Dans une enquête exclusive de "l’Obs", la patineuse Sarah Abitbol révèle avoir été violée entre ses 15 et 17 ans par l’entraîneur Gilles Beyer. Les ex-patineuses Hélène Godard et Anne-Line Rolland révèlent également avoir été violées par des entraîneurs. Toutes dénoncent une omerta puissante.

« Ce n’est pas facile de dire à 44 ans qu’on a été violée à 15 ans. » Ce mercredi 29 janvier 2020 devrait faire date dans l’histoire du patinage français. Le magazine hebdomadaire l’Obs dévoile une enquête accablante sur les violences sexuelles, l’omerta et la culture du viol qui règnent au sein du patinage artistique français professionnel. Et ce, depuis des décennies. 

Une patineuse et deux ex-patineuses témoignent

Trois femmes témoignent de viols qu’elles ont subi de la part d’entraîneurs lorsqu’elles étaient de toutes jeunes patineuses, parfois mineures : Sarah Abitbol, dix fois championne de France de patinage en couple, et les ex-patineuses Hélène Godard et Anne-Line Rolland.

Sarah Abitbol a été violée pendant deux ans par l’entraîneur Gilles Beyer, l’un des plus connus en France, entre ses 15 et 17 ans. Elle raconte ce calvaire dans Un si long silence, à paraître chez Plon ce 30 janvier.

Hélène Godard a également été violée par Gilles Beyer, lorsqu’elle avait 13 et 14 ans, mais aussi, plus tard, par l’entraîneur Jean-Roland Racle. Tandis qu’Anne-Line Rolland révèle avoir été violée par l’entraîneur Pascal Delorme, à l’âge de 12 ans. Celui-ci, accusé par six autres patineuses, a été condamné à dix ans de prison en 2003. 

Sarah Abitbol, violée par Gilles Beyer quand elle avait 15 ans

La plus connue du grand public est Sarah Abitbol, dont les prouesses ont marqué les années 90 et 2000. Ce 29 janvier 2020, elle révèle publiquement que Gilles Beyer, l’un de ses anciens entraîneurs, l’a violée à de nombreuses reprises à partir de ses 15 ans, pendant deux ans. 

Tout a commencé lorsqu’elle passe un été au stage de formation de Gilles Beyer, à la Roche-sur-Yon, loin de son père, gérant de boîte de nuit à Nantes, et sa mère, qui vit à Paris. C’est une chance inespérée, puisque l’homme, ancien patineur alors âgé de 32 ans, manage les équipes de France de patinage, et dirige par ailleurs un important club : les Français volants, basés au Palais omnisports de Paris-Bercy, explique l’Obs. 

Je n’avais jamais eu de petit copain, je ne pouvais pas mettre les mots sur ce qu’il me faisait…

Le soir, les élèves dorment dans de petits box sans porte. Un soir de juillet 1990, Gilles Beyer, saoul, agresse Sarah Abitbol. L’entraîneur met sa langue dans sa bouche et passe la main sous les draps. « Je n’avais jamais eu de petit copain, je ne pouvais pas mettre les mots sur ce qu’il me faisait… », raconte Sarah Abitbol à l’Obs. L’homme lui demande de garder le « secret ». Par peur de décevoir ses parents, qui faisaient beaucoup de sacrifices pour elle, l’adolescente ne dit rien.

Les deux années suivantes, Gilles Beyer use de son statut d’entraîneur pour justifier d’être régulièrement seul avec Sarah Abitbol. Il « l’agresse régulièrement », dans les vestiaires, sur le parking, et ailleurs, révèle l’Obs

Séquelles

En commençant le patinage de couple, Sarah Abitbol parvient à s’éloigner de son agresseur. Pendant des années, sa mémoire met de côté les sévices subis, mais ils finissent pas resurgir lorsqu’elle se blesse le tendon d’Achille avant les Jeux olympiques de Salt Lake City, en 2002.

