Et si on passait de la culture de l’échec à celle du rebond ? Alors que dans certains pays, l’échec est valorisé, perçu comme nécessaire, il semble que la France ait du mal à voir son pendant positif… Pourtant l’échec a de nombreuses vertus. Décryptage.

« Enchanté, HEC 76. » Ou « ENA 89 ». Ou encore « Polytechnique 80 ». Lorsque Charles Pépin, écrivain et philosophe, rencontre des cadres à l’occasion de ses interventions en entreprises, ces derniers se présentent à lui toujours ainsi. Le philosophe analyse leur message implicite derrière leur façons de saluer : « Le diplôme que j’ai réussi à 20 ans me donne à vie une identité et une valeur. »

« Comme s’il était possible, et souhaitable, de se mettre une fois pour toutes à l’abri du risque, de s’installer sur les rails d’une carrière tracée, et de se définir, toute son existence, par un succès obtenu à 20 ans », commente l’essayiste, dans Les vertus de l’échec (Allary éditions).

Comment, surtout, pour Charles Pépin, ne pas voir dans cette « obsession des diplômes », une peur de la vie et de l’échec ? Parce que l’échec effraie, parce que le sentiment de l’échec est douloureux.

Alors que la France cultive cette vision de l’échec, plombante et culpabilisante, les pays anglo-saxons évoquent plutôt une culture de l’erreur, dans laquelle cette dernière est tout à fait « normale », « humaine », selon le célèbre proverbe. On parle même de « culture du rebond », expression résolument positive.

L’échec nous instruit

« C’est à l’école que l’on apprend ce qu’est un échec, explique à Marie Claire Christine Barois, psychiatre. Le fameux ‘5 fautes c’est zéro !’ est l’exemple typique. » Charles Pépin dénonce lui aussi un « problème français », et un système scolaire où « les mauvais résultats sont interprétés comme une absence de travail, de volonté, ou pire, d’intelligence. » Il assène : « Il est quand même surprenant que le fait de se tromper soit perçu comme humiliant par la plupart des élèves français de CM1 ou de CM2, mais que les chercheurs du monde entier y voient un acte normal, formateur, nécessaire. »

Car dans les plus grands laboratoires, « les erreurs sont analysées, considérées comme normales, ou comme ce miel avec lequel on fait des vérités », image le philosophe. Et dans la Sillicon Valley, certains théoriciens vantent même le concept du « fail fast ». Comprendre : échouer vite, pour apprendre vite. Tirer rapidement les enseignements nécessaires et s’améliorer aussitôt. Quant aux entrepreneurs, aux figures politiques, ou aux sportifs, tous « aiment mettre en avant les échecs rencontrés au début de leurs carrières, qu’ils arborent fièrement, comme des guerriers leurs cicatrices », remarque Charles Pépin.

Je pensais ne pouvoir jamais atteindre mes rêves comme l’ont fait mes figures favorites qui ne semblaient, elles, n’avoir jamais échoué

En France, en revanche, les parcours contés de personnalités inspirantes effacent les bides. « Je pensais ne pouvoir jamais atteindre mes rêves comme l’ont fait mes figures favorites qui ne semblaient, elles, n’avoir jamais échoué. C’était une source de pression énorme », rembobine la journaliste Pauline Grisoni, créatrice de La leçon, le podcast sur l’ « art d’échouer ».

Ça, c’était avant qu’elle interroge cinéastes, chanteuses, femmes politiques…, précisément sur leurs échecs. Réaliser que ses roles models ont pu, eux aussi trébucher, la booste et la déculpabilise. Et, espère-t-elle, déculpabilise aussi ses auditeurs. Car les success stories racontées sans leurs chapitres « échec » sont, non seulement malhonnêtes, pour la podcasteuse, mais complexent davantage qu’elles n’inspirent.

L’échec nous offre de nouvelles opportunités

Au fil de ses entretiens autour du thème de l’échec, Pauline Grisoni réalise que les « ratages » ont leurs vertus. D’abord, l’échec est une double opportunité. Celle de ne plus être dans l’action, mais dans le temps de la réflexion, de l’introspection, des interrogations profondes. Il est « un appui pour prendre notre élan », écrit Charles Pépin. L’échec peut alors devenir l’occasion favorable à la réinvention, à vivre de ses passions, à rêver plus grand. « À écouter sa petite voix », résume Pauline Grisoni.

