques d’urgence. Elle y a observé des traumatismes vicariants, aussi appelés traumatismes compassionnels, chez des écoutants lors d’attentats et d’accidents. «On peut être touché par le récit mais pour ne pas être contaminé par l’angoisse, il ne faut pas se mettre au niveau de la victime et garder sa capacité à raisonner», insiste la spécialiste.

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Fixer des limites

L’empathie n’est pas élastique. C’est pourquoi, établir des limites entre soi et les autres suffit à mieux se protéger émotionnellement. «En fonction de sa fragilité actuelle due au confinement, on va se demander chaque jour ce que l’on peut supporter comme conversation, téléphonique ou non, avec quelle personne», propose le docteur en psychologie Saverio Tomasella (2).

Dans certains cas, fixer une limite de temps s’avère bénéfique. «Il ne s’agit pas d’ignorer la détresse de son ami ou de son parent mais de donner un cadre à la conversation, en leur disant sans être sec ni cassant, « je n’ai que 15 minutes à t’accorder »», nuance la psychologue clinicienne Hélène Romano.

Instaurer un dialogue positif

L’épidémie est au cœur de l’actualité et donc se retrouve (trop) souvent au centre des discussions. Certains de nos proches nous rappellent parfois de façon brutale le bilan de morts ou nous relaient des fake news effrayantes. En réaction, apportez une touche plus gaie à la conversation. Anecdotes de vacances, blagues, déménagement, recettes de cuisine… «Des chercheurs en psychologie positive de l’Université de Harvard ont démontré que les personnes qui se portent le mieux, sur le plan physique et psychologique, sont celles qui savent faire appel à de bons souvenirs et qui multiplient les projets, rapporte le docteur en psychologie Saverio Tomasella.

Accepter la réalité

Loin des yeux, près du cœur, dit-on. Trop près parfois, quand notre entourage se transforme en une cible potentielle qui, pour des raisons de santé ou d’âge, est susceptible de contracter le nouveau coronavirus. Alors la tentation de les appeler plusieurs fois par jour est grande, juste pour vérifier que tout va bien. «Vouloir empêcher que l’inévitable se produise nous épuise forcément», observe le docteur en psychologie Saverio Tomasella. Mais ce n’est pas en les contactant plusieurs fois par jour qu’on va éloigner la menace du virus. «On reste dans la continuité du lien à l’autre, comme avant, sans tomber dans l’excessif», recommande Hélène Romano. «Même si elle est difficile, la réalité doit être acceptée : nous sommes dans une crise sanitaire, économique qui nous prive de liberté et ainsi de voir nos proches», ajoute Saverio Tomasella

Faire preuve de sincérité

Le confinement revient finalement à faire le deuil. Celui de notre travail, de l’école, de notre rythme de vie et parfois de nos proches. Si cette pandémie a réveillé toutes sortes d’angoisses liées la mort, le docteur en psychologie Saverio Tomasella insiste pour les renverser en notre faveur. «Au lieu d’imaginer un scénario dramatique, mettons de côté cette échéance hypothétique et profitons-en pour s’ouvrir aux autres, confier ce qu’on a sur le cœur», invite le spécialiste.

Partager des gestes de tendresse

«Prends soin de toi», «bon courage»… Après cinq semaines de confinement, quand on a fait le tour de ses émotions, les mots d’encouragement commencent à être usés. Les marques d’affection en revanche n’ont pas de limite. «Une caresse sur la joue, une main sur l’épaule fait toujours du bien, à soi et aux autres, note le docteur en psychologie Saverio Tomasella. Et quand les proches ne sont pas là, rien ne nous empêche de décrire nos gestes : « je te serre fort dans mes bras » ou « je te prends la main »».

Passer le relais

Dans certains cas, la saturation émotionnelle de son interlocuteur est telle que ni les mots ni les gestes suffisent. La psychiatre Christine Barois (3) recommande vivement d’orienter ce proche vers un professionnel, un groupe de parole ou une association formés à ce type de situation. «On le rassure en lui disant qu’on entend sa détresse mais que nous nous sentons pas en capacité de l’accompagner correctement, avec les bons outils», indique la psychiatre. «La pire chose, c’est de leurrer le proche en lui faisant croire qu’on le soutient à 100 % alors que ce n’est pas le cas», avertit la psychologue clinicienne Hélène Romano.

Déverser ses émotions

Une fois le téléphone raccroché ou la conversation terminée, les techniques de méditation ou de respiration abdominale sont idéales pour apaiser son stress et se recentrer sur soi. Et si on a du mal à évacuer et que l’on ne souhaite pas appeler à son tour un autre ami pour se confier, le docteur en psychologie Saverio Tomasella recommande de prendre la plume pour écrire ce qu’il appelle un «déversoir». «Sur une feuille de papier ou dans un cahier, on y inscrit toutes nos peurs, nos angoisses et nos révoltes, précise-t-il. A la fin, on ne le relit pas comme un journal intime mais on tourne la page ou on la jette pour ne rien ressasser.»

(1)Hélène Romano est l’auteure de Je suis victime, l’incroyable exploitation du trauma, avec Boris Cyrulnik, publié aux éditions Philippe Duval, 150 pages, 14,50 €.

(2) Saverio Tomasella est l’auteur de Se libérer du complexe de Cendrillon, publié aux éditions Eyrolles, 160 pages, 18 €.

(3) Christine Barois est l’auteure de Pas besoin d’être tibétain pour méditer, publié aux éditions Solar, 258 pages, 16,90 €.

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