Notre enquête sur la fortune de la famille royale britannique.

Harry semblait ému, soulagé, quoique triste, lors de sa première apparition depuis la grande annonce. Les Sussex ne sont plus que « simples » duc et duchesse, le sommet de l’aristocratie, certes, mais, quand on est familier des cieux Windsor, le déclassement paraît abyssal… Harry et Meghan ne représenteront plus officiellement la Reine en déplacement, ne masqueront plus leur spleen lors d’inaugurations de plaques, des îles Tonga à l’Australie. Le prince et madame étouffaient depuis des mois, depuis la naissance de leur fils, Archie, selon les rumeurs des spécialistes.

La frontière entre public et privé relève d’une douce hypocrisie

Ainsi, Harry et Meghan pourront résider où le vent (polaire) les portera. Cette liberté a un prix. S’affranchir du conglomérat Windsor Inc., le portefeuille royal qui déborde de propriétés majestueuses, de terres fertiles, de multiples logements, de carrosses, de placements financiers, que la souveraine gère et exploite en attendant le suivant, n’est pas une mince affaire. Harry ne rompt pas avec sa famille, il n’est pas question de l’exiler comme un vulgaire abdicataire, il rompt avec son patron, la Firme qui le lange et le gâte depuis sa naissance. Puisque le prince se retire du job de « royal », les deniers publics que lui reversait Elizabeth II au titre des fonctions de représentation disparaissent, soit quelques centaines de milliers de livres par an. Des broutilles en comparaison des 2,5 millions annuels que lui donne son père depuis trois ans, en échange de bons et loyaux services. Harry pourrait conserver cette coquette somme, puisqu’elle provient des revenus personnels de Charles. Mais la frontière entre public et privé relève d’une douce hypocrisie quand on évoque les Windsor outre-Manche ; des gens qui ne gagnent leur croûte à l’usine, ni ne convainquent un employeur de leurs aptitudes.

Charles a hérité du duché de Cornouailles en tant que prince de Galles. A lui, cet ensemble de terres et de forêts qui s’étendent du Devon au Somerset, en passant par les îles Scilly, ce territoire immense, verdoyant, battu par la pluie, brouté par des vaches qui, toutes, lui appartiennent. Ce domaine inaliénable de 1 milliard de livres, Charles ne peut en céder la moindre parcelle, mais il encaisse à sa guise les bénéfices, soit près de 22 millions cette année. Plusieurs gouvernements ont essayé de torpiller ce privilège féodal, de « nationaliser » le duché, sans succès. Aujourd’hui, en distribuer les fruits à un cadet rebelle ferait mauvais genre. Aussi Charles a laissé entendre, selon la presse anglaise, qu’il allait financer la transition du couple Sussex sur ses fonds personnels, sa cassette, d’un montant opaque. « La famille royale gère de nombreux trusts dont on ne sait pas grand-chose. George VI et la reine mère ont légué les leurs à leurs petits-enfants… Les Windsor, qui détestent parler d’argent, souhaitent apparaître moins riches qu’ils ne le sont vraiment », précise David McClure, journaliste et auteur du livre « Royal Legacy ». La seule indication du montant de la fortune de Charles date de son divorce, en 1996. A cette époque, Diana avait déclaré l’avoir « plumé », en lui soutirant 20 millions de livres. Harry doit, dans un premier temps, demeurer poli et civilisé et apprendre à renoncer… Afin, au moins, de continuer à bénéficier de sa résidence lorsqu’il passera au royaume. Harry a d’ailleurs promis de rembourser les millions payés par le contribuable pour les travaux liés à son installation à Frogmore Cottage. « Charles lui fera sûrement un prêt, lui et Meghan n’ont pas tant de liquidités disponibles », suppute ce même McClure, pour qui la fortune des Sussex avoisine les 13 millions de livres. Mais l’insoumise Meghan gardera le meilleur, l’appellation Sussex et le prestige qui en découle.

Altesses royales ou pas, ils sont désormais ces vedettes planétaires en capacité de signer des partenariats avec des marques de mode ou de cosmétiques éthiques, des contrats avec Apple seraient même en préparation. Pourquoi pas avec Netflix, diffuseur de « The Crown » ? Bien sûr, ils reverseraient une partie des gains à des œuvres de charité… Jamais les zélés serviteurs de Buckingham n’auraient autorisé une telle marchandisation de la gloire royale. C’est aussi charmant que pathétique d’entendre Harry promouvoir sa femme pour un doublage auprès du grand patron des studios Disney, Bob Iger. Une courte vidéo a été filmée à son insu lors d’une avant-première. Pourquoi ce couple ne s’est-il pas contenté de sourire aux gamins qui leur tendent des fleurs ? L’été à Balmoral, l’hiver à Sandringham, la mi-saison en vadrouille pour la Reine, le tout entrecoupé d’escapades de leur choix… Depuis son union avec Harry, Meghan Markle n’a fait que mettre en sourdine ses business, sa société Frim Fram Inc. existe toujours, immatriculée dans l’Etat du Delaware, réputé comme paradis fiscal. L’actrice a conservé son manager, son avocat, son agent de l’époque de la série « Suits », comme si elle se ménageait une porte de sortie. Personne n’imaginait qu’un prince consentant pourrait passer cette porte avec elle.

