L’actrice française, révélée en 2007 dans "La graine et le mulet" d’Abdellatif Kechiche, présentait "Tu mérites un amour", son premier long-métrage, pour la Semaine de la Critique du Festival de Cannes. Rencontre sous une bonne étoile.

Cette année marque une évolution historique dans l’histoire du Festival de Cannes : quinze réalisatrices sont en sélection officielle, dont quatre en compétition. Hafsia Herzi y présente son premier long-métrage, en séance spéciale, dans le cadre de la semaine de la critique. Elle l’a écrit, produit, financé et réalisé, elle y tient également le premier rôle. «Le film était encore en montage quand je l’ai envoyé. explique-t-elle. Je n’avais rien à perdre, je me suis dit ‘au pire, on a un film.» On l’attendait avec Bonnes Mères, un projet dont elle parle depuis plusieurs années, inspiré de l’histoire de sa mère. Elle présente finalement Tu mérites un amour, l’histoire de Lila, une jeune fille qui vit toutes les expériences par lesquelles on peut passer après une violente rupture : questionnement, errance, désespoir, et une liberté presque douloureuse. Un film sensuel, parfois dur, réel surtout, pour lequel elle a réuni des jeunes acteurs et des amis dans un Paris identifiable, celui de Châtelet les Halles et des parcs en été, des soirées dans des clubs un peu sombres et dans des appartements trop petits. De La graine et le mulet à L’amour des hommes, Hafsia Herzi a prouvé sa capacité à transmettre une humanité si sincère qu’elle en est presque douloureuse. Pour son premier long-métrage, elle fait passer l’émotion juste là où elle percute, en plein dans le cœur, et avec le sourire.

Si on en croit ses paroles, c’est une question de bonne étoile.

Hafsia Herzi dans "Tu mérites un amour"

© REZO FILMS

Il y a dix ans, vous parliez déjà de réaliser un long-métrage.

J’ai toujours voulu réaliser. Très jeune déjà j’écrivais des petites histoires, j’observais ce qui se passait autour de moi, je rêvais la création. Il m’a fallu du temps, je n’ai pas fait d’école de cinéma, j’ai tout appris sur le tas. C’est en regardant Abdellatif Kechiche travailler, pendant le tournage de La graine et le mulet, que je me suis décidée. Je me suis lancée en 2010 avec un premier court-métrage, quand j’ai vu le boulot que ça représentait pour un résultat aussi court, je me suis dit ‘la prochaine fois, ce sera un long !’

On vous attendait avec Bonnes Mères, c’est finalement un tout autre projet que vous présentez. Que s’est-il passé ?

Bonnes Mères a rencontré des problèmes de financement, donc j’ai dû le reporter. Mais je le ferai un jour, c’est un projet très important pour moi, presque vital. Tu mérites un amour, c’était presque un coup de tête. Je me suis réveillée un matin en me disant ‘Il faut que je tourne, qu’est-ce que je pourrais faire simplement, en peu de temps, sans argent ?’ C’est difficile à expliquer, c’était comme une pulsion. J’avais ce scénario dans mes archives, il s’est imposé comme une évidence. À partir de là tout est allé très vite, j’ai appelé une petite équipe avec qui j’avais envie de travailler et on s’est lancé.

Jeremy Laheurte et Hafsia Herzi dans "Tu mérites un amour"

© REZO FILMS

Racontez-nous le tournage du film.

On a tout fait dans l’urgence. J’ai appelé quatre techniciens, des amis et quelques acteurs que j’aimais bien, comme Jeremy Laheurte, un super acteur sérieux, généreux et gentil, ce qui est rare. On a tourné l’été dernier, cinq jours par mois pendant trois mois. Je n’avais pas prévu de jouer dans le film, mais j’avais besoin de quelqu’un sur qui je puisse compter trois mois d’affilé. La seule personne qui ne me planterait pas, c’était moi !

Tout s’est donc fait instinctivement ?

Oui, ça correspond d’ailleurs bien au personnage du film, une fille assez instinctive, dans l’urgence d’aller mieux et de comprendre. J’ai aussi fait appel à des gens que je connaissais à peine et qui n’étaient pas du tout acteurs, comme un jeune homme que j’ai connu sur une séance photo pour Pierre et Gilles. Le cinéma lui plaisait, on a bu un café pour que je lui donne quelques conseils. Quand j’ai décidé de tourner le film, j’ai tout de suite pensé à lui. C’était important pour moi de faire un film hors système et de donner leur chance à des jeunes, de laisser la porte ouverte à ceux qui avaient envie de découvrir le métier. La meilleure école, c’est le terrain. Finalement c’était un peu le film des premières fois, y compris pour les techniciens.Le projet s’y prêtait bien, on n’avait pas beaucoup de contraintes, il fallait juste y aller.

