- De nombreux utilisateurs de Twitter ont créé un compte pour leurs chats (si).
- Les chats y parlent avec leur propre langage et abordent des sujets variés.
- Ce réseau parallèle permet aussi d’aborder des sujets sérieux.
Tout a commencé début janvier, avec ce message de mon chef de service. « Je découvre le monde du « touitoui », les chats sur Twitter », m’écrit Benjamin Chapon. Il avoue son « malaise » : « Les chats, c’est sur
Insta », estime-t-il. Au même moment, ses notifications sur Twitter sont remplies de messages et de tweets de comptes de chats.
Pourquoi tous ces messages ? Ce journaliste peu prudent a eu le malheur de proposer d’organiser « un concours des plus beaux chats de twittos ». Débarquent alors une armée de « pôtichats », des chats utilisateurs de Twitter, mécontents des conditions du concours. « Mais tes règles elles sont un peu toutes pourries paske le TwiTwi des potichats c’est les chats qui le gèrent tu vois, donc c’est les chats qui ont des comptes et pas des humains tu vois. C’est toute 1 culture et faut pas mélanger », lui écrit DidineChatNinja.
Un Twitter géré par des chats ? Il n’en faut pas plus pour nous intriguer. Je propose d’enquêter sur ce « Touitoui ».
République féline
Le Touitoui (ou Twitwi) des pôtichats, est bel et bien une communauté à part entière sur le Twitter francophone. Ils ont leurs codes (le monde est vu par les yeux du chat), leur langage (la syntaxe est différente, et on parle de « pôtichats », de leurs « z’humains », le vétérinaire est « la Blouse », etc) et leurs passions (le patépoulet semble être l’une des principales). Ils racontent leur quotidien, leurs dernières bêtises et leurs frustrations. Ils ont même un gouvernement : le Twitwi est en effet une République (féline), avec à sa tête un « Présinours » et un gouvernement de « minoustres ». « Minoustre des mamychats et papychats », « minoustre de la Santé et des pressriptions », « secrétaire deschats des plans vigiptites pattes »… Les titres sont aussi variés que les envies des « chats ».
Pour faire partie du « Touitoui », rien de plus simple : il suffit d’être un compte de chat et d’adopter leur manière de parler, explique Valentin, « l’humain » de @Nounourslechat, le Présinours. Il nomme les minoustres, organise l’élection des « miouss » ou promulgue des décrets.
« On reprend le personnage du chat, en interprétant son comportement »
Valentin a 20 ans, il est étudiant. Il n’a pas de compte à son nom, seulement celui de son chat, Réglisse à l’état civil, bientôt 5 ans. « Avant que je ne découvre la communauté des chats, j’utilisais déjà sa photo pour être anonyme sur les réseaux sociaux. Je retweetais parfois les comptes de chats célèbres comme Grumpy Cat, mais je ne connaissais pas les comptes amateurs ». En 2017, il découvre le compte @SuetterlinKatz, créatrice du langage aujourd’hui utilisé par les chats du Touitoui. « Je me suis pris au jeu, j’ai retweeté, puis j’ai adopté le langage. »
Les chats du « Touitoui » parlent principalement de sieste, de nourriture, de câlins avec leurs humains, des objets qu’ils ont cassés ou des voyages qu’ils ont faits. Parfois, les discussions sont plus sérieuses, quand les « pôtichats » demandent des conseils sur une blessure ou une maladie, ou quand ils retweetent une annonce concernant un chat perdu ou en attente d’une famille.
Faire passer des messages
« Cette communauté est assez engagée sur la condition animale », explique Valentin. Géraldine, 47 ans, l’humaine de Marley et Pago, les chats du compte @DidineChatNinja, l’utilise également pour faire passer des messages : « On tweete souvent pour encourager à adopter, à tatouer son chat, ou à le stériliser, pour éviter la prolifération des chats abandonnés. Dit par les chats, le message passe mieux. D’autres personnes utilisent le Touitoui comme une bulle en dehors de la négativité des réseaux sociaux. »
C’est d’ailleurs pour l’aspect très « positif » du Twitter des « pôtichats », à mille lieues des polémiques qui enflamment fréquemment le réseau social, que Géraldine a transformé à l’automne 2018 son compte d’humaine en compte de chat. Cette mère de famille, qui travaille et s’investit dans l’associatif, s’était inscrite sur Twitter pour suivre l’actualité. « Au moment des gilets jaunes, tout le monde s’insultait. Il y a une agressivité décomplexée sur le Twitter des humains », estime-t-elle. Un jour, elle voit passer un tweet de chat. « Je me suis dit » Non, c’est pas vrai, des gens font ça ? « . » Peu à peu, elle se prend au jeu, commence à suivre des comptes de chats… « Et puis je me suis dit qu’ils avaient raison. » Elle modifie son compte, sur lequel elle fait parler Guiness et Yoda, deux chats désormais décédés. Marley et Pago ont repris le flambeau.
