Télétravailler, se ravitailler, faire l’école aux plus grands, occuper les tout petits, apprendre à vivre à deux ou plus toute la journée dans quelques mètres carrés. Jusqu’à quand ? Récits de nos vies au ralenti en période de confinement.
Métro, boulot, dodo, c’est fini… Sauf si votre attestation de sortie prouve que vous vous déplacez pour vous rendre au travail, faute de pouvoir télétravailler. Tandis que la France est officiellement en confinement depuis le 17 mars à midi, dans l’espoir de ralentir la propagation du coronavirus Covid-19, chacun s’organise tant bien que mal. Il y a le travail qu’il faut continuer depuis chez soi, les enfants à garder, l’école à faire aux plus grands, le divertissement à assurer pour les plus petits. Et puis le ravitaillement à assurer, à l’heure ou les files d’attente s’allongent parfois devant les supermarchés et les pharmacies.
A ce sujet, n’oubliez pas de remplir votre attestation de sortie du domicile. Imprimée ou rédigée sur papier libre, c’est votre sésame pour les 15 prochains jours. Et non, il n’est pas possible de la présenter sur smartphone. Sans elle, il vous en coûtera désormais 135 euros d’amende, en cas de contrôle. Et non, on ne peut pas s’en servir pour aller se balader sur les plages. Quand au jogging, il est strictement encadré.
Chaque jour, la rédaction de Marie Claire partage son quotidien bouleversé. Toute ressemblance avec des personnes et / ou situations existantes ou ayant existé ne serait pas totalement fortuite.
- Covid-19 : le journal des confiné(e)s, week-end 1
- À Sanary-sur-Mer, sortir pour acheter une seule baguette est désormais interdit
Confinement, jour 8 : chez Frédéric et sa compagne, à Paris
-9h40. Le professeur Didier Raoult, un infectiologue basé à Marseille, raconte partout qu’il a découvert le moyen de se débarrasser du covid-19. Moi, je trouve qu’il ressemble méchamment au Dude de The Big Lebowski. Je ne serais même pas étonné que Donald Trump l’ait vraiment contacté. Pour sauver la planète, au pire pour une téléréalité. La fiction au secours de la réalité ? Je tweete. Début de ma journée de télétravail.
-10h30. Tous ces journaux de confinement à propos desquels les rageux se sont défoulés sur les réseaux ce week-end me laissent circonspect. D’un coté, je me fous de l’heure à laquelle Marie Darrieussecq a fait des crêpes dimanche, de l’autre, Marie Darrieussecq écrit et fait bien ce qu’elle veut, même si je préfèrerais lire, en ligne, d’autres vies que la sienne. Je rêve qu’un grand roman d’épidémie surgisse d’un endroit moins familier, bloc opératoire ou bloc HLM. La proximité entre les acronymes HLM et HTML me saute aujourd’hui au visage : ce qui dérange, avec ces journaux de confinement, n’est-il pas, au fond, l’arrivée sur les réseaux sociaux, ces outils populaires, d’une certaine bourgeoisie de plume, arrivée massifiée dans les esprits par sa résonnance médiatique ? Vous avez la chance de savoir écrire ? Écrivez ! Tous !
-12h55. Cet automne, j’avais rebaptisé la placette qui se trouve sous mes fenêtres « la place des embrouilles ». Pas tant pour les quelques dealers qui venaient y faire leur petit commerce, mais pour ces hommes qui s’y retrouvaient la nuit, manifestement épris de boisson et vociférant des trucs assez cocasses du genre : « Mais arrête de boire, passe au sirop ! » L’hiver les avait chassés de l’endroit. Ils ont réapparu avec les premiers bourgeons sur les jeunes platanes. La distanciation sociale, qui est leur lot quotidien toute l’année, n’a pas eu raison de leurs habitudes. Les petits groupes ses sont reformés malgré la disparition des bancs, remplacés par des chaises boulonnées au bitume, mais le froid les garde encore silencieux. Ce week-end, j’ai voulu compter le nombre de personnes qui traversaient cette place, joggeurs, skateurs, retraités, couples, promeneurs de chien ou d’enfant, un peu comme je comptais autrefois avec ma petite sœur les voitures que nous croisions lorsque nous partions en grandes vacances. Samedi, je me suis arrêté à 100. Il était à peine 11h00.
