Nous sommes en mars 1999, et je tente le tour du monde en ballon sans escale. Une première mondiale. Après deux échecs, c’est l’ultime chance, et cela s’annonce mal. Avec Brian Jones, mon coéquipier, nous sommes épuisés, comme le seront bientôt nos réserves de gaz. Quand ce qu’on peut appeler un miracle se produit…
Voilà dix-sept jours que nous sommes en vol après avoir décollé de Suisse le 1er mars à bord du « Breitling Orbiter 3 ». Il nous a fallu sept jours au lieu des trois prévus pour traverser le Pacifique ; les vents sont très lents, et nous arrivons au-dessus du Mexique. Il est 6 heures du matin. Je constate sur les instruments de bord que la direction est mauvaise, nous sommes déportés vers le sud. Le ballon est éjecté du jet-stream, ce vent d’altitude rapide qui nous transporte. Nous avons parcouru les trois quarts de la distance, mais il ne nous reste qu’un huitième de notre carburant. Le vent nous pousse vers le Venezuela, et, j’avoue, je suis perdu.
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J’ai envie d’appeler ma femme, Michèle, par le téléphone satellite. Mais, avant, il me faut répondre à une interview pour une radio. Par chance, ce direct, mon ami Pierre Steiner, avec qui j’ai suivi des formations en hypnose, va l’écouter. A ma voix, il réalise que je vais mal. Il file alors au centre de contrôle de l’expédition, à l’aéroport de Genève. Il doit insister auprès des météorologues, qui font barrage, pour me parler. Via la communication satellite, il me fait une séance d’hypnose. Il utilise certaines clés que nous avons explorées en formation pour me remettre dans l’énergie positive. J’ai encore sa phrase en mémoire : « Tu te rappelleras ce moment comme le début de la réussite. » Ce qui se passe est incroyable : le ton de sa voix modifie mon état d’esprit et me redonne la combativité pour réagir.
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A cet instant précis, on est dans le quitte ou double. Poursuivre sur cette trajectoire, c’est à coup sûr l’amerrissage en plein Atlantique Sud, et rien ne peut être pire ! Brian dort, c’est son tour. Je rassemble mes esprits et décide, seul, un pari très risqué : prendre de l’altitude. Nous sommes à 6 700 mètres, et, pour monter, il faut beaucoup de propane. Or nous sommes presque au bout de nos réserves. Là, enfin, j’appelle Michèle. « C’est l’heure de vérité. Dans quelques minutes, on saura si on a une chance de réussir. » Je la sens tétanisée. Seconde par seconde, elle suit mon ascension. Il reste 100 mètres avant d’atteindre 10 500 mètres, l’altitude maximale possible ce jour-là. A 10 400 mètres, le ballon tourne de 1 degré à gauche, puis de 2, puis de 3… Nous virons de 26 degrés dans les 100 derniers mètres d’ascension ! « Michèle, c’est un miracle, nous sommes réaspirés dans le jet-stream ! »
Nous reprenons de la vitesse. Quand Brian se réveille, c’est l’euphorie. Il ne nous reste presque plus de carburant, mais nous irons jusqu’au bout. Le jet-stream nous fait traverser l’Atlantique en un jour et demi, à la vitesse incroyable de 230 km/h. Le 21 mars, nous touchons terre dans le désert égyptien, accomplissant le vol le plus long en distance et en durée de toute l’histoire de l’aéronautique. Sans ce succès, il n’y aurait pas eu l’aventure Solar Impulse, et je n’aurais pas eu la crédibilité nécessaire pour mettre en œuvre mes convictions environnementales et humanitaires. Je dois tout à ces quelques minutes qui ont orienté ma vie dans la direction dont je rêvais.
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Bertrand Piccard est né le 1er mars 1958 à Lausanne. Son père, Jacques, océanographe, fit la plongée historique en bathyscaphe au plus profond de la fosse des Mariannes, et son grand-père Auguste, physicien, fut le premier à explorer la stratosphère. Médecin psychiatre et aéronaute, il est l’auteur du premier tour du monde en ballon sans escale, initiateur et pilote de « Solar Impulse » et ambassadeur itinérant des Nations unies. Avec la Fondation Solar Impulse, il se lance un nouveau défi : promouvoir « 1 000 solutions efficientes » financièrement rentables pour protéger l’environnement.
« Jeune, j’hésitais entre continuer dans la voie familiale de l’exploration ou devenir psychiatre. Mon père m’a dit : “Sens-toi totalement libre de choisir.” In fine, je suis devenu médecin et explorateur. Comme psychiatre, j’ai appris des techniques d’hypnose, et cette pratique a servi l’explorateur. La boucle est bouclée ! »
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