Ce 3 janvier sort en DVD et VOD un documentaire qui retrace l’ascension mais aussi la chute du plus gros producteur d’Hollywood Harvey Weinstein. A l’occasion de la sortie du film L’Intouchable Harvey Weinstein, nous avons rencontré la réalisatrice Ursula MacFarlane.

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Comment ce projet s’est-il développé ? Est-ce que c’est un sujet qui vous tient à cœur ?

Absolument. En tant que femme, et en tant que femme réalisatrice surtout, c’était très important pour moi. Le producteur du documentaire, Simon Chinn, m’a contacté au mois de novembre je crois, quelques temps après l’éclatement de l’affaire Weinstein. Il m’a proposé de faire ce film et j’ai accepté tout de suite. Cela me semblait essentiel parce que je suis une femme et toutes les femmes que je connais ont subi quelque chose de similaire. Pas forcément des agressions physiques. Mais le harcèlement en général est un problème tellement universel et répandu dans le monde…

C’est un fléau qui touche toutes les sociétés, toutes les entreprises et pas seulement l’industrie du cinéma. Mais ce qui est impactant c’est le fait que là, il s’agit de vedettes de cinéma. Gwyneth Paltrow, Angelina Jolie… C’est pour cela que cette histoire a été sur la Une de tous les grands journaux. Il y a beaucoup de gens qui disent « C’est Hollywood ! Qu’est-ce qu’il y a à plaindre ? Ce sont des femmes, elles doivent s’attendre à ça ect… » Mais il faut se souvenir que ce sont des actrices qui étaient au début de leurs carrières. Elles étaient très jeunes. Elles ne voulaient absolument pas être agressées ou violées. Elles voulaient simplement travailler. Elles se retrouvaient dans un salon à côté de la chambre d’hôtel d’Harvey Weistein mais ce n’était pas du tout dans le but d’avoir des relations sexuelles lui. Beaucoup pensent encore que certaines femmes savaient qu’en couchant avec Harvey Weinstein, ce serait bon pour leur carrière, qu’elles en profitaient. Mais pas du tout.

Comment est-ce que vous avez réussi à gérer ces entretiens délicats avec les victimes de Harvey Weinstein ?

C’était assez épuisant et très long pour elles. Cela durait souvent trois ou quatre heures. On a passé pas mal de temps avec elles avant de passer devant la caméra pour être certaine qu’elles aient confiance en moi. Ça, c’était très important. Et l’entretien en lui-même… C’était très difficile pour elles. Surtout pour Hope d’Amore parce que c’était la première fois qu’elle s’exprimait devant une caméra. Et c’est un exercice qui est beaucoup plus difficile. C’est très courageux. Mais toutes les femmes, au final, voulaient parler. On sentait qu’elles souhaitaient vraiment libérer la parole. Alors, même si ça a été compliqué, je crois que pour elles, témoigner pour ce documentaire a été une expérience assez positive. Il y a vraiment quelque chose qui relève de l’empouvoirment avec ce projet. Ça donne du pouvoir à ces femmes.

D’après vous, pourquoi le silence ne s’est brisé que maintenant ? Quel a été le déclic ?

Une des séquences anecdotiques du documentaire représente bien les raisons pour lesquelles le silence s’est maintenu tout ce temps. C’est quand Harvey Weinstein menace une journaliste, agresse son petit ami, à New York et dit « Je suis le chérif de cette ville ». Cette affaire n’a pas fuité dans la presse à l’époque car Weinstein a fait en sorte que tout le monde se taise. En fait, il avait un tel pouvoir sur tout le monde. Les médias, les agents, les actrices… Je ne sais pas si c’est vrai mais on dit qu’il y avait un coffre-fort chez Miramax (la société de production d’Harvey Weinstein, ndlr) pour les photos qui devaient restés confidentielles. Aujourd’hui, à l’ère du digital, des réseaux sociaux et du téléphone portable, ça n’aurait pas été la même chose. Mais c’était différent à l’époque.

Ce qui a tout chamboulé et engendré ce fameux déclic, c’est vraiment Lauren O’connor qui a écrit un mémo avant de quitter la Weinstein Company. Ce mémo est apparu dans le New York Times. C’est cela qui a permis la publication des autres articles dans la presse et après cela, c’était un véritable tsunami. Il y a eu toutes ces femmes qui ont eu le courage de parler. La première a été Rose McGowan, puis ensuite Ashley Judd ect. Mais c’est vrai que Lauren O’Connor est particulièrement courageuse. C’était très pénible pour elle parce que, elle aussi, avait signé un contrat de confidentialité.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué en réalisant ce documentaire ?

Ce qui m’a le plus interpellé et dont je ne m’étais pas rendu compte avant de travailler sur ce film, c’est le sentiment de honte de ces femmes. C’était très dur à voir et à constater. C’est une honte qui les ronge et qui dure depuis des années. Puis, il y a aussi l’ambiance toxique chez Miramax (la société de production de Harvey Weinstein, ndlr). C’est une espèce de omerta. Ça m’a frappé à travers tous les témoignages. Il y a tout un entourage qui savait quelque chose, c’est évident. Soit les gens savaient, soit ils ne voulaient pas savoir. Ils voyaient quelque chose mais fermaient les yeux. C’est aussi une sorte de complicité de leur part et ça m’a marqué au cours de la réalisation du film. Parce qu’il y a la complicité volontaire et involontaire en réalité. C’est assez subtil.