-17h10. Est-ce que je lance l’idée d’un « cadavre exquis » des confinés de ma rédaction, ou est-ce que le moment est mal choisi pour jouer avec ces deux mots ? On pourrait baptiser l’exercice autrement : « L’histoire sans fin » des confinés de la rédaction ? « Le roman participatif » ? « Le conte à rebours » ? Est-ce que Guillaume Canet travaille à l’écriture des Petits mouchoirs à usage unique ?
Confinement, jour 8 : chez Agathe, à Paris
-7h. Je me réveille l’esprit calmé, et j’enchaine tout de suite sur le travail pour ne pas être parasitée par mes envies de communiquer avec les copines et de « face-caller » la terre entière.
Ce confinement décale tout, je me réveille plus tôt, mais j’ai faim plus tard puisque je bouge moins.
–A 15h je commence à avoir faim : je me lance dans la préparation d’une soupe (courgette,poireaux mais avec des noisettes et du parmesan). Bon, essayer des vêtements destinés à une mannequin, sur moi dont ce n’est pas le métier, me donne des envies de corps plus affutés, mais j’ai quand même besoin de douceur.
Est-il trop tard pour un verre de vin exceptionnel de déjeuner, ou est-ce que ça compte déjà comme un apéro trop tôt puisque je déjeunerais vers 16h ?
Autre question qui me vient pendant que je coupe les courgettes : est-il possible de trop hydrater ses cheveux à l’huile de coco, et risque-t-on de se retrouver avec trop de glow si on fait tous les masques que l’on n’a pas l’habitude de faire habituellement entre le travail et sorties, et que, pour une fois, on pense à prendre ses compléments alimentaires plus de deux jours d’affilée ? Vite je conclus que je suis sauvée, le vin blanc et les cigarettes feront la balance.
Encore une chose qui me vient en coupant les courgettes, j’ai mal à des muscles qui, j’en suis certaine, n’existaient pas avant mon cours de sport virtuel d’hier.
Pendant que ça cuit, un appel d’un ancien compagnon qui s’ennuie.
Moi : « oh beh pourtant tu t’es entraîné, t’as passé des mois enfermé à la maison à jouer aux jeux vidéos et à manger des plats de pâtes tout préparés ». Il ne rigole pas, mais moi j’ai enfin trouvé une pique à lancer à quelqu’un, ça me manquait un peu, j’avoue. C’est mauvais esprit oui, mais c’est pas parce qu’on est confinés qu’on n’a plus le droit d’avoir ses petites humeurs. On ne va pas d’un coup tous devenir Amélie Poulain (en tout cas pas à plein temps). Je décide que ce ne serait pas sain. Bon, on termine quand même la discussion avec toute la bienveillance et l’affection qui fait que nous sommes restés amis.
Ça fait beaucoup trop d’interactions en une seule pause déjeuner, je vais m’ennuyer après. Cette pensée entraîne une légère angoisse, qui en amène d’autres. Financièrement comment allons nous tenir le coup ? Il est où le monsieur de mon quai de métro à qui je donne des trucs quand je le peux ? Je fais comment si quelqu’un de ma famille dans le sud commence a avoir des symptômes ? Les gens qui ne savent pas particulièrement cuisiner vont-ils continuer longtemps à se filmer en nous montrant comment ils préparent leurs repas ? Est-ce que c’est malvenu de se raccrocher à des questions futiles dès que je sens monter l’angoisse ou est-ce qu’à petite échelle (parce que je vais bien et que les miens également) ça peut s’assimiler à une sorte de réflexe de survie ? Je me remets au travail .
