La Fashion Week terminée, l’heure est venue d’en faire le bilan. Fait notable cette saison : les marques de luxe sont nombreuses à avoir fait appel à des mannequins de morphologies différentes. L’heure de la diversité aurait-elle enfin sonné ?
Lorsqu’on parle de mode, une question revient souvent : celle de l’inclusivité. À l’heure où les questions de diversité sont sur toutes les lèvres, l’industrie semble enfin prête à changer ses habitudes. Depuis quelques années, les podiums et campagnes publicitaires dévoilent des mannequins aux mensurations plus conformes à la réalité, loin des silhouettes à l’extrême maigreur mises en avant pendant trop longtemps. L’heure est à une mode plus représentative de la société, les mannequins choisis se devant d’être d’âges, de couleurs de peau, de genres et de parcours différents.
Des podiums plus inclusifs
Le mois de Fashion Weeks qui vient de s’écouler s’est fait le miroir de ces nouvelles revendications. Nouvelle coqueluche des podiums, Paloma Elsesser a notamment bouleversé la Fashion Week de Milan le 20 février dernier en défilant pour la maison Fendi. Avec sa taille 46, celle qui est également égérie Violeta by Mango est le premier mannequin « plus size » à défiler pour la griffe italienne. La maison avait également choisi de faire défiler Carolyn Murphy, 45 ans et Mariacarla Boscono, 39 ans, une tranche d’âge que l’on voit rarement sur les podiums.
Une initiative largement saluée par la critique, qui fait écho celle d’autres maisons de luxe. À Paris, Paloma Elsesser a également été aperçue sur les podiums de Lanvin et Alexander McQueen. Quelques semaines plus tôt, elle défilait pour la griffe danoise Ganni à la Fashion Week de Copenhague. De la même façon, sa consœur Alexis Ruby s’est faite remarquer sur le catwalk de Marc Jacobs, qui clôturait la Fashion Week de New York, le 12 février dernier. Repéré sur Instagram, le mannequin de 23 ans a aussi défilé pour Tommy Hilfiger à Londres, le 16 février au soir.
Autre mannequin à s’être particulièrement illustrée cette saison : Jill Kortleve. Le mannequin néerlandais de taille 40 a présenté les collections automne-hiver 2020-2021 de Jacquemus, Michael Kors, Fendi, Mugler, Molly Goddard, Valentino, Alexander McQueen et, fait notable, Chanel. La prestigieuse maison française n’avait pas fait défiler un mannequin considéré comme « plus size » depuis dix ans, la dernière étant Crystal Renn, qui affichait alors fièrement sa taille 44.
Quand les maisons de mode s’engagent pour la diversité
Si les podiums se sont montrés plus diversifiés cette saison, cette volonté d’une mode plus inclusive n’est pas nouvelle, quoique récente. Fin janvier 2019, déjà, le CFDA, le conseil des designers américains, demandait sur Twitter à tous les directeurs de castings et les créateurs de mode de laisser une plus grande place à la diversité dans leurs défilés. À quelques jours de la Fashion Week de New York, elle invitait ainsi à choisir des mannequins d’âge, de genre et d’ethnicité différents. Un message fort qui s’accompagnait de l’intégration de nouveaux designers à son calendrier, comme No Sesso, marque de la créatrice trans Pierre Davis. La semaine de la mode américaine présentait alors douze défilés avec des mannequins grandes tailles, contre trois en Italie, et un à Paris et Londres.
Si New York est célébrée comme la capitale de la mode la plus inclusive, les scènes stylistiques européennes ne sont pas en reste. Certes, elles ont encore beaucoup à faire, mais depuis quelques mois, elles ne cessent de multiplier les initiatives. Début 2019, la maison italienne Gucci a été la première marque de luxe européenne à annoncer le recrutement d’un directeur monde pour la diversité et l’inclusion pour combler le manque de diversité au sein de ses équipes. La marque a également lancé un programme de bourse d’études à New York, Pékin ou encore Nairobi pour permettre à des individus aux parcours éclectiques de trouver une place au sein de la maison italienne. Après Gucci, c’est au tour de Prada d’annoncer le lancement de son conseil de la diversité et de l’inclusion, dirigé par la réalisatrice Ava DuVernay et l’artiste Theaster Gates. Son objectif : « Élever les voix de personnes couleur au sein de l’entreprise et de l’industrie de la mode en général », explique la maison dans un communiqué. Quelques semaines plus tard, c’est au tour de la maison britannique Burberry d’annoncer la création de sa propre équipe dédiée. En juillet 2019, Chanel annonce quant à elle le recrutement de Fiona Pargeter au poste de responsable mondial de la diversité et de l’inclusion. « L’amélioration de l’inclusion et de la diversité est une opportunité permanente pour Chanel (…). Nous continuerons à nous concentrer sur de nouveaux programmes pour démontrer notre compréhension de tous les aspects de la diversité, y compris la diversité de la pensée, et pour promouvoir davantage une culture plus inclusive et plus diversifiée », affirme la griffe dans un communiqué.
Mode inclusive : encore des progrès à faire
Si la mode se montre, dans son ensemble, plus inclusive, il n’empêche qu’elle a encore de nombreux progrès à faire. Il suffit de jeter un coup d’œil à « The Fashionspot », site d’information qui publie chaque saison son rapport sur la diversité dans le secteur depuis 2014, pour comprendre que la partie est loin d’être gagnée. Si des tops comme Paloma Elsesser et Alexis Ruby se sont particulièrement illustrées sur les podiums ces dernières semaines, la première partie du rapport de la saison automne-hiver 2020-2021, publiée le 24 février dernier et focalisée sur la Fashion Week new-yorkaise, montre que les défilés se sont montrés bien moins inclusifs cette saison. Alors que pour le printemps-été 2020, le rapport comptait 68 mannequins plus size sur les podiums, pour l’automne-hiver 2020-2021, ils n’étaient plus que 27. Concernant l’âge des mannequins, les statistiques s’avèrent également décevantes avec 10 mannequins âgés de plus de 50 ans cette saison contre 15 la saison dernière. Les tops non-blanches n’étaient par ailleurs plus que 43,6 % sur le catwalk contre 46,8% pour le printemps-été 2020. Le site n’a pas encore publié les données correspondantes aux Fashion Weeks de Londres, Milan et Paris.
Autre problème : la définition que donne l’industrie de la mode d’un modèle « plus size ». Si le fait que Jill Kortleve défile pour la maison Chanel est une réelle avancée en matière d’inclusivité, il n’empêche que la catégoriser comme mannequin « grande taille » est quelque peu déroutant. Les vêtements « plus size » ou « grande taille », désignent des pièces confectionnées pour les individus dont la corpulence dépasse la moyenne nationale, ce qui varie d’un pays à l’autre. En France, la taille moyenne d’une femme est le 42. Ranger Jill Kortleve dans la catégorie « grande taille » n’est donc pas cohérent. Le jour où la mode arrêtera de désigner des personnes de taille 40 comme « plus size », sera le jour où elle sera réellement inclusive.
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