Attentive aux questions, franche et rieuse, la mannequin d’origine russe, égérie Guerlain, débarquée à Paris à l’âge de 17 ans, se révèle à la hauteur de l’admiration secrète, absolue, que lui voue la double lauréate littéraire de la rentrée – Interallié et Goncourt des lycéens.

J’ai menti en affirmant que j’avais quitté les réseaux sociaux par lassitude, rejet de la violence : j’ai quitté Instagram à cause de Natalia Vodianova. Je me surprenais à consulter son compte à toute heure – compte fort de 2,4 millions d’abonnés –, perturbant tous mes projets d’écriture.

Je ne pouvais jamais résister à la tentation de voir Natalia à la plage (en maillot de bain mini sexy, dévoilant un corps filiforme après CINQ grossesses), Natalia en train de rire avec ses enfants (beaux, blonds, mélomanes, bien élevés), Natalia enlaçant son amoureux et père de ses deux derniers fils (le gendre idéal, Antoine Arnault, fils de Bernard Arnault, première fortune mondiale au coude-à-coude avec Bill Gates et Jeff Bezos).

Une femme multiple

Bonne mère, fille aimante, mannequin internationalement connu, égérie Guerlain, femme amoureuse, humaniste engagée dans de multiples œuvres caritatives, fière de ses origines russes, marathonienne à ses heures perdues, n’hésitant pas à poster des photos de sa grand-mère entre des images de sa beauté sur papier glacé, Nata-supernova a, comme son surnom l’indique, quelque chose d’une héroïne surnaturelle. Pour la petite brune dont les cheveux indisciplinés bouclent à la moindre goutte de pluie, Natalia Vodianova incarnait le fantasme absolu. N’avais-je pas nommé l’un de mes personnages Natalia (dans Quand j’étais drôle) ?

Dès que je l’ai vue entrer dans cette salle où se pressaient une dizaine de personnes venues organiser la séance de photos, le visage nu, le corps sanglé dans un long manteau en simili cuir Stella McCartney, chaussée de grosses rangers noires Vuitton – un uniforme qui lui donnait une allure de général militaire –, j’ai pensé à Charlotte Rampling dans Portier de nuit : une beauté si singulière qu’elle semble disqualifier toutes les autres. Pas de maquillage, pas d’artifice, rien qu’une silhouette pure et gracile. Il y a quelque chose d’animal chez elle, mélange de proie et de prédateur : la biche et la lionne.

On devine la charge érotique sous les traits juvéniles, l’autorité naturelle sous l’apparente douceur – une lame dans le regard bleu azur. Ponctuelle, souriante, chaleureuse avec tous, elle dégage la droiture des êtres que la vie a testés par l’épreuve – car elle n’a pas toujours été cette femme gâtée par l’existence que tout le monde semble aimer – et après quelques minutes de conversation, on découvre l’extraordinaire combativité d’une femme qui a connu deux vies avant d’en vivre mille.

Une carrière au sommet

Le récit intime relève du conte de fées : ça commence mal, ça finit bien. Née le 28 février 1982 en Russie au sein d’une famille pauvre, Natalia grandit auprès de sa mère et de ses sœurs dont l’une est autiste – la lutte contre les discriminations et pour un meilleur accueil des handicapés sera le grand combat de sa vie à travers The naked heart foundation. À 11 ans, quand d’autres s’amusent, elle est déjà sur les marchés, tentant de vendre des fruits et légumes pour aider sa mère.

« Elle est un exemple pour moi, me dit-elle en anglais. Elle m’a appris les bonnes choses à faire. Elle n’a pas placé ma sœur. Elle l’a gardée auprès d’elle alors que tout le monde lui disait qu’elle était folle. » Elle s’interrompt un instant puis reprend avec aplomb :

« Parfois, pour faire des choses justes, vous devez aller contre tout le monde. »

Au milieu de la conversation, elle lâchera d’ailleurs ces mots qui disent tout d’elle : « I’m a fighter » – que l’on pourrait traduire par « je suis une battante », une personne qui ne lâche rien, une militante. Mais fighter signifie aussi un avion de chasse ; en argot français : une beauté parfaite. Sublime, elle l’est, et très vite, elle est remarquée dans la rue par l’un de ces agents de mannequins qui sillonnaient l’Europe de l’Est dans les années 90.

C’est ainsi qu’elle arrive à Paris à l’âge de 17 ans pour travailler comme mannequin. « Pour moi, en Russie, faire confiance aux gens était très difficile mais en Europe, j’ai rencontré des gens bienveillants. »Très vite, sa beauté magnétique et féline captive les professionnels. Elle pose sous les objectifs des plus grands photographes, fait la couverture des magazines les plus prestigieux de la planète. Sa carrière est lancée.

Pourtant, c’est cette période qu’elle évoque quand je lui demande si elle a connu le découragement : « Je me sentais perdue. Je venais d’avoir un grand succès et j’avais deux contrats en même temps. C’était la première fois que je n’avais plus à survivre. Je ne savais pas ce qui allait se passer ; il y avait une déconnexion entre mon passé et ma vie présente. Mon passé était difficile et traumatique ; mon présent, marqué par le succès ; je me sentais vide. »

Elle s’interrompt un instant : « Je me sentais presque en colère ». À la disette succède l’abondance. Elle devient l’un des mannequins les mieux payés du monde et, à 19 ans, elle épouse un rentier anglais avec qui elle aura trois enfants et dont elle divorcera quelques années plus tard.










Réalisation : Anne-Sophie Thomas.

Réalisation : Anne-Sophie Thomas.

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