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  • Aujourd’hui, « L’échiquier » de Jean-Philippe Toussaint paru le 31 août 2023 aux Éditions de Minuit.

Marceline Bodier, bookstagrameuse et contributrice du groupe de lecture 20 Minutes Books, vous recommande « L’échiquier » de Jean-Philippe Toussaint, paru le 31 août 2023 aux Éditions de Minuit.

Sa citation préférée :

La passion de Zweig pour l’Europe, son idéal de tolérance toujours prêt à s’opposer au fanatisme, qu’il soit politique ou religieux, ont ensuite trouvé en moi un écho personnel, d’autant plus fort que les causes qu’il défendait entraient en résonance avec notre temps.

Pourquoi ce livre ?

  • Parce que l’auteur parcourt sa mémoire en 64 chapitres à la manière dont un cavalier parcourt un échiquier sans passer deux fois par la même case : en acceptant la difficulté du projet. En l’occurrence, celle qu’il y a à s’enfoncer toujours plus loin vers un « continent englouti » en lui. Il ne raconte pas toute sa vie, mais il en remonte tout ce qui l’a structurée, pour arriver à ses vérités profondes. Entre interdictions parentales symboliques et autorisations tacites, il utilise la « méthode de connaissance de soi » qu’est « l’écriture romanesque » avec une finesse extraordinaire.
  • Parce que le projet de départ était double : une nouvelle traduction du Joueur d’échecs de Stefan Zweig et un essai sur la traduction. Traduire en mars 2020 l’histoire d’un confiné extrême (dans les geôles nazies), quoi de plus naturel ? Ce projet a abouti, avec la parution simultanée d’Échecs ; en revanche, L’échiquier n’est pas un essai sur la traduction, mais « une sorte journal de bord » tenu en parallèle. Car la traduction est bien plus qu’un exercice intellectuel : elle vise « deux fidélités contradictoires, la fidélité à Zweig et la fidélité à [lui-même] ».
  • Parce qu’à chaque fois que l’auteur décrit les couches superposées de souvenirs qui constituent la sensation d’être dans le présent, j’ai pensé aux « sensations palimpsestes » d’Annie Ernaux dans Les années : « un temps dans lequel le présent et le passé se superposent sans se confondre », écrit-elle. De fait, lorsque Jean-Philippe Toussaint évoque une admiration de jeunesse pour Marie-France Pisier, il pense en même temps au dîner qui les a réunis vingt ans plus tard : « puisqu’un souvenir en appelle un autre dans le grand palimpseste de nos vies »…
  • Parce que c’est aussi une réflexion sur la littérature, dans un livre qui se met lui-même en abyme en racontant les conditions de son écriture. « 1) La littérature n’a pas pour vocation de raconter des histoires. 2) L’écrivain n’a pas à délivrer de message. La littérature est un art », affirme l’auteur. Est-ce que pour autant, cela rend les romans déconnectés de leur temps ? Pas du tout. Lorsque écrire est « un moyen de [se] préserver des offenses de la vie », un auteur nous montre les coulisses de son époque et révèle bien mieux le monde contemporain que s’il en avait décrit la surface.
  • Parce que vous pensez que tout cela est bien cérébral ? C’est pourtant totalement accessible. Mais cérébral quand même, d’accord, pour mon plus grand plaisir. D’autant que c’est aussi très drôle : j’ai littéralement éclaté de rire plusieurs fois. Je vous recommande la scène de l’achat de masques en pharmacie en février 2020, ou le récit sur le discours du Président français pour annoncer le premier confinement. Jean-Philippe Toussaint, héritier de l’humour de David Lodge dans un rapport au monde à la Annie Ernaux ? Pas étonnant qu’il figure dans la deuxième liste en lice pour le Goncourt !

L’essentiel en 2 minutes

L’intrigue. Mars 2020 : confiné à Bruxelles, Jean-Philippe Toussaint se lance dans trois projets « qui s’emboîtent les uns dans les autres, comme des poupées gigognes » : retraduire Le joueur d’échecs, écrire un essai sur la traduction, et écrire sur ces projets. Ce troisième volet, c’est L’échiquier.

Les personnages. L’auteur part à la rencontre de « noms et [de] visages [qui] ont aujourd’hui disparu de [sa] mémoire ». Parmi eux, quelques figures, parfois célèbres, de personnages qui « se sont lentement effacés et fondus dans la substance immatérielle du temps » : leur évocation est d’autant plus précieuse…

Les lieux. Dans le Bruxelles confiné de 2020, l’auteur voyage dans les lieux de son enfance qu’il retrouve en lui-même et qu’il fait revivre par l’écriture. « Aujourd’hui, plus que jamais, dans un monde que la crise sanitaire a rendu hostile, je me sens en sécurité quand j’écris ».

L’époque. En 2020, « ce moment où la sphère privée vole en éclats sous les assauts du monde extérieur », Jean-Philippe Toussaint a écrit – mais pas un journal de confinement déprimé. Bien au contraire… pour lui, cette crise a fonctionné comme « un potentiel de renouvellement inédit » qu’il partage avec nous.

L’auteur. Depuis les années 1980, Jean-Philippe Toussaint bâtit une œuvre originale avec un fil conducteur qu’il rend aujourd’hui visible : les échecs – le jeu, bien sûr. Il se saisit d’ailleurs de ce double sens dans un texte original, que j’ai adoré. Goncourt ou pas Goncourt, lisez-le !

Ce livre a été lu avec l’envie toute particulière de partager la citation que j’ai choisie pour l’exergue. Jean-Philippe Toussaint le redit : c’est juste après avoir écrit Le joueur d’échecs que Zweig s’est suicidé en 1942, dans un monde qui s’enfonçait dans la barbarie. Comment ne pas y penser aujourd’hui ?

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