« Sur la glace, j’étais absente, se souvient Sarah Abitbol auprès de l’Obs. J’avais peur de sortir de chez moi, Je ne pouvais plus prendre l’avion pour mes tournées, conduire une voiture seule, entrer dans des lieux fermés comme les parkings ou les centres commerciaux, je me découvrais des blocages que je n’avais jamais eus auparavant, très handicapants pour ma carrière et ma vie quotidienne. » 

Deux ans plus tard, Sarah Abitbol, qui a arrêté la compétition pour se concentrer sur les galas, en parle à ses parents. Ils l’encouragent à porter plainte, mais elle refuse. « Je n’avais pas confiance, déclare-t-elle à l’Obs. Il était puissant, et devant les juges, ç’aurait été sa parole contre la mienne. Et il aurait fallu raconter ces choses dégoûtantes ! J’étais trop dévastée. Rétrospectivement, je regrette. C’était en 2004, #Metoo n’était pas passé par là, et aujourd’hui les faits sont prescrits. »

Giller Beyer s’est « excusé »

La famille Abitbol décide alors de confronter directement Gilles Beyer. La patineuse et ses parents rencontrent dans son bureau de la patinoire de Bercy, où il exerce toujours à la tête des Français volants. L’homme reconnaît les faits, présente des excuses. 

Mais dans les mois suivants, Sarah Abitbol se sent « coupable » qu’il soit toujours en poste, et décide d’alerter la hiérarchie de Gilles Beyer. Le président du club des Français volants lui conseille de « passer à autre chose ». Elle contacte ensuite Jean-François Lamour, alors ministre des Sports, qui l’informe qu’un « dossier » circule sur l’agresseur, mais que sans plainte, « il ne peut rien pour elle ». Lui aussi estime : « Autant en rester là ». 

Au fond, tout le monde me disait : ‘Prends tes médocs et tais-toi !’ J’ai obéi : j’ai pris mes médocs et je me suis tue.

« J’ai compris que j’étais face à un silence organisé, appuie Sarah Abitbol auprès de l’Obs. Au fond, tout le monde me disait : ‘Prends tes médocs et tais-toi !’ J’ai obéi : j’ai pris mes médocs et je me suis tue. »

Gilles Beyer, agresseur connu de tous

Pourtant, déjà à l’époque où il la violait, Gilles Beyer avait une « mauvaise réputation », notamment à cause de sa propension à boire beaucoup. Son attitude envers les jeunes patineuses était souvent jugée douteuse, déplacée.

L’enquête de l’Obs met ainsi au jour une omerta très forte envers les violences sexuelles dans le milieu du patinage artistique, où violeurs et agresseurs bénéficient d’une impunité totale. « En enquêtant autour du témoignage de Sarah, on pensait raconter l’histoire d’un entraîneur et on tombe sur un nid d’abuseurs, une culture du viol institutionnalisée », s’indigne la journaliste Emmanuelle Anizon, en charge de cette enquête.

Jusqu’à quel point ces faits étaient-ils connus, et tus ? L’Obs relève ainsi que Didier Gailhaguet, patron depuis plus de vingt ans de la Fédération des Sports de Glace, n’a pas voulu leur répondre. « Il connaît tout sur tout le monde, il a des dossiers sur les uns sur les autres et réciproquement », assure un ancien entraîneur de Sarah Abitbol.

Dix ans avant elle, la patineuse Laetitia Hubert avait signalé que Gilles Beyer l’avait harcelée à raison de bouquets de fleurs et de demandes de massage, alors qu’elle avait 15 ans. Une enquête avait été classée sans suite en 1998. 

Deux ans plus tard, Marie-George Buffet, alors ministre des Sports, avait demandé une enquête administrative, qui avait conclu que « le comportement de l’entraîneur est incompatible avec un poste en relation avec des mineurs ». Gilles Beyer avait été écarté de l’entraînement olympique, mais pas de la Fédération nationale, dont il a fait partir du bureau exécutif jusqu’en 2018. 

En 2020, le site du club des Français volants le mentionne encore comme « manager général », pointe l‘Obs.

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