Confinement jour 8: chez Aurélie, chez son compagnon, dans les Yvelines
-09h00. Je n’ai toujours pas appris une nouvelle langue étrangère, ni le langage des signes. Je n’ai pas non plus lu l’intégralité de la bibliothèque de La Pléiade, médité, ou suivi en ligne un cours d’initiation au premier degré de Reiki. En revanche, je me suis lancée un challenge spécial « déconfinement de la salle de bain ». Il s’agit de finir tous les mini-formats entamés avant de commencer un produit neuf. C’est très bête, mais suffisamment efficace pour faire grandir en moi un apaisement mental dont Marie Kondo, la papesse du rangement, serait fière. A défaut de réussir à faire le vide dans ma tête, j’allège les étagères de P. En ligne de mire : un shampooing Eau d’Orange Verte d’Hermès, un après-shampooing Bois d’Orange de Roger & Gallet, un gel douche Diane Barrière et un Gel Moussant Vitalité de Clarins.
-13h00. Sur les conseils d’Instagram, d’une chaine de radio et d’un grand quotidien, je décide de m’offrir un peu de plaisir en préparant une « recette réconfortante ». Comprenez, je m’apprête à cuisiner, en toute bonne conscience, un plat trop sucré, trop salé, trop gras, ou les trois en même temps. Celui-ci n’est ni hérité de ma grand-mère, ni suggéré par une cheffe en vue, mais imaginé par P il y a quelques mois. On en raffole. C’est simple et diabolique : dans un wok, faire fondre du pecorino à la truffe (ou du parmesan), avec du vin blanc et du poivre. Mélanger à des coquillettes. Parsemer de sauge fraîche finement ciselée. Et voilà !
-16h00. Je sais maintenant que je ne suis pas atteinte d’anosmie, mais j’ai mal au cœur et une brique dans l’estomac. J’ai gobé trop vite une plâtrée de coquillettes sans sauge et avec du fromage qui avait passé sa date de consommation. La Névrose rigole et me chante à l’oreille : « Bien fait ! Souviens-toi de ton dernier cours physique avec ta prof de yoga. Elle t’avait prévenue: au sortir de l’’hiver, et encore plus en période de virus, il faut booster son système immunitaire et donc: dormir plus malgré les jours qui rallongent, limiter laitages et féculents pour privilégier fruits et légumes. » La Névrose 1 – La Volonté 0.
Confinement, jour 8 : chez Nolwenn, à Paris
Matin, midi ou soir… Qu’importe ? Je me sens en cage, très privilégiée (bien portante, un toit, un petit balcon…) et surtout toute petite. La seule chose que l’on me demande, c’est de rester sagement chez moi. L’action par l’inaction. Alors évidemment, je m’interroge… à quoi bon vous raconter mon quotidien plutôt que de vous laisser lire celui de ceux et celles qui sauvent des vies. Mais peut-être que l’intimité de chacun.e peut rassurer, consoler, faire filer le temps qui s’étire trop paresseusement.
Alors je me lance, quand même, pour vous parler de Tristan Lopin dont les vidéos me font bien rire et de ce Whatsapp qui s’est lancé dans mon immeuble où personne ne se parlait. Sean du 5e, qui propose de faire des courses pour ceux qui ne peuvent pas se déplacer, la gardienne qui envoie des cœurs, Julien qui prévient qu’il a déménagé du 4e au 1 (mais qui es-tu Julien ?) et Raymond qui balance des émoticônes de casseroles et propose qu’on se retrouve plutôt à 19h55, « pour ne pas louper le JT de 20H, et plutôt à chaque étage et sur le palier, parce que franchement, applaudir sur les balcons, quand il n’y pas de vis-à-vis, c’est pas gai ». Ben non Raymond !!! J’allais répondre, interloquée, que l’idée est plutôt de rester tourné.e.s vers l’extérieur pour soutenir les soignants quand les messages ravis par cette riche idée ont défilé avec applaudissements, sourires ravis, baisers à profusion et déchainement de cuillères et de casseroles. Un leader est né.