Vous semblez être attachée à la notion de transmission.

Bien sûr, c’est comme ça que j’ai appris, et ça me touche de voir des gamins avoir la même envie que moi. L’art peut réunir le monde, c’est une expérience très forte. Ce film est né sous une bonne étoile.

Lina et Mouna Soualem et Hafsia Herzi dans "Tu mérites un amour"

© REZO FILMS

Le titre du film fait référence à un poème de Frida Kahlo, qui apparait dans la dernière scène. On vous a souvent comparé à elle.

Oui, c’est à cause des sourcils (rires). C’est une amie qui m’a fait découvrir ce poème, il y a longtemps. Il m’a bouleversé. Frida Kahlo était une grande artiste, qui a vécu des histoires d’amour compliquées et a beaucoup souffert. Ce poème dégage une vérité finalement très simple : tout le monde mérite l’amour.

On dit souvent que le premier roman d’un écrivain est autobiographique. Est-ce la même chose pour un film ?

C’est plus compliqué que ça. Je voulais surtout aborder un sujet qui parle à tout le monde. La douleur provoquée par les sentiments amoureux est quelque chose d’universel, on est tous passé par là, peu importe le milieu d’où on vient. On se sent mort, on pleure sans arrêt, on pense qu’il n’y a pas de remède… J’avais envie de montrer cette frontière entre la dépendance et la liberté un peu fataliste que procure une rupture. Je voulais aussi explorer les rapports au corps, inclure des scènes érotiques, de la sensualité, parce que ça fait partie de la vie, ce sont des choses dans lesquelles tout le monde se reconnait. Chacun est libre de son corps, c’est aussi le sujet du film.

Comment se prépare-t-on pour jouer le rôle principal d’un film qu’on a écrit soi-même ?

J’ai foncé sans réfléchir, en oubliant parfois même les caméras. Il fallait ne pas décevoir les gens qui étaient là pour moi et qui croyaient au projet, donc j’y suis allé ! Je le répète, j’ai eu une bonne étoile sur ce film. Je n’aurais peut-être pas réussi il y a dix ans, je manquais d’expérience, dans la vie comme dans le métier d’actrice.

Djanis Bouzyani et Karim Ait M’Hand dans "Tu mérites un amour"

© REZO FILMS

Comment se construit-on en tant que femme, en France, dans un milieu comme celui du cinéma ?

J’ai grandi avec le cinéma, il m’a beaucoup appris. Mais je suis toujours resté discrète, j’ai continué de faire ma vie à côté. Je tourne un mois, deux mois, puis la vie reprend son cours. Le cinéma est un métier incroyable, mais ça reste un métier. Si on ne le prend pas comme ça, on perd vite la notion de réalité.

Est-ce qu’Abdellatif Kechiche a eu beaucoup d’influence sur vous ?

Il a été un modèle, il m’a toujours dit de faire le film que je voulais, de ne pas me soucier des règles et de me faire plaisir avant tout. C’est une phrase que je me répétais sans cesse pendant le tournage. C’est pour ça qu’il y a beaucoup de moi dans le film, notamment dans la musique : Nawel Ben Kraïem, Matt Houston, Ophélie Winter… j’avais envie de ces chansons à l’ancienne que j’aime beaucoup, les artistes ont d’ailleurs été adorables et m’ont tous autorisé à utiliser leurs chansons de façon très généreuse.

Quels sont vos prochains projets ?

On a terminé le film juste avant le festival de Cannes, pour l’instant je me préoccupe de choisir ma tenue (rires) ! J’ai très envie de continuer à réaliser, j’adore ça, c’est devenu comme une obsession. Une obsession qui peut rendre malade, mais qui me plait. En ce moment, je tourne aussi un film avec Sylvie Verheyde, avec qui j’avais déjà travaillé sur Sex Doll. Elle a d’ailleurs aussi un petit rôle dans mon film ! J’ai envie de continuer de travailler avec des amis, et de découvrir des nouveaux talents qui ont envie d’apprendre. Le plus important est d’être bien entourée.

Tu mérites un amour, de Hafsia Herzi, en salles le 11 septembre 2019

Source: Lire L’Article Complet