Alors que près de 6 millions de contrôles et 359.000 procès verbaux ont été dénombrés depuis le début du confinement, de plus en plus de témoignages relayant des verbalisations abusives abondent sur les réseaux sociaux. L’analyse de Sarah Massoud, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature.

Au 1er avril, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a dénombré près de six millions de contrôles réalisés, et 359.000 procès verbaux dressés depuis le début confinement, démarré le 17 mars. 

Depuis l’arrêt du 23 mars, on encourt jusqu’à six mois d’emprisonnement, et 4700 euros d’amende, en cas de quatre contraventions, sous trente jours, pour non-respect des règles du confinement. Le gouvernement a déjà modifié le montant des amendes à plusieurs reprises, celle pour une première récidive ayant été baissée de 1500 à 200 euros le 28 mars, par exemple.

Des témoignages d’amendes abusives relayées en masse

Les témoignages de personnes verbalisées pour des motifs irrecevables s’accumulent sur les réseaux sociaux. C’est le cas de cette famille verbalisée dans le Calvados pour s’être rendue à un enterrement, alors que c’est parfaitement autorisé, ou de ces des personnes sanctionnées pour des courses jugées comme n’étant pas de « première nécessité », alors que le gouvernement n’a pas explicité ce qu’il entend par là. Ce blog en répertorie ainsi des dizaines d’exemples.

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Le 30 mars, Romain Pigenel, directeur de la stratégie de l’Institut du monde arabe, raconte sur Twitter avoir reçu une amende parce qu’il n’avait pas entièrement recopié l’attestation de déplacement dérogatoire, alors que le site du gouvernement mentionne bien que ce n’est pas obligatoire. Son récit a été très relayé, au point que compte Twitter officiel de la Préfecture de police a confirmé que la verbalisation ne tenait pas. 

Des consignes floues qui augmentent le risque de contraventions abusives

Le confinement est bien sûr indispensable. Aucun vaccin, ni traitement, n’existe encore face au SARS-CoV-2 -trois fois plus contagieux que la grippe- et les hôpitaux sont surchargés face à l’afflux de malades. 

Mais le flou entourant les règles du confinement édictées par le gouvernement laisse la place à une interprétation large, avec le risque d’une verbalisation disproportionnée. 

Sarah Massoud, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, décrypte pour Marie Claire* les raisons de ces interprétations variables, et fait part de l’inquiétude du monde juridique face à ces contrôles a minima réalisés en masse, qui peuvent avoir de lourdes conséquences financières sur les personnes verbalisées.

Marie Claire : Le Syndicat de la magistrature a cosigné une tribune pour dénoncer les contrôles abusifs, violents et discriminatoires en cette période de confinement, notamment dans les cas de racisme ou d’homophobie. On voit circuler sur les réseaux sociaux des témoignages de personnes verbalisées de manière abusive pour non-respect des règles du confinement. Êtes-vous aussi attentifs à ce sujet ?

Sarah Massoud : D’une manière générale, nous avons contesté, dès l’origine, la création de ces nouvelles infractions. Dans la loi instaurant l’état d’urgence sanitaire, le fait qu’on ait créé de nouvelles infractions – qu’elles soient contraventionnelles ou délictuelles en cas des récidives, avec un délit pour lequel est encourue une peine de 6 mois d’emprisonnement en cas de 4 réitérations, n’est pas anodin car c’est le seuil qui permet de passer en comparution immédiate.

Dès l’adoption de cette loi, nous nous sommes largement interrogés sur l’opportunité d’une telle répression et nous avons exprimé des inquiétudes. Nous appelions à une extrême vigilance car pour nous, il allait forcément y avoir des difficultés dans la mise en oeuvre de ces infractions.

La mise en oeuvre de ces nouvelles infractions aboutit à des erreurs et inexactitudes et peuvent avoir des conséquences sur la vie des gens

Ces inquiétudes datant d’il y a 15 jours se révèlent aujourd’hui sur le terrain car on voit bien que la mise en oeuvre de ces nouvelles infractions aboutit à des erreurs et inexactitudes et peuvent avoir des conséquences sur la vie des gens, notamment en fonction de leurs moyens financiers. On voit aussi que des personnes sont jugées de manière urgente et risquent l’emprisonnement alors que l’enjeu, face à cette pandémie, est de vider les prisons et de ne pas recourir à de nouveaux mandats de dépôt.

