L’impact de l’épidémie de Covid-19 pourrait se révéler pire qu’on ne le pense. Outre le risque de contracter la maladie et d’y succomber, celui de développer ou accentuer un trouble mental plane au dessus de nos têtes.
L’apparition du coronavirus Covid-19 dans plusieurs pays du monde et le danger auquel il nous expose ont poussé les décideurs politiques à adopter des mesures strictes pour tenter d’endiguer sa propagation. Parmi elles, le confinement et la distanciation sociale.
Une situation inédite, à laquelle nous n’avions jamais été confrontés auparavant et qui, pour certains, pourrait se révéler difficile à accepter et à traverser.
Dans quel état psychologique l’épidémie nous plonge-t-elle ? Le confinement peut-il réellement affecter notre santé mentale ? Des profils sont-ils plus à risque ? Autant de questions que soulèvent nos nouvelles conditions de vie.
Le confinement, des effets collatéraux sur notre psychisme
Pour l’heure, il est difficile d’établir des vérités sur ce que l’épidémie et le confinement qui en découle vont provoquer à plus ou moins long terme sur notre santé mentale au vu du caractère inédit de cette période. Il est trop tôt et nous disposons de peu de données pour tirer des conclusions hâtives sur la situation en France.
Toutefois, des pistes commencent à être évoquées. Les professionnels que sont les psychiatres, psychologues ou addictologues se préparent d’ores et déjà à devoir faire face à certaines situations.
Certes, des études ont déjà été menées sur l’impact d’une mise en quarantaine de populations lors de précédentes épidémies (comme celles du SRAS ou Ebola par exemple). Elles ont ainsi mis en lumière plusieurs dommages psychologiques « collatéraux » tels que des troubles de l’humeur, du sommeil, une dépression, un stress ou encore une fatigue émotionnelle.
Cependant, il serait présomptueux d’affirmer que les impacts seront les mêmes dans notre cas précis. D’abord, parce que ce n’est pas le même virus, mais aussi car les systèmes de santé sont différents d’un pays à un autre.
À ce jour, une seule étude, publiée le 6 mars 2020 dans la revue General Psychiatry, a été menée sur l’impact psychologique du Covid-19 en Chine. Elle révèle, entre autre, que sur 52 730 personnes interrogées, 35 % affirment avoir connu une détresse psychologique plus ou moins sévère.
Des pathologies difficiles à gérer en confinement
Il est certain que des pathologies vont être plus difficiles à gérer en confinement. À l’instar de l’autisme. « Julien fait les 100 pas dans la maison, va d’une pièce à une autre donc il émet beaucoup plus de cris qu’auparavant, explique sa mère Agnès Ducher. Il a beaucoup plus de stéréotypes qu’avant, il va se mettre à sautiller contre un meuble, à secouer sa tête, ce qu’il ne faisait pas auparavant », raconte une mère d’un enfant autiste à RFI.
Ce jeudi 2 avril, journée de sensibilisation à la maladie, le Président de la République Emmanuel Macron a tenu à leur adresser un message en particulier : « Depuis le confinement qui a débuté le 16 mars, vos habitudes ont changé et vous êtes peut-être un peu perdus, dit-il dans une vidéo diffusée sur son compte Twitter. Vous aviez l’habitude de sortir de chez vous quand vous le vouliez, et du jour au lendemain, vous avez dû rester chez vous (…) Je sais que vous ne voulez qu’une seule chose : qu’on vous rende votre vie d’avant. (…) Pour certains d’entre vous, rester enfermé chez soi est une épreuve. »
Pour eux, les règles de confinement vont être réaménagés a annoncé le chef de l’État. Il les autorise notamment à fréquenter des lieux qui sont pour eux « rassurants », où ils ont l’habitude de se rendre. Aussi, un formulaire d’attestation spécifique pour les personnes atteintes de troubles autistiques et leurs accompagnants sera délivré.
Pour les malades et leurs proches, la possibilité d’un stress post-traumatique
En ce qui concerne le reste de la population (c’est à dire celle qui ne souffre d’aucun trouble en particulier), « le confinement peut accentuer des problématiques déjà existantes comme l’anxiété par exemple, explique le Professeur Viviane Kovess-Masféty, psychiatre et épidémiologiste. » Mais selon elle, être confiné à domicile pourrait difficilement entraîner des effets psychologiques graves.
« Nous ne sommes pas en train de parler d’un traumatisme, mais plutôt d’une difficulté à laquelle on peut s’adapter. D’autant plus qu’elle est temporaire, que l’on peut tout de même continuer à sortir -même si c’est de manière restreinte- échanger via les réseaux sociaux ou encore travailler à distance. »
Quant à la question de savoir si oui ou non, le confinement dans lequel on nous maintient peut entraîner, à terme, un syndrome de stress post-traumatique (SSPT), le Pr Kovess-Masféty est catégorique : « C’est totalement hors sujet ! Pour qualifier ce trouble anxieux, il faut avoir vécu un événement extrêmement violent, mettant en jeu votre vie ou celle de vos proches comme cela a été le cas pendant les attentats du 13 novembre au Bataclan.
En aucun cas, le confinement dont on parle aujourd’hui n’a ni de près ni de loin à voir avec quelque chose comme cela. En revanche, pour des personnes qui auraient été en réanimation, qui ont pensé qu’elles étaient en train de mourir ou celles ayant assisté à la mort brutale d’un proche, c’est autre chose. » Un état que les professionnels redoutent de voir apparaître chez les femmes et enfants battus, confinés des semaines durant avec leurs bourreaux, mais aussi chez les soignants, confrontés chaque jour à la mort.
