Tous deux travaillent la musique électronique comme un art à part. En ce début d’année, les deux Frenchies sortent deux albums hors norme. Rencontre sur leurs terres de création.

C’est un endroit féerique, perdu quelque part entre l’Islande et le Royaume-Uni, qui paraît tout droit sorti d’un conte des frères Grimm. Ici, les moutons sont plus nombreux que les habitants, les noms des villes imprononçables, et le vert dominant est si intense que les paysages semblent avoir été retouchés sur Photoshop. Et à Elduvik, entre deux falaises rocailleuses, face à l’Atlantique, un ovni : une caravane Airstream en aluminium aussi brillante qu’une jante de Renault 5. « Bienvenue aux îles Féroé ! » lance William Rezé, qui s’est choisi le pseudonyme Thylacine (loup de Tasmanie), en bondissant hors de son véhicule.

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A l’intérieur, la maison des sept nains est confortable. Douche, toilettes, kitchenette, banquette, mais surtout un espace pour enregistrer. « J’ai bossé avec un acousticien, je voulais un vrai lieu de travail, pas quelque chose pour dépanner. On a fait des tests et on a un endroit mieux isolé que la plupart des studios parisiens parce que la configuration de la caravane est idéale. »

Thylacine est un orfèvre du son. Formé au conservatoire, il y a étudié le solfège et la musique classique. « J’ai eu l’impression de n’avoir rien appris en dehors de la lecture des partitions. J’ai beaucoup écouté et joué du jazz pour m’habituer à la composition. Je me suis tourné vers la musique électronique parce que c’était un média avec lequel on pouvait créer plein de choses. » Ce côté pratique, l’Angevin l’exploite au maximum. Son premier album, sorti en 2015, a été conçu dans le Transsibérien. Le troubadour nomade se sert de ses voyages comme de récits exotiques musicaux. Et si le fond est électronique, des sons bien réels, enregistrés dans des contrées lointaines, donnent corps à l’ensemble. Le vrombissement du train, les voix des autochtones croisés sur place…

« Les gens avec qui je travaille me disaient : “Tu devrais faire un featuring avec des chanteurs connus” ; moi, j’ai préféré aller chercher une mamie chamane ! » Le train avance, certes, mais tout romanesque soit-il, il a un tracé dont on ne peut se détourner. C’est là que le producteur a l’idée de trouver une roulotte à retaper. Après un premier périple en Argentine, il a choisi les dix-huit îles nordiques pour poser son encombrant véhicule. « J’ai fait trois jours de route jusqu’au Danemark puis deux jours de bateau. L’intérêt est de pouvoir me poser dans des endroits où personne ne va. » De village en village, il se déplace à pied, armé de ses deux micros et de son casque pour capturer les sons environnants. Les vagues, la musique traditionnelle locale étrange, un saxophone dans une grotte, une chorale, des chants religieux… « Je fais un morceau par lieu. Le voyage me permet d’avoir une continuité sur l’album. Ce n’est pas une succession de morceaux, c’est une vraie narration. » Et « Roads Vol. 2 » rend compte à merveille de la magie du lieu et de sa poésie.

The Avener, ouvre tout sourire la porte de sa villa moderne sur les hauteurs de Nice

Mais Thylacine n’est pas le seul à pratiquer l’électro comme un art fin et délicat. A des milliers de kilomètres de là, sous un soleil de plomb, les cigales chantent alors que le vent chaud s’engouffre à travers les pins. Tristan Casara, connu sous le nom de The Avener, ouvre tout sourire la porte de sa villa moderne sur les hauteurs de Nice. Pendant qu’il mène la visite, il raconte à quel point il aime le calme de cet endroit. Il tient à nous montrer son studio flambant neuf à l’étage de la maison. La pièce est baignée de lumière, la vue époustouflante et le matériel dernier cri. Il balance un son pour faire vibrer les enceintes avec le plaisir d’un geek qui allumerait la nouvelle PlayStation pour la première fois. « Je ne peux pas écouter mon album précédent ici, j’y entends toutes les petites choses qui me dérangent. D’ailleurs, je vais décaler la sortie de mon album pour qu’il soit parfait. Mais chut, mon label ne le sait pas encore », plaisante-t-il.

