Un procès hors du commun débute officiellement à la Cour suprême de New York, à Manhattan (Etats-Unis), mercredi 22 janvier. Après deux semaines de sélection du jury, Harvey Weinstein est jugé pour viol et agression sexuelle. L’ancienne assistante de production Mimi Haleyi accuse le producteur de lui avoir imposé un cunnilingus en 2006, tandis qu’une deuxième plaignante anonyme accuse Harvey Weinstein de l’avoir violée dans une chambre d’hôtel, en 2013.
Dans la salle d’audience vont s’affronter des personnalités emblématiques et médiatiques de la justice américaine. Qui sont-elles ? Quelle est leur implication dans le dossier Harvey Weinstein ? Eléments de réponse.
Le juge : James Burke
Chargé de présider ce procès, James M. Burke est juge à la Cour suprême de New York depuis 2011. Avant l’ouverture du procès, James Burke a supervisé un élément-clé : l’inclusion du témoignage d’Annabella Sciorra, comédienne et productrice américaine qui accuse Harvey Weinstein de l’avoir violée, en 1993. Son dossier est trop ancien pour être jugé en tant que tel, mais pourrait ajouter la notion de « prédation » aux charges contre Harvey Weinstein.
Le juge Burke a déjà montré une certaine fermeté envers le producteur. Au deuxième jour du procès, il a vivement rappelé à l’ordre Harvey Weinstein, qui envoyait des SMS en salle d’audience. « Est-ce vraiment comme cela que vous voulez finir en prison pour le restant de vos jours ? En envoyant des SMS et en enfreignant une règle du tribunal ? », a lâché sans frein le magistrat, menaçant de révoquer la caution du producteur. La défense n’a pas manqué d’utiliser cette scène contre le juge, dénonçant un biais et réclamant qu’il soit remplacé. Ce dernier, sans surprise, a refusé. « Je n’ai en aucun cas préjugé cette affaire », a-t-il répliqué.
L’avocate de la défense : Donna Rotunno
Elle fait partie de la troisième équipe d’avocats d’Harvey Weinstein, avec Damon Cheronis et Arthur Aidala, depuis juillet 2019. Le « Dieu » déchu d’Hollywood ne l’a pas choisie par hasard : Donna Rotunno a fait de la défense d’hommes accusés de harcèlement ou d’agressions sexuelles le fil conducteur de sa carrière. En 15 ans d’exercice, l’avocate a défendu une quarantaine de clients dans ce cas, précise le Chicago Magazine*. Elle n’a perdu qu’une seule fois.
Originaire de la banlieue de Chicago (États-Unis), l’avocate a d’abord été procureure adjointe, chargée notamment d’affaires de violences conjugales, raconte le New York Times*. Donna Rotunno a ensuite ouvert son propre cabinet en 2005, à 29 ans. L’un de ses anciens clients la qualifie de « bouledogue en salle d’audience ». En 2014, l’avocate a obtenu l’abandon des poursuites visant Elhadji « Haj » Gueye, un créateur de mode accusé de viol par une voisine. Donna Rotunno a fait douter le jury en plaidant que la victime tentait d’extorquer de l’argent à son client.
A la question « Comment pouvez-vous défendre Harvey Weinstein ? », posée par la chaîne Fox News* en décembre, l’avocate a répliqué : « Comment pourrais-je ne pas le faire ? » Sa ligne de défense est nette : le mouvement #MeToo a entraîné « une ère de condamnations basées sur des allégations », critique-t-elle. « Les femmes sont responsables des choix qu’elles font », défend l’avocate. « Si vous ne voulez pas être une victime, n’allez pas dans cette chambre d’hôtel », lâche-t-elle auprès d’ABC*, omettant les fois où son client est accusé d’être entré de force dans les chambres de ses accusatrices.
Face au juge, elle insistera sur un élément : les deux plaignantes ont échangé avec Harvey Weinstein des messages « affectueux », après les faits dénoncés. Donna Rotunno y voit une preuve du consentement des victimes. Comme l’explique le New York Times*, de nombreuses victimes de violences sexuelles restent en contact avec leurs agresseurs, notamment quand ceux-ci occupent une position de pouvoir. Les plaignantes doivent s’attendre à un « contre-interrogatoire brutal », prévient leur avocate Gloria Allred.
L’avocate des plaignantes : Gloria Allred
Le point commun entre Bill Cosby, Michael Jackson, O.J. Simpson et Harvey Weinstein ? Les personnes accusant ces titans d’Hollywood ont toutes fait appel aux services de Gloria Allred pour les défendre. De quoi faire d’elle l’une des avocates les plus médiatiques des Etats-Unis. Un documentaire, « L’avocate des femmes », lui est même consacré sur Netflix. Gloria Allred, 78 ans, s’est bâti un nom en défendant, depuis quatre décennies, de nombreuses victimes de violences sexuelles et de discriminations.
