Interview.- En période de confinement, les émotions fluctuent davantage, tout comme la libido. Si certains conservent une vie sexuelle active, physique ou à distance, d’autres voient leur désir se faire la malle. Explications avec le psychanalyste et sexothérapeute Alain Héril.
L’épidémie du coronavirus nous assigne, sans qu’on le veuille, à résidence. En voyant le verre à moitié plein, la situation semble idéale pour les couples confinés et promet d’agréables retrouvailles, aussi bien sur le plan amoureux que sexuel. De quoi rendre envieuses les personnes seules, célibataires ou en relation à distance, dont le contact physique et intime est inaccessible momentanément. Pourtant, dans les faits, le scénario est loin d’être aussi simple et tranché. En réalité, stimuler et maintenir sa libido demande à tous de redoubler d’efforts et de créativité, comme le souligne le psychanalyste et sexothérapeute Alain Héril, auteur de L’orgasme thérapeutique (1).
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Madame Figaro.- Les conditions du confinement et la menace de la pandémie mondiale mettent-ils en péril notre désir sexuel ?
Alain Héril.- Certainement. Le confinement a changé les règles du jeu : on ne passe plus la quasi-totalité de sa journée au travail mais à la maison, avec son partenaire, parfois pour la première fois et cela nous déstabilise. Beaucoup de mes patients l’avouent : il est compliqué en ce moment de rester désirant et désirable aux yeux de l’autre, d’entretenir la séduction tout en étant l’un sur l’autre 24/24h. Ce qui alimente la libido ce n’est pas l’ordinaire mais l’extraordinaire : les sorties au restaurant, les vacances, les loisirs, les soirées entre amis. À partir du moment où l’accès à toutes ces choses nous a été restreint, voire interdit, on est ramené de plein fouet dans le quotidien. Il arrive que son poids devienne insupportable. Sans séduction ni mystère ni inattendu, le corps de l’autre nous lasse. Bien entendu, l’impact du confinement diffère selon les couples ; tout dépend de l’espace à soi disponible, des antécédents et de l’âge de la relation.
Quand elle est encore présente, quel rôle joue la sexualité face à cette situation angoissante ?
Ces dernières semaines, de nombreuses personnes affichent un rapport excessif à la nourriture ou à la boisson pour lutter contre les effets négatifs du confinement. Pour certains, la sexualité a le même objectif : on fait l’amour pour décharger l’angoisse intérieure à l’extérieur, pour remplacer les sensations dépressives par celles du plaisir. Il y a très peu d’émotions et de jeu dans cet acte, il s’agit là plutôt d’une sexualité fonctionnelle, mécanique. Seulement, plus on avance dans le confinement, plus les rapports sexuels baissent. La plupart des couples qui étaient dans une sexualité normale et régulière tendent progressivement vers l’abstinence. Pour avoir une libido épanouie, on a besoin de joie, de se sentir en sécurité… Ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle : plus l’angoisse monte, moins le désir se fait ressentir.
Paradoxalement, à en croire la multiplication des envois de « sextos », de « nudes » ou le recours aux sites pornographiques et aux « livecams », l’expression de la sexualité en ligne n’a jamais été aussi présente pendant le confinement. Comment l’expliquez-vous ?
Quand on vit seul.e, l’ennui et le manque de contact humain sont sources de stress. Comme ces personnes ne peuvent pas avoir de tels contacts humains directs, elles cherchent alors des compensations virtuelles. Ce n’est pas complétement satisfaisant parce qu’on n’a pas vraiment la chair de l’autre sous les mains mais elles permettent de relâcher les tensions et d’activer les fantasmes. De cette manière, les couples à distance, par exemple, trouvent des nouvelles façons d’érotiser la distance qui les sépare. Au lieu d’offrir son corps, on partage son intimité à travers des mots, des photos et des jeux. Des études récentes démontrent également une augmentation des ventes de sextoys. Que l’on soit en couple ou non, l’activité masturbatoire participe à cette circulation du désir en soi et dans le maintien du lien à l’autre.
Chez les couples confinés ensemble, comment le désir peut-il trouver une place au milieu des enfants et du télétravail ?
Il n’existe pas de mode d’emploi tout préparé. C’est à la charge du couple de le trouver. Si le désir n’est pas là, cela ne sert à rien de se forcer. Il faut tout simplement en parler et ne pas dramatiser la situation. Ce dialogue peut se programmer, en dehors de la journée de télétravail, lors de rendez-vous amoureux ou sexuels, si le cœur y est, où l’on laisse le choix à l’autre de décider du scénario et vice-versa. Les mots sont aussi importants. Même confinés ensemble, les poèmes érotiques, les sextos et tout ce qui est propre au jeu relationnel à distance se prête aussi à la situation. On ne doit pas oublier que la sexualité reste un espace de créativité. Et si on a peur d’être surpris par les enfants, on sanctuarise la chambre parentale et on leur explique, sans rentrer dans les détails, que les parents ont besoin de ce temps pour eux seuls.
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À quoi ressembleront nos vies sexuelles après le confinement ?
Je me pose exactement cette question. Je ne pense pas que tout le monde va se sauter dessus, comme on aime l’imaginer. Lors du déconfinement, la vie comme le travail et la scolarité des enfants vont reprendre son cours. Cette confrontation du réel nous amènera au concret. Avec lui, les sexualités continueront d’être multiformes. Certaines personnes contribueront au prochain baby-boom en fin d’année prochaine, d’autres seront plus créatifs dans leur approche de l’autre ou encore… referont l’amour tout simplement, comme avant l’épidémie.
(1) Alain Héril est l’auteur de L’orgasme thérapeutique : Quand le plaisir chasse la douleur, publié aux éditions Grancher, 158 pages, 16€
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