Et sinon ? J’évite un peu les infos glaçantes, je me réjouis de pouvoir télétravailler –la journée file bien plus vite-, j’envoie des bonnes ondes à celles qui font l’école à la maison. Et je ne rate plus le rendez-vous de Keren Ann tous les soirs à 22h sur Instagram, en direct de son appartement à Montmartre. Mon rituel préféré. Sa voix ravissante qui me promène, avec grâce et un verre à la main, entre poèmes et chansons acoustiques à la guitare. Hier, elle a conclu son mini-concert en disant que ce qui lui manque par-dessus tout, c’est de toucher et caresser la peau. Je suis Keren Ann.
Confinement, jour 8 : chez Elodie et son conjoint en proche banlieue
-8h30 : mon réveil n’a pas sonné. J’avais pourtant réglé l’heure de l’alarme avant de me coucher hier soir. Sauf que j’ai oublié le principal : appuyer sur le bouton activer. Je crois que mon inconscient a un message pour moi.
-8h40 : mon mec : « Viens voir, y a des pies dans l’arbre avec des bouts de bois dans le bec. Elles font quoi ? ». « Oh un petit feu je pense ». Air circonspect « Hein ? ». « Elles font leur nid visiblement ». « C’est malin dis, il y’en a une qui ramène le bois et l’autre qui le casse et qui fait ». Moi : « Oui c’est le partage des tâches au sein du couple ». Lui : « Ouais et moi je suis celui qui fait ». Je file à la salle de bain en roulant des yeux.
-8h55 : tandis qu’il est toujours posté à la fenêtre et que je finis mon petit déjeuner : « J’avais jamais vu ça ». Fulgurance : « On avait sans doute jamais pris le temps de regarder non plus. »
-9h : la revue de presse commence à tomber sur la messagerie privée du boulot, en 3 mn ça déborde de partout.
-9h30 : conf de rédaction à distance : on tranche, qui fait quoi ? Le déroulé de la journée est presque ficelé, c’est parti.
-13h14 : hé ho, faudrait penser à s’alimenter un peu. Je ferme l’ordinateur, enjoint mon co-worker prêt à grignoter un énième poignée de noisettes grillées à faire de même. Il fait beau, les fenêtres sont grandes ouvertes, le soleil illumine la table de déjeuner. On aurait presque l’impression d’être en terrasse.
-14h : je sirote un café tandis que s’élèvent les notes de l’inconnu(e) au violon. Depuis le début du confinement, chaque jour pendant la pause déjeuner, quelqu’un dans ma rue nous offre ces moments suspendus. Assise sur mon canapé, le soleil sur ma joue, je ferme les yeux et je mesure la chance que j’ai de vivre dans ici, certes enfermée mais en sécurité. Surtout, de ne pas être à l’hôpital.
-16h15 : je m’oblige à une pause, je n’ai pas levé le nez de l’ordinateur depuis le début de l’après-midi. Un thé, une crêpe et ça repart.
-16h20 : « Je crois que les pies se construisent un duplex ». 19h15. Encore plus en télétravail, il faut savoir décréter unilatéralement que la journée de travail est terminée. Et puis j’ai décidé de me remettre au yoga, grâce à des cours en ligne. Presque un an que je repousse le passage à l’acte. J’avais pourtant tout acheter : la tenue, le sac de sport. Les tickets pour les cours. Je me suis depuis trouvée toutes les excuses pour ne pas y aller. Je commence par 15 mn de « yoga du soir ». Aïe, la carcasse est rouillée.
-20h : l’impression d’être redescendue d’un coup. Le pouvoir de la respiration ventrale n’est pas une légende, je le sais pourtant. Pourquoi ai-je attendu si longtemps pour prendre à nouveau ce moment pour moi ? Demain je recommence.
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