Née dans une famille modeste de Philadelphie (Etats-Unis), Gloria Allred a vécu, à 25 ans, un drame qui a façonné ses convictions féministes. En vacances au Mexique, elle est violée sous la menace d’une arme à feu, avant de devoir avorter dans le secret. Depuis, cette enseignante devenue avocate défend avec poigne ses clients, tant en salle d’audience qu’en interview. Habituée des plateaux de télévision, Gloria Allred est une « experte en conférence de presse », résume The New Republic. Régulièrement, l’avocate convoque les journalistes et accompagne ses clientes face aux micros et caméras. C’est ainsi que Mimi Haleyi est apparue aux côtés de Gloria Allred, devant la presse, le 24 octobre 2017.
L’avocate représente aussi d’autres accusatrices d’Harvey Weinstein. Gloria Allred aurait incité l’une d’elles, en 2004, à signer un accord de confidentialité de 125 000 dollars avec le producteur, ce qui lui a valu des critiques de la part de journalistes du New York Times*, qui estiment que ces accords n’aident pas les autres femmes. Gloria Allred se défend, dans le Los Angeles Times*, en invoquant l’intérêt de sa cliente : « Je ne veux pas que les femmes pensent qu’elles doivent toujours se sacrifier pour le bien commun. »
Le procureur de Manhattan : Cyrus Vance Jr.
Le procureur de Manhattan Cyrus Vance Jr. représente le gouvernement dans le dossier. Son nom vous dit peut-être quelque chose : il est apparu dans l’enquête pour agression sexuelle et tentative de viol visant Dominique Strauss-Kahn, en 2011. Comme le rappelle Vanity Fair, le procureur de Manhattan avait d’abord défendu vivement Nafissatou Diallo, la plaignante, avant de changer son fusil d’épaule. Son bureau avait requis l’abandon des poursuites, évoquant « une quantité de preuves » insuffisantes et des incohérences dans le récit de Nafissatou Diallo. Avant cette retentissante affaire, Cyrus Vance Jr. s’était fait remarquer en jouant un rôle décisif dans l’affaire Boeing, au début des années 2000. Son cabinet d’avocat avait obtenu que l’avionneur s’engage à dédommager 29 000 employées victimes de discrimination salariale pour un montant total de 72 millions de dollars, selon le Wall Street Journal*.
Le procureur est devenu un protagoniste de l’affaire Weinstein avant même l’ouverture de l’enquête new-yorkaise, quand son bureau a classé sans suite une plainte accusant le producteur d’agression sexuelle, en 2015. Cette action lancée par la mannequin Ambra Battilana Gutierrez était pourtant accompagnée d’un enregistrement accablant, dans lequel Harvey Weinstein reconnaissait lui avoir touché la poitrine et « être habitué à ce genre de choses ». Le journaliste Ronan Farrow, qui a révélé l’affaire Weinstein, affirme que l’équipe de Cyrus Vance Jr. a subi « une forte pression », notamment financières, du producteur. Plusieurs médias américains évoquent des contributions à sa campagne de réélection, versées par des avocats de Weinstein.
A plusieurs reprises dans sa carrière, Cyrus Vance Jr. a été soupçonné de conflits d’intérêts. Le procureur aurait reçu plusieurs milliers de dollars de dons de campagne venus du cabinet de Benjamin Brafman, avocat de Dominique Strauss-Kahn dans l’affaire du Sofitel. ProPublica* a également révélé un don de 25 000 dollars reçu en 2012 de l’avocat personnel de Donald Trump, pendant que son bureau enquêtait sur ses enfants Donald Jr. et Ivanka. Le procureur avait finalement mis un terme à son enquête. Face aux soupçons, Cyrus Vance Jr. a déclaré en 2018 refuser tout don de la part d’avocats impliqués dans des affaires en cours dans sa juridiction.
La procureure principale : Joan Illuzzi-Orbon
Joan Illuzzi-Orbon est chargée d’étayer l’accusation au cours de ce procès. L’adjointe de Cyrus Vance Jr. supervise l’enquête new-yorkaise visant Harvey Weinstein depuis avril 2018, note Associated Press*. Originaire de Staten Island, elle travaille depuis 1988 au sein du bureau du procureur de Manhattan.
Elle fut aussi en charge de l’enquête sur l’affaire du Sofitel en 2011, avant de recommander l’abandon des poursuites contre DSK. Joan Illuzzi-Orbon est toutefois davantage rompue aux affaires moins médiatiques, comme la défense de victimes vivant « en marge de la société », témoigne un ancien collègue auprès du Hollywood Reporter*.
Début décembre, à quelques semaines de l’ouverture du procès d’Harvey Weinstein, Joan Illuzzi-Orbon a appelé le juge Burke à relever la caution du producteur déchu à cinq millions de dollars (plutôt qu’un million), révélant des dizaines de déconnexions de son bracelet électronique. « Il ne s’agissait pas de problèmes techniques, a-t-elle déclaré, Monsieur Weinstein ne voulait pas que l’on sache où il se trouvait. » La procureure a réitéré ses alertes à l’ouverture du procès, réclamant la détention provisoire du prévenu pour éviter sa fuite. Demande rejetée.
*L’ensemble de ces liens sont en anglais.
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