« On communique avec un vocabulaire positif »
« On essaye d’avoir sur le monde le regard qu’on imagine qu’un chat pourrait avoir, sachant que la vie du chat n’est que dans la satisfaction de ses plaisirs, détaille Géraldine. On communique avec un vocabulaire positif, on vient là pour se saluer, se féliciter. Derrière, c’est une manière de souhaiter une bonne journée aux humains. »
Géraldine, comme Valentin, évitent de parler politique ou de « sujets polémiques » via leur chat. Mais la plupart des chats racontent le quotidien de leurs humains, et par-là même la société. « Par exemple, plusieurs chats ont des humains qui font le Ramadan. Ils en ont parlé, c’est devenu le « rat-madan » dans notre langage, explique Géraldine. Quand un chat a raconté que son humain avait pu changer d’état civil, tout le monde l’a félicité. Il y a une espèce d’inconscient collectif qui s’est créé sur de mêmes valeurs de « positivitude » et de « mignonitude », comme diraient les chats. »
Le deuil par les yeux du chat
Mais les chats abordent parfois des sujets plus difficiles. Comme la mort, ou « la Grande Sieste », car il arrive souvent que des chats décèdent. Crapouille, l’un des pionniers du Twitter des chats, est ainsi décédé en décembre 2019. A travers ses derniers tweets, on peut lire sa maladie, l’inquiétude et le chagrin de sa maîtresse.
Quelques semaines plus tôt, Valentin avait créé @LeGrandRêve, un compte sur lequel « on peut laisser des messages pour les chats ou les animaux du Twitter ». « Beaucoup de gens se cachent de pleurer quand ils perdent un animal. La solidarité qu’on ressent sur Twitter aide dans le deuil de l’animal », estime Géraldine.
Certains racontent même des deuils personnels, « vus » par leur chat. C’est le cas de Claire, 38 ans. « J’ai un peu discuté via mon chat de la mort de mon père. J’ai raconté certains épisodes un peu absurdes, le chat n’a pas arrêté de se cacher parce qu’il était perdu dans une maison pleine de monde. Raconter la vie à travers les yeux de son chat est aussi une manière de mettre à distance certains événements. »
« Jouer avec les réseaux sociaux et le langage »
Cette docteure et enseignante-chercheuse en littérature comparée est l’humaine de Scat, le chat qui parle depuis le compte @SuetterlinKatz aux 5.900 abonnés. Claire a en partie créé le langage aujourd’hui utilisé par le « Touitoui ».
« J’ai adopté Scat en 2015, et j’ai créé le compte pas longtemps après, explique-t-elle. J’ai un compte Twitter personnel, dont je me sers beaucoup. J’ai vu le compte du chat comme une manière de jouer avec les réseaux sociaux et le langage. » A l’époque, elle travaille avec ses étudiants sur le point de vue animal en littérature. « On discutait de l’animal narrateur, qui pose la question du langage : comment parlent des animaux ? Comment on montre leur altérité dans un langage humain ? Ici, cela passe par la déformation du français, avec des défauts de syntaxe et d’orthographe classiques. »
Autant de défauts qui deviennent de nouveaux codes, repris par les chats qui s’imitent les uns les autres. « Je n’ai pas réfléchi à un système, c’est venu petit à petit et ça a fait tache d’huile. »
Faire la satire des humains
Elle donne à son chat de Twitter les caractéristiques de son propre chat. « Il est peureux, gourmand, gentil, curieux… Je le fais parfois tweeter sur l’actualité, le foot, les manifestations, les présidents… C’est une façon de se servir de la voix du chat pour faire de la parodie. D’ailleurs, si on regarde les écrivains qui se sont amusés à faire intervenir des bêtes, c’est souvent pour faire la satire des humains », constate Claire. La manière de fonctionner des comptes de chat rappelle d’ailleurs celle d’autres comptes parodiques fameux de Twitter, comme @JésusOfficiel ou
@_dieuOff.
Mais tout cela n’est que l’opinion des humains. Les chats, eux, assument d’utiliser Twitter dans un but bien précis. « On fait les miauleries pour bien éduquer nos humains et qu’ils nous servent mieux », m’expliquent Marley et Pago par message privé. « Nous les potichats on va dominer le Twitter avec notre mignonitude. »
Scat a moins d’ambition : « Mon organisation veut la domination *du monde* mais moi que je suis un chat modeste je veux la domination de chez moi, que c’est déjà beaucoup de travail. Je souhaite dire [aux humains] il faut qu’ils se font adopter par un chat et ensuite il faut leur chat il a son twitter et comme ça les humains ils rigoleront tous les jours un peu ça fait du bien à le moral. » A bon entendeur…
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