Hygge danois, Nunchi coréen, Ho’oponopono hawaïen… Les Français raffolent de ces recettes venues de loin, qui mettent le bonheur à toutes les sauces. Explications.
Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? La vraie recette du bonheur, pardi ! Mais une recette exotique, par pitié… On ne va tout de même pas relire Pascal ou Alain, ce serait comme prendre un trop classique steak-frites au déjeuner ! Ces temps-ci, les concepts venus d’autres pays pour nous donner des leçons de savoir-vivre existentiel se bousculent au portillon. «Le bonheur est visiblement dans le pré… le plus lointain, celui qui est forcément plus vert !», ironise l’anthropologue Jean-Didier Urbain, auteur de L’Envie du monde (Éditions Bréal).
En vidéo, un tour du monde des recettes du bonheur
Formules exotiques
Nunchi, cosagach, lagom… Les formules magiques importées de Corée, d’Écosse ou de Suède se succèdent à un rythme effréné. Leur ambition commune ? Nous aider à contrer les effets conjugués de l’incommunicabilité et de l’ultramatérialisme contemporains, deux maux pourfendus en long et en large par ces manuels de sérénité… «Et plus le vocable nommant la méthode est dépaysant, mieux c’est, évidemment !», confirme notre expert. L’ho’oponopono hawaïen, inspirateur de nombreux ouvrages de développement personnel, est la preuve qu’avoir un nom à coucher dehors n’empêche en rien d’être sexy. Au contraire ! Tous ceux qui friment en ce moment dans les dîners avec le friluftsliv norvégien (répétez le terme au moins pendant dix jours dans votre coin avant de vous lancer) et sa merveilleuse connexion à la nature en conviendront.
La valse des importations est telle qu’un ouvrage très récent, Le Tour du monde du bonheur de Marion McGuinness (1), nous embarque carrément : «Du Japon au Chili, de la Nouvelle-Zélande à la Scandinavie, partez à la découverte des secrets des gens heureux !» Quarante-quatre pays passent ainsi à la casserole feel good. Pourquoi le bonheur venu d’ailleurs fait-il un tel malheur ? Selon Eva Illouz et Edgar Cabanas, auteurs de Happycratie (2), il faudrait sans cesse aux «psytoyens» – ces obsédés de la réalisation de soi que nous sommes devenus – du nouveau grain à moudre. Si ce dernier semble croustillant, l’affaire est dans le sac.
Cocooning nordique et Zones bleues
Tout a commencé, souvenez-vous, avec le hygge danois, en 2016 : un fabuleux succès médiatique, un grand sujet de conversation («Mais si, ça se prononce “houga”, je te dis !») pour une resucée bien ficelée (à la laine vierge !) du cocooning des familles ! Idem pour tous les cousins nordiques qui ont suivi dans la foulée, filon éditorial oblige : sur fond de simplicité heureuse et d’harmonie avec la nature, rien de bien inédit, au fond, sous le soleil de minuit. On avait sans doute, en France, en cherchant un peu, des ressources philosophiques et culturelles locales à peu près équivalentes… Pour Jean-Didier Urbain, «cette attirance forte pour l’art de vivre à la scandinave traduit notre angoisse d’Européens du Sud, confrontés aux crises migratoires et aux interrogations écologiques. Le Bassin méditerranéen, qui a été pour des générations un mythe total de douceur de vivre, est entaché de visions mortifères. À l’inverse, les pays du Nord symbolisent un monde préservé : on leur associe immédiatement convivialité bienveillante et environnement intact».
Et les modèles extrême-orientaux, coréens ou japonais, qui se taillent aussi la part du lion sur le marché du bonheur en kit ? «On est cette fois plutôt dans le fantasme de la Blue Zone, ces endroits de la planète identifiés en 2010 par deux démographes comme ceux où l’on vit le mieux et le plus longtemps : Okinawa, avec ses multiples centenaires, en fait partie. Il s’agit souvent d’îles, là encore des métaphores d’un monde intact et protégé.» «Zone bleue», c’est vrai que ça claque plus que «régime du Sud-Ouest» ! Et pourtant, il avait du chien, ce bon vieux French paradox.
Tout le bonheur du monde
Quelques définitions pour trouver la méthode qui vous correspond :
– Hygge : bien-être à la danoise associant chaleur et convivialité avec un cadre cosy.
– Friluftsliv : état de félicité norvégienne induit par la vie au grand air.
– Cosagach : équivalent écossais du hygge.
– Coorie : équivalent écossais du friluftsliv.
– Ho’oponopono : gestion des conflits intérieurs et extérieurs, née à Hawaï, ruisselante d’amour et de tolérance.
– Ikigai : version japonaise de la joie de vivre, fondée sur le fait de trouver sa raison d’être et l’acceptation de soi.
– Lagom : recette suédoise pour être toujours à sa juste place, pile entre le trop et le pas assez.
– Nunchi : art subtil coréen d’utiliser tous ses sens pour comprendre enfin ce que les autres pensent ou ressentent.
– Sisu : cocktail finlandais de courage et de persévérance, assorti d’une profonde confiance en ses convictions.
(1) Marion McGuinness est l’auteure de Le tour du monde du bonheur, Éd. De Boeck Supérieur, 192 pages, 24,95€.
(2) Eva Illouz et Edgar Cabanas sont les auteurs de Happycratie, Éd. Premier Parallèle, 260 pages, 21€.
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