Deux livres à paraitre ce mois-ci se penchent sur l’héroïne mythique de Vladimir Nabokov : une enquête sur le fait divers qui aurait inspiré à l’auteur l’histoire de Lolita et un journal intime fictif qui donne la parole à cette figure silencieuse de la littérature.
Dans Lolita, la véritable histoire, qui paraîtra le 3 octobre aux éditions Seuil, la journaliste américaine Sarah Weinman a enquêté sur le kidnapping de Sally Horner, une jeune Américaine enlevée en 1948 par Frank LaSalle, un homme déjà condamné pour des actes de pédophilie. Pendant deux ans, il a fait voyager l’adolescente à travers les États-Unis, prétendant être son père, jusqu’à son arrestation en 1950. Un fait divers qui aurait largement inspiré le roman de Nabokov, qui y fait d’ailleurs référence.
Une histoire vraie dérangeante
Avec cette enquête, Sarah Weinman tente de restituer, à travers une histoire vraie, les années d’abus vécues par le personnage de Lolita. Mais réécrire, à la première personne, l’histoire de cette héroïne devenue mythique, il fallait oser. Dans Journal de L (1947-1952), paru aux éditions Goutte d’Or, Christophe Tison a imaginé le journal intime de Dolores Haze, dite Lolita. Présenté comme un carnet trouvé après une longue enquête sur les traces de l’héroïne, le livre sera complété d’un documentaire fictif racontant le périple de l’auteur à travers les États-Unis, à paraître au mois d’octobre. Christophe Tison donne donc la parole à Lolita, dont l’histoire fait écho à sa propre expérience d’enfant abusé, qu’il racontait en 2004 dans son livre Il m’aimait. Il imagine ses pensées, son dégoût vis-à-vis de ce beau-père pédophile, ses désirs et ses rêves de fuite. « Un homme enlève une jeune fille et fuit, il fuit en espérant la garder encore & encore. La jeune fille veut sauter de la voiture, sauter du monde de l’homme, mais elle est perdue dans l’immensité des champs, des montagnes et des villes sans amis. Elle reste donc là, mais elle élabore d’autres plans, enfermée qu’elle est avec l’homme dans cette coquille de tôle qui appartient à sa mère morte. » À travers les écrits de Christophe Tison, Dolores Haze prend pour la première fois la parole, raconte sa détresse et la perte de son innocence. La Lolita de Nabokov était silencieuse, racontée à travers la voix d’un beau-père abusif persuadé de vivre avec elle une réelle histoire d’amour. Ici, l’auteur lui rend son statut de victime, il l’accentue même en développant le personnage de Clare Quilty, qui la fait tourner dans des films pornographiques. Il a eu l’accord de la Fondation Littéraire Vladimir Nabokov pour publier ce journal déconcertant, entre fiction et impression de réel. Mais on se demande si la parole de l’auteur ne prend pas le dessus sur celle du personnage. Malgré des tics d’écriture volontaires qui rappellent l’adolescence, on peine parfois à prêter ses mots à une jeune fille de douze ans. Si l’exercice est audacieux, d’une grande bienveillance à l’égard de Lolita, et offre le plaisir de découvrir sous un autre angle l’un des plus grands romans du siècle dernier, on peut se poser la question : fallait-il vraiment sauver un personnage fictif des choix de son créateur ?
Lolita, la véritable histoire, Sarah Weinman, Seuil, 304 pages, 22 €, sortie le 3 octobre
Journal de L. (1947-1952), Christophe Tison, éditions Goutte d’Or, 280 pages, 19,50 €
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