En ce qui concerne les contraventions qui seraient inadaptées ou pas appropriées, et pour lesquelles les règles de constatation ne seraient pas suffisamment conformes aux règles de droit applicables, nous n’avons pas encore de photographie exhaustive pour pouvoir établir un bilan, mais nous commençons à avoir des remontées. Nous n’avons pas les outils et les moyens nécessaires au Syndicat de la magistrature pour évaluer la vague, mais il y a énormément de contrôles, c’est sûr, plus de 350.000 ayant été réalisés depuis le début du confinement selon les chiffres publiés.

En l’état des remontées, je ne pourrais pas vous dire si on est face à des poursuites disproportionnées ou pas. Si nous n’avons pas assez de recul pour savoir comment il est appliqué, pour nous, toutefois, la création d’un tel délit avec 6 mois de prison encourus est disproportionné par nature, étant indiqué que quelques jugements ont déjà été rendus mais nous n’en connaissons pas encore le détail.

Est-ce que cela pose des problèmes en terme de vérification des cas qui ont amené à contravention ?

Comme on se retrouve face à des contrôles a minima, qui ne sont pas entourés de garanties précises, ça va être extrêmement difficile pour les juges de savoir dans quelles circonstances et dans quelles conditions les contrôles ont été effectués, et par ailleurs s’il y a eu récidive ou réitération. Pour pouvoir condamner sur la base de contrôles policiers, il faut pouvoir disposer de tous les éléments qui encadrent ces contrôles.

[…] Comment vérifier la bonne ou mauvaise foi d’une personne ? Tous ces éléments qui permettent de comprendre le respect, ou le non-respect, ou le respect insuffisant de la loi à cet instant T, en terme probatoire, ne sont pas pris en compte dans le cadre de ces contrôles.

Comment vérifier la bonne ou mauvaise foi d’une personne ?

Il faut aussi le reconnaître, les policiers ou gendarmes sont dans une position très compliquée. On ne leur a pas donné non plus tous les outils suffisants pour effectuer des contrôles et verbalisations dans des conditions satisfaisantes. Ils n’avaient pas de masques jusqu’à il n’y a pas très longtemps, certains sont tombés malades d’ailleurs. On les met encore en difficulté pour alimenter une communication de l’exécutif centrée sur l’idée qu’il faut respecter le confinement à tout prix. Mais est-ce que cela doit absolument passer par cette répression et cette pression sur les forces de l’ordre ?

Il ne faut pas oublier que quand Mme Belloubet [Garde des Sceaux, ndlr] est arrivée à l’Assemblée Nationale pour soumettre cet amendement de dernière minute présentant ces nouvelles infractions, il y a eu une opposition de tous les groupes parlementaires pour dire que c’était disproportionné par rapport à l’objectif sanitaire poursuivi. Il y a eu une suspension de séance, puis des tractations, puis un nouveau débat avec un projet de contraventions et de délits avec des peines moindres.

C’est dire que dès l’origine, il y avait quand même cette idée du gouvernement qu’il fallait absolument afficher une répression sévère contre les non-respects des mesures de confinement. Je ne suis pas sûre que ces mesures répressives dissuadent les gens, qui sont pour beaucoup de bonne foi. Ça a pris certes un peu de temps, mais les Français ont compris ce qu’ils doivent faire et ne pas faire.

Il est donc de la responsabilité du gouvernement d’être plus précis pour limiter ces amendes abusives ?

Il faut absolument que le gouvernement revoie sa communication, qui est extrêmement floue, voire contradictoire, parfois même dans une même journée ! Je pense que la très grande majorité des citoyens est responsable et a compris les enjeux d’un tel confinement, mais il faut que les consignes soient claires et transmises de manière exhaustive. Or, ce n’est pas le cas. 

Il faut absolument que le gouvernement revoie sa communication, qui est extrêmement floue, voire contradictoire

Plus les informations communiquées seront précises, plus un climat de confiance s’installera. Et les policiers ont besoin d’avoir des informations précises pour pouvoir contrôler de manière plus sereine, et ce n’est pas en passant par plus de répressif et de verbalisation que cela se fera.