Coincés à la maison, gare aux addictions
Les personnes souffrant d’une addiction sont également dans le radar des professionnels de santé. « Il y a des situations qui sont déjà de nature à nous inquiéter et que l’on anticipe », nous confie Stéphanie Ladel, addictologue et fondatrice de Cabinet Social, un centre d’aide médico-social.
A commencer par les dépendants aux produits stupéfiants ou à l’alcool, pour qui l’accès à ceux-ci devient plus compliqué. « Cela pourrait provoquer des syndromes de sevrage critiques très difficiles à traverser s’inquiète Stéphanie Ladel. Je pense notamment aux personnes en prise avec l’alcool chez qui un arrêt brutal et forcé peut même conduire au décès. »
Autre cas à surveiller, ceux qui pourraient développer une forme d’addiction. Pour faire face au confinement et tenter de gérer leurs émotions, certains d’entre nous vont avoir besoin de réjouissance ou d’apaisement. Problème : à défaut de pouvoir diversifier ces sources de plaisir, on peut, insidieusement, trouver un intérêt à consommer un même produit ou à reproduire un même comportement. « Une pratique qui n’aura pas que des effets positifs, puisque le risque est qu’elle devienne ancrée, au point que l’on pourra sans doute avoir du mal à s’en débarrasser au sortir de l’épidémie. D’autant plus si le confinement venait à durer », analyse l’addictologue.
Pour les personnes souffrant d’addiction à une pratique sportive intensive (bigorexie), le confinement est aussi difficile à surmonter. Habitués à se plier à une « routine » stricte pour se créer l’enveloppe qu’ils désirent, le fait de ne plus pouvoir s’entraîner peut conduire à une altération de leur image et compliquer leur rapport au corps.
L’importance de garder un lien avec l’extérieur
Sur son site, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) prodigue plusieurs conseils pour ne pas laisser la peur du Covid-19 affecter notre mental. Elle recommande notamment de réduire au maximum le temps passé à lire ou à regarder des sujets relatifs à l’épidémie. « Nous sommes confrontés à un flot d’informations et de désinformations permanentes qui peuvent créer des conflits internes. Cela accentue notre paranoïa et peut créer des angoisses », abonde Pascal Anger, psychanalyste. Pour se protéger, mieux vaut donc cibler des sources fiables et se fixer une limite de temps à consacrer à ces activités.
Garder une « connexion » avec ses proches est aussi primordial. « Aujourd’hui, on perçoit les autres comme une menace et inversement on se sent comme une menace pour les autres donc cela nous fragilise, souligne Pascal Anger. Nous sommes des êtres sociables par nature et le confinement et la distanciation sociale nous empêchent, par la force des choses, à cohabiter avec les autres. Il faut donc rattraper ce manque en gardant un lien à distance. » Pour nous y aider, les réseaux sociaux et appels en « visio » constituent de parfaits alliés.
Aussi, se concentrer sur des histoires positives (de personnes guéries du coronavirus par exemple), mais aussi réadapter sa routine et trouver des moyens de se distraire et de se relaxer font partie des autres recommandations émises par l’OMS.
Des systèmes d’aide à distance mis en place
Le plus important est de ne pas rester « confiné dans son confinement » et de ne pas hésiter à demander de l’aide. « Il faut se déculpabiliser par rapport à ce que l’on traverse. Nous avons le droit de dire que l’on est inquiet, stressé, insiste l’addictologue Stéphanie Ladel. On nous dit de rester chez nous, on angoisse pour soi, les autres, pour le futur, on s’ennuie, on ne sait plus à quoi on sert, on ressent de la frustration… Nous sommes tous en train de ressentir ces choses. C’est normal. »
Malgré les mesures de confinement, les centres médico-psychologiques assurent des permanences et des lignes d’écoute téléphonique sont mises en place pour apporter un soutien à distance. Autre option : intégrer un groupe d’entraide et de soutien sur les réseaux sociaux.
Des études nationales en cours
Afin de mieux identifier et comprendre les répercussions que l’épidémie actuelle et le confinement ont sur la santé mentale de la population, plusieurs équipes de chercheurs français ont déjà lancé des études sur le sujet.
- Des scientifiques du Laboratoire de Psychologie des Pays de la Loire lance une vaste étude nationale sur les conséquences psychologiques de la crise sanitaire au Covid-19.
Proposée sous la forme d’un questionnaire en ligne, elle permettra de dresser un état des lieux du vécu émotionnel et social de la population durant cette période.
- Anne Giersch, directrice du laboratoire Neuropsychologie cognitive et physiopathologie de la schizophrénie, mène une étude visant à évaluer les effets du confinement sur la santé mentale et psychique chez la population générale.
Pour ce faire, des questionnaires ont été envoyés aux participants. Les interrogations portent notamment « sur la santé en général, l’infection éventuelle par le virus, l’inquiétude face au risque d’infection, les conditions du confinement (surface du domicile, nombre de personnes sous le même toit, jardin…), le réseau social avant et pendant le confinement, l’humeur, les émotions, le niveau de stress et les perceptions », peut-on lire sur le site de L’Inserm.
D’autres questions relatives aux angoisses, à la dépression, aux violences ou encore aux symptômes psychotiques, sont également posées.
- L’équipe du Centre Ressource de Réhabilitation Psychosociale (rattaché au Centre Hospitalier Le Vinatier de Lyon) mène elle aussi son enquête sur l’impact du confinement sur la santé mentale.
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