Ajoutez cet article à vos favoris en cliquant sur ce bouton !
Pour éviter un placement en famille d’accueil ou une incarcération, certains jeunes se voient proposer une alternative : marcher 1600 kilomètres pendant trois mois à l’étranger. Julie les accompagne dans leur périple.
Julie Tanniou, 32 ans, est éducatrice spécialisée. Elle travaille pour l’association Seuil (*) qui a mis en place en France des marches éducatives pour des jeunes suivis par la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) ou l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE). Le sentiment de liberté, la fierté de se dépasser, la rupture avec leur milieu et la présence 24 heures sur 24 pendant trois mois d’un adulte bienveillant ouvrent ces jeunes de 14 à 18 ans à la résilience.
« Une approche moins formelle »
« Après mon bac, mon orientation n’a pas été source de grands questionnements : je savais que je voulais devenir éducatrice spécialisée. J’étais animée depuis mon adolescence par un intérêt particulier pour les personnes en situation de fragilité et le désir de les aider. Une fois diplômée, j’ai travaillé auprès d’adolescents en institution. Mais cela ne me satisfaisait pas totalement, j’avais envie d’une autre approche, moins formelle et plus ouverte. Un jour, j’ai lu un article sur l’association Seuil dans une revue professionnelle et cela a résonné en moi. Accompagner un adolescent dans une marche au long cours, ce serait l’occasion de mener un travail éducatif vraiment individualisé et sur la durée. Cela correspondait bien à ma manière de voir mon métier.
« Ils ont droit à une deuxième chance »
Quand des adolescents ont été fragilisés par des situations de vie compliquées et ont connu des souffrances importantes, je ne me résous pas à les laisser sur le bord du chemin : ils ont droit à une deuxième chance ! Ce concept de la marche éducative est particulièrement intéressant pour des jeunes à la dérive, qui jusque-là ont été résistants à l’action éducative ou répressive classique – un placement en foyer ou en famille d’accueil, un emprisonnement ou un séjour en centre éducatif fermé. Cela peut leur permettre de découvrir en eux d’incroyables ressources et capacités d’adaptation. De se voir autrement qu’avec l’étiquette de délinquant ou d’enfant placé. Et peut-être de retrouver le chemin de la réinsertion sociale, scolaire, familiale.
« Au début, peu sont emballés »
Quand j’accompagne un jeune pour une marche, je fais sa connaissance au moment du départ. Bien sûr, je suis informée de son passé mais j’essaye de ne pas préjuger de la relation qui va s’établir. Le fait qu’il ait été condamné à une peine de prison ou placé dans une famille d’accueil parce qu’il était en conflit avec la sienne ne dit rien de la manière dont il va se comporter. Au début, peu de jeunes sont réellement emballés à l’idée de crapahuter plusieurs heures par jour, avec un sac sur le dos, que le soleil brille ou qu’il pleuve ! Beaucoup optent pour cette marche par défaut, parce qu’ils préfèrent ça à aller en prison ou dans un foyer.
« Je ne suis pas là pour le rééduquer »
Durant les premiers jours, l’adolescent me voit le plus souvent comme un énième adulte qui va essayer de le rééduquer et le remettre dans le droit chemin. Et puis il se rend compte assez vite que je ne suis pas dans ce registre. Bien sûr, je suis là pour assumer un rôle éducatif et cadrant, c’est mon travail. Mais cela se passe de manière beaucoup moins rigide que dans une institution. Car pendant ces trois mois, nous sommes dans une grande proximité, un partage d’intimité : nous dormons côte à côte dans les gîtes, faisons nos courses, préparons nos repas et lavons notre linge ensemble. Quand le sentier grimpe sec et que le temps n’est pas clément, nous galérons ensemble pour atteindre le but de l’étape.