Altesses royales ou pas, ils sont désormais des vedettes planétaires

Le fils de Diana n’a pas convolé avec une godiche d’aristocrate qui se serait épanouie dans le silence et la maternité. Curieuse alchimie entre un prince « roue de secours », voué à un rôle subalterne, et une ambitieuse à la modeste carrière. Il y a près de vingt ans, le prince Edward et sa femme avaient tenté une aventure similaire, gagner leur pitance et rester « royals » à part entière. Le dernier fils de la Reine présidait une société de production télévisuelle tandis que Sophie, comtesse de Wessex, dirigeait une boîte de relations publiques. Edward avait certifié qu’il ne produirait que des films non liés à son illustre famille. La Reine exigea qu’il ferme boutique. Quant à Sophie, après que l’on eut rapporté ses propos désobligeants sur Tony Blair, elle dut en faire autant. Personnages mineurs de la Firme, dénués de glamour et de capital sympathie, ils remplissent aujourd’hui leurs obligations sans éclats et sans soucis. En contrepartie, Elizabeth II les entretient, elle leur alloue, comme à Anne, Andrew, ses cousins Kent et Gloucester, un salaire annuel tiré du « privy purse », les profits « privés » de son duché de Lancaster, morceau de territoire du nord-ouest de l’Angleterre dont elle a hérité en s’asseyant sur le trône. Une fois les impôts et les proches servis, les bicoques entretenues – les domaines de Balmoral et Sandringham sont à elle et non à la Couronne –, le reliquat alimente un mystérieux magot. Au moment des Paradise Papers, de l’argent royal placé dans des trusts a d’ailleurs transité par les îles Caïmans. Le « Sunday Times » chiffre la fortune de la Reine à 370 millions de livres. C’est beaucoup pour une femme qui conserve ses céréales dans des Tupperware, mais pas grand-chose si on la compare avec celle du duc de Westminster, qui s’élève à plusieurs milliards. Plus de 300 personnes au Royaume-Uni sont plus riches que la Reine si l’on considère ce qui lui appartient en propre. Harry et Meghan rejettent cette existence à l’ombre du monarque. Elizabeth ne prêtera plus ses parures à Meghan qui peut dire adieu aux 98 broches, 46 ras-de-cou, 37 bracelets… C’est bien aussi de faire ses emplettes chez le bijoutier.

Harry file vers les caribous et William vers son destin

dLa victoire des Sussex est totale, au moins sur un point crucial, la presse. Harry honnissait le système du « Royal Rota ». « Daily Mirror », « Daily Mail », « Sun », ces tabloïds conservateurs qui le vomissent, lui et sa famille, au moindre pas de travers. Pourtant, même s’il se montrait plus froid et lointain envers la meute haïe, il devait composer avec leurs reporters accrédités au nom de l’information du contribuable. Enfin bye-bye. Meghan et lui pourront choisir leurs médias. Libéré, délivré, le Harry. Il file vers les caribous et William vers son destin. L’aîné n’a pas su ou voulu retenir le petit frère. La société aristocrate ne s’embarrasse guère de justice, le premier-né a tout, le deuxième, si peu. Diana traitait ses fils de manière égale, elle fut la seule. William aurait pu se muer en épaule réconfortante pour son cadet, mais trop d’amertume s’est accumulée. « Il doit se sentir abandonné et un peu envieux, coincé qu’il est par ce futur si écrasant, qu’il assume sans enthousiasme », analyse un expert. Gare à ne pas trop se fâcher tout de même. En plus des Bentley, des écuries, des trusts, des châteaux, les duchés de Cornouailles, puis de Lancaster tomberont un jour dans l’escarcelle du prince William. En cas de pépin, de divorce, par exemple, il pourrait accorder une discrète rente à son frère fuyant. Plutôt que suivre l’exemple de la malheureuse Margaret ou du ridicule et snob Andrew, Harry ose l’existence en dehors du carcan. Reste à savoir comment il s’accommodera de la nécessité d’une sécurité. Harry va-t-il débourser de sa poche 600 000 livres par an, coût des six policiers détachés pour sa protection ? La question se pose au moins pendant ses séjours à l’étranger. Le gouvernement canadien goûterait modérément l’idée de payer les frais d’un prince exilé volontaire.

La vieille monarchie n’a pas su s’accommoder de jeunes gens en quête de valeurs progressistes. Et la vaillante Reine se montre inflexible. Mais elle perd de la chair fraîche au potentiel de superstar. Harry et Meghan sont en train de créer un précédent. Dans vingt ans, si leurs neveu et nièce, Louis et Charlotte, les enfants « inutiles » de Kate et William, exigent de travailler, de humer l’air ailleurs que dans un palais, l’institution millénaire pourra-t-elle s’y opposer ? Probablement pas. La révolution est en marche.

Retrouvez dans le numéro 3690 de Paris Match les photos des joyaux et des nombreuses propriétés de la Couronne.

Source: Lire L’Article Complet