Il y a eu Tintin, Jacques Brel ou encore Benoît Poelvoorde et Stromae… Désormais il faut aussi compter avec Angèle. La chanteuse est le nouveau produit culturel belge adopté par la France. A 24 ans, elle est la grande favorite de la 35e cérémonie des Victoires de la musique, qui se déroule vendredi 14 février à La Seine musicale à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Nommée dans trois catégories (artiste féminine de l’année, concert et création audiovisuelle pour Balance ton quoi), elle peut espérer faire mieux que l’année dernière, où elle était repartie de la cérémonie avec deux trophées : album révélation de l’année pour Brol et Victoire de la création audiovisuelle (Tout oublier).

En moins d’un an et demi, la native de Bruxelles a bouleversé le paysage musical français et s’est imposée comme la plus grosse vendeuse de disques en 2019 selon le classement du Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), avec 532 000 albums écoulés (ventes et streamings). « Je n’aurais jamais cru que ça irait si vite », assure-t-elle au Parisien en novembre 2019, un peu plus de deux ans après la sortie de son premier titre.

L’artistique, une affaire de famille

Angèle Joséphine Aimée Van Laeken, de son vrai nom, est née le 3 décembre 1995 à Uccle, une des communes de l’agglomération bruxelloise. Elle baigne dans le milieu artistique : son père, Serge, est un guitariste et chanteur connu dans le plat pays sous le pseudo de Marka. Sa mère, Laurence Bibot, elle, s’est fait une petite renommée grâce à ses sketchs. « Mes parents sont connus, mais surtout dans la partie francophone de la Belgique. Ils ont une image assez sympathique et très modeste. Ils n’ont jamais été des stars nationales, donc leurs notoriétés ont été assez facile à vivre pour moi », explique-t-elle à Greenroom.

Elle grandit dans une banlieue aisée de Bruxelles, commence le piano à l’âge de 5 ans et écoute en boucle Hélène Ségara. Enfant, elle voulait être psychologue ou travailler dans le graphisme. « Mes parents m’ont dit : ‘Tu ne vas quand même pas faire d’études, fais de la musique’ (rires). Et c’est là que j’ai intégré une école de jazz à Anvers », raconte-elle face aux lecteurs du Parisien. En 2014, elle plonge dans Instagram et y découvre ces vidéos de gens réalisant des reprises de tubes. Une vague sur laquelle elle décide de surfer.

Elle résume son parcours dans Flou, issu du premier album Brol : « J’ai commencé par Instagram / C’était cool, j’avais un très bon programme / Petit concert dans des bars vides / Ma baby-sitter la première à m’suivre / Ensuite tout a changé très vite ». Sylvie Farr, la fameuse baby-sitter, est aujourd’hui sa manager et n’est plus la seule à la suivre. Angèle compte 2,6 millions d’abonnés sur Instagram et des centaines de millions de vues sur YouTube depuis la mise en ligne de son premier clip en 2017. A cette époque, son grand frère, Roméo Elvis, s’est déjà fait un nom sur la scène rap bruxelloise. Frère et sœur se retrouvent notamment sur le titre J’ai vu, issu de Morale 2, le projet de l’aîné.

Mais, malgré sa famille, elle réfute l’idée du piston. « Elle m’a apporté beaucoup de soutien, et une sorte de connaissance du travail, de ce que ça représente, rappelle-t-elle sur France Inter. Faire de la scène, c’est un travail qui demande énormément de sérieux, de rigueur. »

Le fruit de son époque

Son premier album Brol (« bazar » en patois belge) sort en octobre 2018. Un album très attendu où l’on retrouve ses premiers titres : La Loi de Murphy, Je veux tes yeux, La Thune ou encore Jalousie. Elle y parle de son époque. « Ce qui m’entoure, c’est le téléphone, draguer un mec sur Instagram, avoir la flemme de sortir… Alors oui, dans un sens, je représente ma génération ou en tout cas, mon environnement », éclaire-t-elle dans L’Obs. Cela donne des titres comme Nombreux, où elle déclare sa flamme à son petit copain de l’époque Léo Walk, ex-danseur de Christine and the Queens, ou Victime des réseaux, dans lequel elle évoque la culture du narcissisme des réseaux sociaux.

