Journées à rallonge, manque de personnel et de matériel de protection, personnes âgées en détresse… Gérante d’une petite entreprise d’aide à domicile, Axelle Bijou raconte son quotidien pendant la crise du coronavirus.
«Quand je vois tout ce qui se passe en ce moment dans les Ehpad, je me dis que j’ai fait le bon choix. C’est terrifiant de voir ces personnes mourir dans de telles conditions.» Après 17 ans de carrière en tant qu’infirmière coordinatrice dans une maison de retraite de Bordeaux, Axelle Bijou a sauté le pas l’an dernier et a ouvert son agence d’aide à domicile, pour personnes «très âgées et personnes souffrant de troubles cognitifs», précise-t-elle. Parmi ses vingt clients bénéficiaires de l’APA (Allocation Personnalisée d’Autonomie), quatre ont Alzheimer et la plupart ont plus de 90 ans. Sur le pont de 8h à 21h30, 7 jours sur 7, la gérante d’AD Seniors Mérignac ne compte pas ses heures et multiplie les casquettes pour répondre aux besoins de ses bénéficiaires et de sa petite équipe, tout en assurant la bonne marche et le développement de sa jeune entreprise.
« Je passais mon temps à quémander des masques »
Passionnée et entièrement dévouée au bien-être de ses clients, elle ne s’attendait pas à ce que son quotidien déjà bien rempli, bascule brutalement dans la gestion de crise. Aide à la toilette, préparation et prise des repas, courses, ménage, avant l’épidémie de Covid-19, AD Seniors Mérignac employait cinq auxiliaires de vie. Aujourd’hui, elles ne sont plus que deux à intervenir auprès des vingt clients, les trois autres ont été mises en arrêt maladie. Au manque de personnel s’ajoute celui du matériel de protection. «Pendant les trois premières semaines, c’était infernal. Je passais mon temps à quémander des masques en allant de pharmacie en pharmacie. J’ai trouvé ça humiliant», s’indigne la gérante, qui reçoit désormais une boîte de cinquante masques par semaine.
«En ce moment ça nous suffit tout juste parce que nous ne sommes plus que trois à bosser. Mais on ne peut pas changer de masques après chaque client. On en utilise un le matin et un autre l’après-midi », précise Axelle Bijou qui s’inquiète de la contamination pour ses clients et son personnel. «Chaque jour, c’est une petite victoire, quand aucun de mes vingt bénéficiaires ne part à l’hôpital.» Et pour ceux qui préfèrent limiter les risques en suspendant le passage des aides à domicile, l’agence propose un service de soutien par téléphone. Chaque semaine, la gérante envoie également une lettre d’informations Covid-19 afin de rassurer les bénéficiaires et leurs proches.
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Détresse morale et psychique
Face au désarroi des personnes âgées déboussolées par le confinement, l’ancienne infirmière en Ehpad prend le pas sur la chef d’entreprise. «J’assure moi-même cinq heures de prestation par jour auprès de cinq bénéficiaires. Et en ce moment, on passe beaucoup de temps à faire leurs courses», regrette Axelle Bijou, dont la mission première est de maintenir l’autonomie des personnes âgées. «Vu la situation, c’est du temps perdu sur les autres tâches et une prise de risque en plus.» Sans compter les responsabilités supplémentaires qu’il faut assumer pour éviter d’appeler le médecin ou d’aller à l’hôpital.
Si son agence ne recense aucun cas de Covid-19 pour le moment, la détresse morale et psychique est bien réelle, notamment chez les malades d’Alzheimer. «Ils montent très vite en pression», explique-t-elle. «En ce moment, j’interviens chez un couple où le mari souffre d’Alzheimer. Avec le confinement, sa femme n’en peut plus, elle risque d’imploser. Donc deux fois par semaine, j’accompagne le monsieur pour une heure de marche afin de faire baisser la tension et pour permettre à sa femme de souffler un peu.»
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Axelle Bijou, gérante d’AD Seniors Mérignac
Mais cet engagement de tous les instants n’est pas sans conséquences sur la vie de famille. Mère de deux adolescents et épouse d’un médecin travaillant dans un service de cancérologie, elle ressent une certaine culpabilité à laisser ses fils seuls durant de longues heures. «À cet âge-là, on n’a pas vraiment de visibilité sur ce qu’ils font de leur journée. En plus, je suis une vraie éponge, j’absorbe les angoisses de mes clients, parce que mon travail c’est de leur rendre la vie plus agréable. Résultat, c’est chez moi que je dépose mon stress. Je puise aussi beaucoup d’énergie pour faire en sorte que tout se passe bien pour mon équipe, pour les motiver. Mais je me demande combien de temps on va tenir.»
Ménage, lessive, préparation des repas, courses, si ses enfants rechignent à la tâche, Axelle peut compter sur son mari Fontanet pour leur préparer des bons petits plats. «Heureusement, parce qu’avec moi on ne mangerait que du pain et du fromage», dit-elle en riant.
Une tension chaque jour plus lourde
Après douze mois d’activité et seulement un week-end de repos, la tension se fait chaque jour plus lourde sur les épaules de l’énergique quinquagénaire, pourtant habituée aux situations de crise. Au Cameroun, au Soudan et en Haïti où Axelle a travaillé comme infirmière avant de revenir en France, elle a vu et vécu des choses terribles. «Ces expériences me servent encore aujourd’hui. Elles m’ont apporté une force psychologique qui me permet de prendre du recul. J’ai aussi appris à faire avec le matériel que j’avais et à ne jamais le gaspiller.» Redoublant d’efforts, la vaillante équipe d’AD Seniors Mérignac tient le coup.
«Le bon côté de cette crise, c’est qu’elle a permis une montée en compétences de mes deux auxiliaires. Elles sont toujours à mes côtés et font preuve d’une grande solidarité. Au final, ce sont ces personnes, celles que l’on croise sans vraiment les voir, qui sont sur le terrain. Elles méritent une meilleure reconnaissance.»
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