Capitol a en effet dû être patient… Il aura fallu cinq mois de peaufinage supplémentaire pour que « Heaven » devienne le petit paradis qu’il est aujourd’hui. The Avener a toujours été perfectionniste. La moindre ligne de basse est décortiquée, étudiée, scrutée, pour que rien ne sonne faux. Sans doute une déformation liée à ses débuts au piano, qui lui ont procuré ses premiers émois musicaux. Mais, à la minute où il découvre l’électro, il demande une platine à ses parents. Il commence les DJ sets à une époque où, dit-il, tout le monde rêve de faire ce métier… pour de mauvaises raisons. « Ils voulaient être connus ou draguer des nanas. Moi, je faisais ça par amour de l’outil. Quand je gagnais 120 euros par soir, j’en dépensais 40 en disques. J’ai plus de moyens pour travailler maintenant, et plus de reconnaissance, donc je m’entoure de gens talentueux. Mais c’est un piège parce qu’on peut vite s’appuyer uniquement là-dessus et oublier que le plus important doit rester la créativité personnelle. »

Connu mondialement depuis son tube « Fade out Lines », en 2014, qui l’a fait exploser en quelques semaines, le Niçois a essayé de s’entourer de noms qui font vendre. « Quand j’ai commencé ce nouvel album, j’ai pris des rendez-vous avec des managers. Ils me disaient des trucs comme : “Un couplet, c’est 50 000 euros.” Mais ça ne fonctionne pas comme ça, la musique. Si ça te plaît, on bosse ensemble, et si ça marche, ça marchera pour nous deux. J’ai tout arrêté et j’ai cherché des gens qui font ça essentiellement par passion. » Comme Thylacine, qui a vécu en ermite sur son île, le puriste Casara, qui s’est pourtant produit dans les plus gros festivals, ne se reconnaît pas dans le côté bling-bling de son milieu. Voir Guetta sortir d’un jet privé ou DJ Snake s’afficher avec des lunettes à plusieurs milliers de dollars sur Instagram le dépasse.

« On a fait de nous des entertainers et plus seulement des artistes. On n’est pas là pour faire rêver, on est là pour faire danser. Quatre-vingt-dix pour cent des DJ qu’on connaît n’ont même pas le temps d’aller en studio. Ils payent des gens pour faire leur musique ! Appeler son pote à Los Angeles pour lui dire : “Fais-moi tel beat, tel accord”, ce n’est pas être musicien, ce n’est pas notre métier. Si demain je n’ai plus le temps de composer, j’arrêterai les concerts et j’irai en studio pour créer par moi-même. » En attendant sa tournée, il s’est remis à faire des exercices de piano, instrument qu’il tient à jouer sur scène. « Je veux privilégier le jeu devant le public plutôt que d’aller faire des implants ou une manucure ! » Difficile d’être un touche-à-tout avec du vernis qui n’a pas séché…

FORMATION MUSICIEN

A l’origine, ils sont pianistes, violoncellistes, trompettistes… Les prodiges de l’électro sont de plus en plus nombreux à disposer d’une formation classique qu’ils détournent pour devenir des virtuoses du numérique. Clément Bazin, Petit Biscuit, Fakear, Møme…, entre autres, sont tous musiciens de talent et ont préféré l’électronique à leur instrument de bois ou de cuivre. Alors, ils traitent ces sons préfabriqués avec la précaution d’un horloger face à une Cartier vintage. Les mélodies sonnent clair et sont pensées spécialement pour les détenteurs d’enceintes de haute volée et de casques perfectionnés. Une nouvelle vague en marge des pionniers du secteur – Guetta, Sinclar et les nouvelles grosses têtes d’affiche des festivals mondiaux (DJ Snake…), – qui n’ont jamais soufflé dans une trompette. CD

OÙ ET QUAND

Thylacine, en tournée actuellement. A l’Olympia, Paris, le 19 mars.

« ROADS VOL. 2 » Thylacine, (Intuitive Records), sortie le 7 février.

OÙ ET QUAND

En tournée actuellement. A l’AccorHotels Arena, Paris, le 14 novembre.

« HEAVEN » The Avener, (Capitol Records), sortie le 24 janvier

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