Ce sont des mots très simples sur des mélodies très ‘catchy’, très entraînantes, qui sont calibrées pour la radio. Son truc en plus, c’est l’humour et des paroles très circonstantielles et liées à notre époque.Lola Levent, journaliste musique et arts pour le site Yardà franceinfo

De son utilisation des réseaux sociaux aux thèmes qu’elle aborde, Angèle sait écrire sur l’air du temps. « C’est très instinctif, mais elle est plus le fruit de son époque qu’elle n’a su la capter. Elle a bourgeonné à un moment précis, mais elle n’a rien inventé, » nuance la journaliste

Propulsée par les réseaux sociaux, elle a pleinement conscience de son éventuelle éphémérité. « Je crois sincèrement que mes morceaux vont être ringards d’ici peu… On est dans une époque où on commence à vachement réfléchir autour des réseaux sociaux (…). Mais bon, je ne me voyais pas ne pas en parler : les réseaux font tellement partie de ma vie et de mon projet que la présence récurrente de ce thème est un choix assumé. Au pire, se dire que Brol était la photographie d’une époque, ce ne sera déjà pas si mal », avouait-elle aux Inrocks (article abonnés) au moment de la sortie de son album.

Vraie image cool et fausse image rap

Angèle est « jeune, jolie, mince, blanche, blonde, belle voix, d’un milieu bourgeois, bien dans sa peau », énumère à franceinfo Charlotte Abramow, photographe et réalisatrice des clips de La Loi de Murphy, Je veux tes yeux et Balance ton quoi. Mais sous ce beau vernis se cachent un humour et une autodérision revendiqués. A l’image de la couverture de l’album, sur laquelle on la voit enfant, arborer un sourire à la Jacquouille du film Les Visiteurs, ou encore de ses posts sur Instagram. « Je n’avais pas envie de faire, comme tout le monde, des photos de mes plats, ni de mes vacances. Donc j’ai un peu rendu ma vie intéressante en faisant des chansons, toujours avec humour », lâchait-elle à L’Obs. Cela donne parfois des scènes cocasses, comme cette photo avec des spaghettis sur la tête.

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« Angèle fonctionne vraiment à la spontanéité, au second degré, en musique comme dans la vie », explique Sylvie Farr, sa manager, dans L’Obs. « C’est sûrement notre côté belge », observe Charlotte Abramow.

Les messages passent parfois mieux avec de l’humour et de l’autodérision. Angèle est pleine de mimiques et d’énergie, elle a une super bonne vibe et bouge bien et il faut dire que cette attitude aide beaucoup. Charlotte Abramow, photographe et réalisatriceà franceinfo

La jeune artiste n’avait, par exemple, pas hésité à mettre en avant son histoire d’amour avec Léo Walk pour lui éviter de « recevoir des photos de bite », justifiait-elle à Libération. Sans se départir de cette fraîcheur qui a fait son succès, Angèle se protège désormais un peu plus. « Avant, je ne calculais rien sur les réseaux sociaux. Maintenant j’ai deux millions d’abonnés sur Instagram. Je fais attention à ce que je montre », concède-t-elle dans Le Parisien.

Elle et Ophélie Secq, activiste féministe et maquilleuse qui a coécrit le clip, ont éduqué Angèle au féminisme. « Comme elle est notre amie, et comme une petite sœur, nous lui avons aussi appris ce que nous savions. Une sorte de domino de féministes en devenir », précise-t-elle. Une pancarte qu’Angèle refuse de brandir toute seule : « Porte-parole du féminisme, ça me fait un peu peur. Je porte ça malgré moi. Si j’avais su, je crois que j’aurais arrêté d’écrire cette chanson en me disant ‘c’est trop de pression, je n’ai pas les épaules’ et ‘je n’ai pas ce rôle-là' », estimait-elle face aux lecteurs du Parisien. Une position que regrette Lola Levent. « On a une artiste avec une notoriété incroyable, elle s’est engagée, mais je trouve dommage qu’elle n’assume pas à fond le côté féministe », déclare la journaliste.

Après avoir mis la France a ses pieds, Angèle va faire une pause. On devrait la découvrir cette année au cinéma chez Leos Carax, dans la comédie musicale Annette, aux côtés d’Adam Driver et de Marion Cotillard. « Cela ne m’étonne pas du tout. Elle a une vraie aisance à l’écran, une vidéogénie évidente, une spontanéité, elle sait quoi faire sans trop réfléchir et est très efficace. Elle est très pro avec la caméra. Maintenant, il faut voir ce que cela donne quand elle ne joue pas son propre rôle… Un autre challenge ! », s’enthousiasme Charlotte Abramow. Pour Lola Levent, le défi est ailleurs : « Comment va-t-elle faire pour se renouveler ? Elle va peut-être continuer à faire de la musique circonstanciée, mais je serais curieuse de voir ce que ça donnera lorsqu’elle aura vécu des choses nouvelles ». L’intéressée ne sait pas encore comment elle va gérer cette nouvelle période qui s’annonce. « La suite, on verra », comme elle le chante dans Flou.

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