« Je parle, je rassure, en restant ferme »
Au jour le jour, une relation se crée avec lui. Parfois tranquille, plutôt douce et confiante. D’autres fois, plus tumultueuse et agressive. Cela n’a rien d’aisé pour un adolescent d’accepter de se lever chaque jour pour fournir un effort physique conséquent, de devoir se passer de son téléphone – il n’a pas le droit de l’emporter avec lui – alors qu’en temps normal il est greffé à sa main, de faire une croix sur la musique et donc d’être privé de toute échappatoire. De quoi susciter parfois une forme de refus, même de révolte. Alors je parle, j’explique, je rassure quand je sens qu’il y a de l’angoisse, j’encourage, tout en restant ferme. Il peut arriver que l’adolescent pose des problèmes trop lourds, dans ce cas la marche est interrompue et le jeune rapatrié.
« Ils osent se sentir fiers d’eux »
Certains, après un peu de temps, réussissent à reconnaitre la beauté des paysages qui les entourent, osent se sentir fiers d’eux après une étape particulièrement rude et qui a mis leur corps à l’épreuve, s’aventurent à parler aux autres randonneurs rencontrés sur les chemins ou dans les gîtes. Ils trouvent là une occasion d’échanger avec des personnes d’horizons, d’âges et de milieux avec lesquelles ils n’auraient jamais pu entrer en contact autrement. D’autres s’arc-boutent et peuvent même fuguer quelques heures, jusqu’au village voisin. A moi de m’adapter et de trouver les bons mots pour leur rappeler le cadre qu’ils ont accepté. L’autorité ne s’impose pas, elle se gagne à travers la confiance.
« Une mise en condition pour réfléchir »
Loin de son environnement habituel, immergé dans un pays étranger (sauf les adolescents en voie de radicalisation qui sont interdits de sortie du territoire), coupé partiellement de sa famille et de ses amis – l’adolescent n’a le droit qu’à trente minutes d’internet deux fois par semaine et un appel téléphonique à ses parents tous les dix jours – il est mis en condition pour prendre du recul. Réfléchir à ce qui l’a amené là, et aussi à ce qu’il aimerait faire en rentrant. En tant qu’accompagnante, c’est mon rôle de l’aider dans ce cheminement-là. Pas en l’obligeant à se confier absolument ou à gratter ses plaies mais simplement en l’écoutant quand sa parole survient, en lui montrant que je suis là pour lui et seulement pour lui. Alors que souvent ces jeunes ont souffert d’un manque d’attention pendant toutes ces années, le fait qu’un adulte soit concentré sur eux les laisse rarement indifférents.
« Ecrire ce qu’ils ont vécu dans la journée »
On lui demande aussi de tenir un carnet de bord et d’y inscrire chaque jour quelques lignes. Certains se découvrent de vrais talents d’écrivains. Pour d’autres, ce passage par l’écrit est plus douloureux et je dois insister pour qu’ils respectent cette part du contrat ! Poser des mots sur ce qu’il a vécu pendant la journée est important pour lui, notamment pour apprendre à exprimer ses émotions. Ces écrits sont aussi lus par l’éducateur qui le suit habituellement et par le juge : ces professionnels vont ainsi pouvoir évaluer l’évolution de son état d’esprit au cours de la marche. Celle-ci n’agit pas comme une baguette magique, transformant radicalement le jeune et ses comportements en trois mois. Mais elle a un impact à plus ou moins long terme, l’aidant à appréhender son avenir autrement. Sans doute avec plus de confiance, en soi et dans les autres. »
(*) Pour en savoir plus sur l’association Seuil ou postuler pour devenir accompagnante : www.assoseuil.org (aucun diplôme particulier n’est requis).
A lire aussi :
⋙ Obésité : près d’un adolescent sur 5 en France est en surpoids
⋙ Un cahier d’inspirations pour créer son monde enchanté
⋙ Les émotions ? Connais pas ! Qui sont les alexithymiques ?
⋙ L’adolescence serait désormais de 10 à 24 ans selon les scientifiques
Source: Lire L’Article Complet