Si Guillaume Canet n’avait pas été mauvais – de son propre aveu – dans Vidocq, et ne l’aurait pas payé ( « Un an sans travailler », se remémorait-il dans Marie Claire), il n’aurait jamais écrit son premier long métrage durant cette année vide de propositions. Il aurait poursuivi sa carrière d’acteur sans savoir qu’il était capable de réaliser un long métrage, mieux, qu’il aimait ça, au point de reproduire l’expérience derrière la caméra six fois depuis.

Si J.K Rowling n’avait pas perdu son poste chez Amnesty International, elle aurait laissé en sommeil sa passion pour l’écriture, remarque Charles Pépin. Sans échec, pas d’occasion de bifurquer… et aucun des sept tomes à dévorer pour les Potterhead.

L’échec nous dévoile notre réel caractère

« On ne se révèle pas à 100% quand tout nous réussit », pense Pauline Grisoni. Alors que dans l’échec, on affirme son tempérament. Sa ténacité. Le philosophe donne l’exemple de Thomas Edison, qui « a échoué tant de fois avant d’inventer l’ampoule électrique ». Quand l’un de ses collaborateurs lui demande un jour comment il peut supporter autant d’échecs, l’inventeur persévérant rétorque : « Je n’ai pas échoué des milliers de fois, j’ai réussi des milliers de tentatives qui n’ont pas fonctionné. »

L’envie de rebondir révèle aussi une capacité de résilience, et une rage enfouie, qu’on ignorait en nous jusqu’alors. C’est l’exemple d’Hapsatou Sy, qui s’est confiée à Pauline Grisoni. Alors qu’à l’âge 25 ans, la femme d’affaires est à la tête de son entreprise de produits de beauté et dirige une centaine d’employés, elle fait un burn-out et doit liquider sa boîte. Mais cette situation l’a après-coup enrichie d’une puissante confiance en elle, voire d’une fierté : celle de s’être relevée d’un tel échec. Et d’avoir créé une nouvelle entreprise à succès, qu’elle gère grâce à ce premier échec avec davantage de sérénité.

L’échec nous rend humble

Si le succès peut rendre arrogant, l’échec à l’inverse impose sa leçon d’humilité. Steve Jobs est l’exemple parfait cité par Charles Pépin. « Avoir été renvoyé d’Apple (contraint de quitter la société qu’il avait créé, par le président nommé par ses actionnaires, en 1985, ndlr) a été la meilleure chose qui me soit arrivé », confiait l’inventeur de la marque à la pomme en 2005, lors d’une conférence à l’université de Stanford. Et de poursuivre : « Ce fut un médicament affreux mais je pense que le patient en avait besoin. » Jobs était devenu méprisant, il réfutait les contradictions ou le moindre avis de ses collaborateurs qu’il humiliait, explique le philosophe.

L’échec nous rend humble et cette humilité est souvent le début de la réussite

« Cela (son licenciement, nldr) m’a libéré, et permis d’entrer dans l’une des périodes les plus créatrices de ma vie », racontait le fondateur d’Apple aux étudiants. De retour à la tête de sa société d’informatique, douze ans plus tard, l’homme, de nouveau inspiré, a lancé tous ses succès en « i » : iPhone, iPod, iPad…

« Steve Jobs ne commettra plus jamais l’erreur de penser qu’on peut avoir raison seul, analyse justement Charles Pépin. L’échec nous rend humble et cette humilité est souvent le début de la réussite. » « Cette humilité se double souvent d’un regard bienveillant sur les autres, d’une tolérance envers ceux, qui, comme nous à présent, ont pu connaître des échecs », ajoute Pauline Grisoni.

L’échec nous procure de la joie

« Sans nos ratés, nos déconvenues, les satisfactions les plus profondes de l’existence nous resteraient inconnues », philosophe Charles Pépin, qui nomme ce sentiment « la joie du combattant ».

L’écrivain américain Truman Capote le formulait ainsi : « L’échec est l’épice qui donne sa saveur au succès »… Quand les infuenceurs fitness « hashtague » plutôt : « No pain no gain« . L’idée est la même : il faut avoir échoué pour savourer le succès. S’en émerveiller. 

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