On voit circuler sur les réseaux sociaux des témoignages de personnes verbalisées sur la base du contenu de leurs courses. Les forces de l’ordre ont-elles le droit de fouiller votre sac pour vérifier ce que vous avez acheté ?

Les fouilles et les inspections visuelles sont encadrées par des règles de droit. Elles ne sont possibles que dans des cadres juridiques précis : soit celui des réquisitions du procureur de la République, soit celui des perquisitions. La réquisition ne peut concerner que la recherche d’infractions précisées, dans un périmètre délimité dans un temps limité, de même que le régime des perquisitions est entouré de garanties procédurales.

Mais en même temps, si vous refusez qu’un policier regarde dans votre sac ce que vous avez acheté, je ne sais pas comment ce refus serait apprécié, étant indiqué que l’agent contrôleur n’est pas dans l’obligation de vous fournir cette réquisition du procureur de la République et peut se contenter de vous dire qu’il agit « sur réquisition du procureur », ce que les gens ignorent le plus souvent.

Avec cette loi sur l’état d’urgence sanitaire, les personnes habilitées à faire ces contrôles ne sont pas que des officiers de police judiciaire ou des agents de police judiciaire agissant sous leur contrôle. Sont également habilités : les policiers municipaux, les gardes-champêtres, les agents de la Ville de Paris, chargés d’un service de police, les contrôleurs de la préfecture de police de Paris et les agents de surveillance de la ville de Paris. C’est-à-dire que le champ des personnes habilitées à effectuer cette verbalisation est extrêmement étendu, et forcément toutes ces personnes ne peuvent pas être formées comme les policiers et gendarmes à ces contrôles, et ne connaissent pas forcément les cadres juridiques de la perquisition et la réquisition.

Est-on obligé de présenter son ticket de caisse ?

À partir du moment où c’est vous qui acceptez d’ouvrir votre sac et que vous voulez prouver votre bonne foi, il n’y a pas de difficultés mais qui peut dire aujourd’hui que tel ou tel produit est essentiel ou pas ? C’est extrêmement subjectif.

Qui peut dire aujourd’hui que tel ou tel produit est essentiel ou pas ? C’est extrêmement subjectif.

On voit aussi circuler sur les réseaux sociaux des remontrances ou amendes pour des femmes ou hommes sortis acheter des protections périodiques, et s’entendre dire qu’il ne s’agit pas de produits de première nécessité. Comment l’expliquer ?

De telles dérives démontrent que les conditions dans lesquelles ces infractions peuvent être constatées laissent place à une part d’arbitraire, qui est contestable. […] Ça conduit donc à des verbalisations disproportionnées, et cela finira par et à mettre en difficulté les juges qui vont devoir – tant bien que mal – apprécier ces infractions, pour le moins bricolées. Car une fois qu’on aura compris la chaîne d’explications, il arrivera que des poursuites soient considérées comme n’ayant pas forcément été adaptées.

Pourquoi l’interprétation des règles varie-t-elle d’un membre des forces de l’ordre à l’autre ?

À partir du moment où il n’y a pas de possibilité de vérifier les conditions et les circonstances du contrôle, le risque d’arbitraire est important.

S’ajoute à cela la communication de l’exécutif qui est extrêmement floue, erratique et contradictoire, et qui ne peut que conduire à ce type d’erreurs et d’incompréhension chez les personnes poursuivies.

Par ailleurs, il est vain de penser qu’une répression accrue conduit à de meilleurs comportements. La répression ne discipline pas. Au contraire, on crée de l’insatisfaction, de l’incompréhension, alors qu’en ces temps tourmentés, le besoin de confiance est de mise. 

Il y a aussi des différences entre villes. À Sanary-sur-Mer, dans le Var, on n’a plus le droit de sortir acheter une seule baguette sous peine d’amende.**

Il y a des arrêtés municipaux qui sont actuellement pris de manière assez fréquente et qui apparaissent inadaptés et disproportionnés, et mettent à mal les libertés fondamentales. Certains de ces arrêtés ont d’ailleurs été attaqués devant les juridictions administratives.