Comment peut-on différencier la complicité volontaire et involontaire ?

La complicité volontaire, c’est quand on sait que quelque chose se passe mais on laisse passer. On ne dit rien. La complicité non volontaire, je dirais que c’est plutôt lorsqu’on soupçonne qu’il y a quelque chose. C’est, par exemple, être assistante et voir Harvey Weinstein demander à ce qu’on appelle une actrice pour qu’elle vienne dans sa chambre d’hôtel. On a peur, on sent que quelque chose cloche, on sait qu’au fond ce n’est pas normal… Mais on le fait quand même parce qu’on est effrayé d’être virée. C’était un homme effrayant. Même physiquement, il en imposait beaucoup. Il est gros, grand et la violence physique qu’il renvoyait ne laissait pas indifférent. Apparemment, même dans les bureaux de Miramax, il lui était déjà arrivé de jeter des cendriers. Il devait avoir ce côté un peu mafieux et tyrannique.

Est-ce qu’il y a des choses dans le documentaire que vous ne souhaitiez pas évoquer ?

Evidemment, il y avait certaines choses où on ne pouvait pas vérifier les sources. Mais au fond, pas tant que cela. Car, avant d’interviewer les gens, on vérifiait la véracité de leur propos et de leurs accusations. Pour ce qui est des victimes, on a voulu qu’elles gardent une certaine dignité en évitant d’être trop descriptifs vis-à-vis des agressions qu’elles avaient subies. Je voulais rester respectueuse par rapport à elles. C’est très difficile d’évoquer ces choses-là. Donc c’est surtout une question d’angle : je n’ai pas souhaité avoir un point de vue voyeuriste. Je voulais plutôt que les gens imaginent ce que c’est d’éprouver cela plutôt que de le visualiser. Après, en effet, il y a des personnes avec qui nous ne pouvions pas parler comme les amis d’enfance ou encore Bob, son frère, ne voulait pas s’exprimer à ce sujet.

Vous avez quand même pu échanger avec Bob Weinstein au sujet de l’affaire ?

Oui, nous avons été en contact malgré tout. Et je crois qu’il y a réfléchi, qu’il a considéré les choses et l’impact que cela pourrait avoir. A la fin, je suppose qu’il a parlé avec ses avocats et que la réponse a été faite. (rires) Mais, au final, même si le procès n’est pas encore passé, cela ne nous a pas mis de frein. Pas du côté de Weinstein ! La BCC nous a donné beaucoup de soutien. Au fond, qu’est-ce qu’il aurait pu faire ? On a fait de notre mieux pour vérifier tous les faits avérés dans le documentaire. D’ailleurs, je ne sais pas si Harvey Weinstein a vu ce documentaire, ce serait intéressant de le savoir. J’aimerais beaucoup être là quand il le verra.

Est-ce que vous pensez que le cas d’Harvey Weinstein montre qu’au bout du compte, toute justice peut être faite ?

C’est difficile à dire. Honnêtement, je pense que pour le cas Weinstein par exemple, le procès va être compliqué, voire quasi impossible à résoudre. Quand il y a accusation de viol, et qui date autant, on a souvent peu de preuves. Il n’y avait personne d’autre dans la pièce au moment des faits ect. Moi je crois aux témoignages de toutes ces femmes que j’ai interviewé mais, sans vouloir être pessimiste, on sait au final que les hommes puissants, avec beaucoup d’argent, font tout pour discréditer leurs victimes.

Pensez-vous que les mœurs sont en train de changer mais que, juridiquement, le chemin est encore long pour aider ces femmes ?

Je ne sais pas vraiment si les mœurs ont changé en fait… Il y a une réelle prise de conscience et ça c’est très bien. Le pouvoir de parler s’est établi en ce moment, certes. Mais est-ce que cela a réellement changé ? Beaucoup de femmes me disent que dans leurs sociétés, dans les médias ou n’importe quelle entreprise, elles ne ressentent pas vraiment de changements. Mais il faut continuer à parler. C’est vraiment l’éducation qui permettra de changer les choses. Je pense qu’il faut beaucoup miser sur les jeunes.

Est-ce que c’est par l’éducation qu’on pourra vaincre le sexisme ?

Oui, totalement. Mais il faut que les lois suivent. Ça ne suffira jamais assez d’éduquer les jeunes même si c’est, bien entendu, primordial. L’éducation, c’est important parce que c’est ce qui va engendrer un dialogue entre les jeunes femmes et les jeunes hommes. Savoir ce que cela veut dire « Non », ce que cela veut dire « Oui ». La notion de consentement elle est acquise par l’éducation. Mais, au niveau des entreprises et du milieu du travail par exemple, il faut que des lois concrètes soient mises en place, respectées et appliquées.

Quel message avez-vous souhaitez transmettre avec ce documentaire ?

Je voudrais qu’on comprenne un peu mieux comment l’abus de pouvoir fonctionne dans notre société. Et avec ce documentaire, j’espère qu’on va vraiment écouter les paroles de ces femmes.

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