Invisible, indicible, la violence d’un parent sur son enfant revêt des expressions aussi diverses que tues, entravant en silence développement psychologique et bien-être de l’enfant.

Comment faire la différence entre le parent sévère, soucieux de l’éducation et de l’avenir de sa progéniture, du parent abusif aux allures de bourreau psychologique ?

C’est la question que pose cette anonyme sur Ciao.fr, un forum de discussion suisse à destination de jeunes en difficultés. « Dans mon cas ma mère m’a très souvent giflée, insultée, méprisée quand j’étais petite , et je me suis toujours demandée si c’était normal. Ce que je veux dire c’est que je ne sais pas où est la limite entre un comportement sévère de la part d’un des parents et un comportement abusif. Comment savoir ? » interroge-t-elle. 

« Une autorité excessive à l’influence néfaste » 

Pour Grégory Michel 1, docteur en psychologie clinique et auteur de l’ouvrage « Personnalité et développement » (Editions Dunod), la définition du parent abusif est pourtant très claire. « C’est un parent qui exerce une autorité excessive induisant une influence néfaste et créant un climat d’insécurité affective impactant la santé, le bien être, l’épanouissement de son enfant », nous explique d’emblée l’expert. Commentaires désobligeants relevant du harcèlement moral, humiliations répétées, manipulations perverses, insultes dégradantes, punitions disproportionnées : les abus constatés par les spécialistes prennent généralement des formes diverses et variées avec généralement une confusion entre les actes de l’enfant et l’enfant lui-même. « On parlera également d’abus lorsque l’amour parental sera conditionné aux actes de l’enfant, à ses réussites, à ses performances : pour être aimé il doit réussir, ce qu’il est en tant qu’enfant ne suffisant pas pour qu’il soit aimé », précise le psychologue.

On parlera également d’abus lorsque l’amour parental sera conditionné aux actes de l’enfant

« À l’école, mes parents ne cessaient de comparer mes notes avec celles de mes copines. C’était systématique : ‘Et Christelle, elle a eu combien ? Et Caroline ? Et Priscilla ?’ Et forcément ils montraient toujours qu’ils étaient très déçus quand j’avais eu, par exemple 16/20, et elles 18/20. J’avais toujours la sensation que ce n’était jamais assez bien, que JE n’étais jamais assez bien », nous confie Julie 2, 32 ans, qui se souvient de ces remarques comme si c’était hier. Quand ce n’est pas les capacités intellectuelles qui sont remises en question, c’est très régulièrement le physique qui fait l’objet de commentaires déplacés, blessants ou stigmatisants. « Selon ma mère, j’étais toujours débraillée, mal coiffée. Ma démarche était trop traînante ou, au contraire, trop assurée. Après à l’adolescence, ce sont mes tenues qui étaient trop suggestives, trop ‘hippies’ ou trop garçon manqué. Mes fesses et mes seins trop ou pas assez bien mis en valeur. Bref, il y avait toujours quelque chose à redire sur mon apparence », se rappelle Justine, 29 ans. « Moi, c’était carrément mon poids le centre de ses préoccupations. Certes, je n’avais pas le physique d’un top model prépubère mais je n’étais pas obèse non plus. Mais c’est simple, pour ma mère, j’étais obèse ! À cause de ça, je resterai forcément célibataire à vie, sans emploi et sans enfants. C’est du moins ce qu’elle disait », commente ironiquement Pénélope, 25 ans. Parfois, certains parents vont jusqu’à s’immiscer dans la vie privée de leurs enfants, souvent lorsqu’ils deviennent ados.

« Au détour d’une énième dispute, je me suis rendue compte que mes parents lisaient mon journal intime quand j’étais en cours. Avec la colère, ils se sont permis de se moquer de ce que j’y racontais, de mes peines de cœur, des mes fantasmes, c’était vraiment humiliant. Ils en ont profité pour m’interdire toute relation avec des garçons jusqu’à mes 18 ans, sans vraiment que je comprenne pourquoi. Forcément mon plus jeune frère n’a jamais eu le droit à ce même ‘traitement de faveur' », raconte Sophie, 34 ans. D’autres, comme l’actualité le dévoile, vont jusqu’à contrôler la sexualité de leur progéniture, étaler leur intimité au grand public ou les forcer à suivre des parcours universitaires, des carrières qu’ils ont déterminés de façon unilatérale pour la prunelle de leurs yeux.

Narcissisme et emprise psychologique

Derrière ces comportements condamnables, se cachent généralement des « syndromes de réussite par procuration » par lesquels les parents cherchent à utiliser leur enfant pour élever leur propre estime. « Ils les poussent à la performance pour pallier à leurs insuffisances, l’enfant devenant leur objet de satisfaction », précise le Dr Gregory Michel. « On retrouve alors souvent des conduites de maltraitance physique, émotionnelle, verbale, car ce que réalise l’enfant ne suffit jamais. »

Problème ? Du fait de la violence souvent banalisée, intériorisée qu’ils revêtent, ces abus présentent des conséquences non négligeables sur le développement psychologique de l’enfant concerné. En effet, malgré leur apparence anecdotique, ces abus verbaux contribuent à créer un sentiment d’insécurité chez l’enfant, a fortiori lorsque ces « pics » proviennent de celui ou celle avec qui il entretient un lien affectif primaire, extrêmement difficile à remettre en cause. « L’enfant va se sentir disqualifié, dévalorisé et perdre l’estime de soi-même », explique le Dr Gregory Michel. Incapable de verbaliser consciemment ses maux, cette détresse va se traduire par des symptômes dépressifs, des difficultés à s’intégrer socialement avec ses camarades, une forme d’échec scolaire voire des conduites à risques ou, au contraire, un surinvestissement excessif dans le domaine scolaire, sportif ou artistique. « Il peut également développer un sentiment d’infériorité et s’inscrire dans une démarche de performance pour faire plaisir au parent ‘toxique’. Il est complètement sous emprise psychologique », précise l’expert, soulignant par ailleurs l’importance de surveiller tout changement brutal dans le fonctionnement ou le comportement d’un enfant de notre entourage.

Insidieux, rarement assumés, souvent occultés, les abus d’un père ou d’une mère envers son enfant sont d’autant plus difficiles à détecter qu’ils s’exercent dans le huit-clos du foyer. Isolé, l’enfant victime aura du mal à se prémunir des conséquences de ces actes sur sa santé mentale. « Le plus souvent l’adolescence jouera un rôle important pour se défaire de ses liens toxiques par l’intermédiaire de conduites oppositionnelles – caractéristiques de l’adolescence – ou par le biais d’une pathologie qui le conduira à s’éloigner du milieu familial, en allant à l’extrême de ce que les parents ont mis en place de façon abusive », indique le psychologue. Par exemple, une jeune fille qui se sera vue imposer un régime alimentaire drastique par ses parents pourra tomber dans une anorexie requérant l’intervention d’un tiers voire une hospitalisation, et donc d’un éloignement vis-à-vis des parents. De la même manière, la prise de conscience de ces abus et un suivi psychologique se révèlent généralement indispensables afin d’éviter que la victime ne les reproduise si celle-ci devient elle-même parent. Afin que l’amour filial ne rime ni avec performance, ni avec violence.

  • Elles regrettent d’être mère, et ont osé nous le dire
  • Pervers narcissique : que faire face à un père ou une mère toxique ?

Gregory Michel, Docteur en Psychologie Clinique et Professeur de Psychopathologie à l’université de Bordeaux. Auteur de “Personnalité et Développement”, Editions Dunod.
Le prénom a été changé

Source: Lire L’Article Complet