L’état d’urgence sanitaire est un régime d’exception qui donne des pouvoirs exorbitants à l’autorité administrative, qui peut prendre des mesures générales ou individuelles de restriction restreignant des les libertés individuelles, notamment la liberté d’aller et venir en l’occurrence. Elles s’entendent parce que le confinement est une des réponses – que nous espérons ponctuelles – à la pandémie, mais il ne faut pas que ces restrictions soient disproportionnées par rapport à l’objectif à atteindre.

La répression ne discipline pas. Au contraire, on crée de l’insatisfaction, de l’incompréhension, alors qu’en ces temps tourmentés le besoin de confiance est de mise. 

Par exemple, le fait de restreindre la balade à dix mètres de chez soi [arrêté qui avait également été pris à Sanary-sur-Mer, finalement abandonné le 31 mars, ndlr], ou d’interdire l’achat d’une seule baguette, c’est disproportionné par rapport à l’objectif sanitaire. Il est indispensable de rester extrêmement vigilants quant à la proportionnalité des atteintes portées à nos libertés individuelles, primordiales dans un État de droit, et quant à la nécessité d’instaurer des gardes-fous de nature à contrôler ces pouvoirs exorbitants.

Qu’est-ce que cela dit de la préparation du gouvernement ? Qu’il n’a pas assez anticipé certaines situations, ou mal communiqué les règles ?

Cela démontre indubitablement une impréparation de manière générale, et s’agissant de ces infractions, l’analyse devra se faire au cas par cas. Il y a des policiers qui font tout à fait preuve de discernement, d’autres beaucoup moins. Forcément, lorsqu’on a recours massivement à ce genre de contrôle massif, il y a une part de subjectif. Certains agents vont être plus ou moins enclins à écouter les arguments de bonne ou de mauvaise foi.

Comme dans tout contrôle policier, il y a une part d’arbitraire, et c’est bien ce que nous contestons depuis longtemps au Syndicat de la magistrature dans le cadre des contrôles d’identité. C’est tout l’arbitraire qui entoure ces contrôles de police qui sont révélés au grand jour parce qu’on a affaire à une masse très importante de contrôles. C’est pourquoi il est indispensable que ces nouvelles infractions – contestables en soi – soient poursuivies dans le respect des règles de droit.

Que faire si on est verbalisé mais qu’on est sûr de n’avoir enfreint aucune règle du confinement ? Peut-on contester l’amende ?

Si vous estimez que vous êtes dans votre bon droit, que vous avez respecté les règles, restez extrêmement calme pour pas vous voir opposer une infraction pour outrage ou rébellion. Ensuite, ne payez pas cette contravention, en sachant que vous avez des voies de contestation qui vous sont ouvertes, et que vous avez un délai de 45 jours pour faire des démarches.

Vous pouvez les faire en ligne sur le site de l’Antai [l’Agence nationale de traitement automatisé des infractions] et vous devez essayer, dans la mesure du possible, de réunir un maximum d’éléments, des écrits et témoignages qui permettent d’asseoir vos garanties et votre bonne foi. Sachant que vous risquez de voir votre amende majorée. C’est un risque à prendre si vous considérez n’avoir commis aucune infraction.

Avez-vous eu des remontées de policiers ou gendarmes en besoin d’éclairages sur certaines situations ou pensent s’être trompés ?

Non, mais je sais qu’il y a eu des relaxes sur prononcées au tribunal judiciaire de Bordeaux.

Êtes-vous inquiets pour la suite du confinement ?

Nous sommes contre la création de ces nouvelles infractions parce que nous estimons qu’elles ne vont pas permettre de faire respecter davantage les mesures de confinement. Par ailleurs, oui nous sommes inquiets de voir des personnes risquer d’être ou d’être emprisonnées pour ces motifs alors que l’urgence est de libérer des personnes détenues vu la situation très tendue des prisons, qui sont un des lieux de promiscuité intense – compte tenue de la surpopulation carcérale – et donc des lieux où la propagation du virus va devenir inéluctable.

* Cet entretien a été réalisé le 1er avril.
** le 31 mars, le maire de Sanary-sur-Mer a finalement renoncé à cet arrêté, ainsi que celui interdisant de se promener à plus de dix mètres de son domicile

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