À la fois éternel ado rêveur de la chanson et voix sans complaisance de l' »ultra moderne solitude » de nos sociétés, Alain Souchon, 75 ans, a décroché vendredi soir la dixième Victoire de la musique de sa longue et prolifique carrière. Son dernier opus Âme fifties a décroché le titre de meilleur album de l’année.

Derrière l’élégance des mélodies – écrites avec ses fils Pierre et Charles – se cache comme toujours une certaine gravité, comme quand il chante ces jeunes hommes envoyés hier en Algérie pour y faire la guerre ou de l’ascenseur social en panne aujourd’hui.

Qu’est-ce qui le fait encore courir les scènes ? « Quand je vois Mick Jagger, je me dis, s’il y a été, j’y vais aussi, même si ce n’est pas comparable bien sûr (rires) », confiait-il à l’AFP à l’automne 2019. « J’entendrai constamment Let’s Spend the Night Together [et de la chanter en interview], avec l’autre [Jagger] qui arrive comme un léopard ! J’en suis fou de ça, ça m’exalte ! », poursuivait-il, enjoué.

Le porte-voix d’une « soif d’idéal »

Qu’est-ce qui résume mieux Souchon que sa chanson phare Foule sentimentale, sacrée aux Victoires de la musique comme la plus marquante de la période 1985-2005 ? On y retrouve ce chanteur complexe, son éternelle « soif d’idéal » comme son incompréhension face à une société qui parfois « nous prend, faut pas déconner, dès qu’on est né, pour des cons ».

« Foule sentimentale » (Souchon, 1993)
L’énorme succès de cette chanson était estampillé 100% Souchon : il en a signé paroles et musique, contrairement à bien d’autres de ses tubes mis en musique par son compagnon de route Laurent Voulzy, comme J’ai dix ans, Allô maman bobo, Bidon, La ballade de Jim, C’est déjà ça

Avec sa chevelure indomptée, sa distanciation amusée face au star-system, Alain Souchon cultive depuis toujours une image de Pierrot un peu lunaire, comme pour mieux oublier une enfance perturbée.

Né le 27 mai 1944 à Casablanca, au Maroc, il est élevé jusqu’à sept ans par un homme qui n’était pas son père mais dont il portait le nom, Kienast. Le jeune Alain suit ensuite sa mère pour rejoindre son père biologique, Pierre Souchon, qui lui donne son nom. Mais ce père meurt quelques années plus tard dans un accident de voiture. En souvenir, Alain Souchon baptisera son premier fils Pierre et écrira à son père l’émouvante Dix-huit ans que je t’ai à l’œil (1977).

Dans un documentaire en 2015, le chanteur confiait avoir gardé de cette enfance une « envie de stabilité », que ce soit pour sa vie conjugale, son appartement ou ses voitures. Il écrit ses premières chansons à l’adolescence, notamment à l’occasion d’un séjour en Angleterre, puis donne ses premiers concerts dans des cabarets parisiens comme ses références, Léo Ferré ou Guy Béart.

Voulzy, la rencontre déterminante

Il enregistre ses premières chansons au début des années 1970 mais il faut attendre la rencontre avec Laurent Voulzy, orchestrée par le directeur artistique Bob Socquet, pour que naisse son premier tube, J’ai dix ans, en 1974. « De deux chanteurs qui pataugeaient dans la semoule, on s’est retrouvés avec une chanson qui était au hit-parade ! Alors on en a fait une autre, et puis une autre », confiait à l’AFP Souchon en 2014, année où les deux complices ont sorti leur premier album chanté en duo.

Cette collaboration fructueuse va constituer le fil rouge de la carrière de Souchon mais aussi de Voulzy, pour lequel le premier écrit de nombreuses paroles (Rockollection, Le soleil donne, mais aussi Belle-île-en-mer, Marie-Galante ou Le pouvoir des fleurs…)

Souchon, qui incarne à ses débuts la « nouvelle chanson française », va développer cette plume si singulière, oscillant entre poésie mélancolique et chronique sociale parfois grinçante. Sa silhouette dégingandée s’est aussi promenée du côté du cinéma dans une poignée de films, avec un rôle resté célèbre dans L’été meurtrier aux côtés d’Isabelle Adjani.

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