Trois mois avant le lancement de cette chaîne commerciale, le 20 février 1986, le président Mitterrand avait offert un canal hertzien au roi italien de l’audiovisuel : Silvio Berlusconi. Cette télévision disparaîtra six ans plus tard, après avoir bien secoué le Paf !
« 5, 4, 3, 2, 1… » C’est une aventure télévisuelle dont les débuts auront été aussi mémorables pour les téléspectateurs que son épilogue. Il est minuit ce dimanche 12 avril 1992, et, pour la première fois dans l’histoire de l’audiovisuel français, une chaîne de télévision va disparaître des écrans, par la voix de Jean-Claude Bourret. Ainsi en a décidé le tribunal de commerce de Paris, en prononçant la liquidation judiciaire de La Cinq.
Face au gouffre financier de la chaîne croulant sous les dettes, le groupe Hachette qui en détenait la concession jette l’éponge. Avec sept millions de téléspectateurs, son enterrement sera la plus grosse audience de l’histoire de la chaîne.
Symbole flamboyant de la télé des années 80, la première chaîne privée française, financée par la publicité, à grand renfort de stars du Paf et de paillettes, se crashera sur les années 90, au terme d’un interminable feuilleton de déboires industriels. Un échec pour le magnat des médias italiens, mais aussi pour la présidence de la République française.
Dans la cour d’écrans
En effet, l’une des premières mesures du président socialiste est d’avoir libéralisé les ondes en stoppant, dès 1981, le brouillage des radios libres avant d’ouvrir la bande FM à une multitude de stations, mais en permettant aussi au secteur privé d’investir l’étrange lucarne (à l’époque, il n’y a que trois chaînes de télévision publique : TF1, Antenne 2 et FR3).
Le 4 novembre 1984, naît donc la première chaîne à péage française, Canal +, dont la présidence est confiée à André Rousselet, ancien directeur de cabinet du président. Après des débuts poussifs, Canal + devient l’une des plus belles têtes de gondole de l’audiovisuel en termes de modernité et de création. François Mitterrand favorise également la naissance d’une première chaîne privée gratuite en France.
L’industriel Jérôme Seydoux et le pionnier de la télévision privée en Italie, Silvio Berlusconi, sont choisis. Le groupe Fininvest du magnat italien y voit l’occasion de pousser ses pions en Europe avec son catalogue ventru de programmes. Berlusconi s’associe au groupe Chargeurs réunis de Jérôme Seydoux et à Christophe Riboud pour créer la société France 5, assortie de l’obtention d’une concession sur le nouveau cinquième réseau hertzien.
Les stars à sa botte
Le choix du trio Seydoux-Riboud-Berlusconi est contesté, d’abord parce qu’acté par le gouvernement, sans appel d’offres, ensuite parce que la création d’une chaîne à 100 % financée par la pub fait grincer des dents.
Silvio Berlusconi veut une télévision commerciale sur le même modèle que celui des tabloïds anglais. Il crée une régie publicitaire Publitalia 80, avec un groupe télévisé lié, Mediaset (rebaptisé MediaForEurope), prônant une convergence entre les annonceurs et les contenus éditoriaux, qui aboutit à des programmes adaptés à la publicité.
Le budget de la chaîne est gonflé aux hormones et les animateurs vedettes de TF1 et d’Antenne 2 dragués à la pelle à coups de gros chèques. Le 20 février 1986, la Cinq est donc lancée, fanfaronnant en tenue de gala avec revue de danseuses façon Moulin-Rouge et orgie de paillettes.
Elle se veut une « télévision-beaujolais et champagne le samedi« , promesse du magnat italien des médias, droit dans sa botte, dominée par le kitsch télévisé. Le burlesque et bronzé Cavaliere veut appliquer en France la recette de son Canale 5 transalpin, succès populaire depuis le début des années 80 à base de talk-shows d’infotainment, séries achetées à bas coût dans les fonds de tiroir de Hollywood et de jeunes femmes potiches, légèrement vêtues, aux silhouettes aguichantes.
La programmation ultra-généraliste amalgame de nombreux formats de journaux télévisés, des divertissements à gogo, séries américaines (K 2000, Supercopter…), films grand public (coupés par des publicités), figures du divertissement français (Christian Morin, Roger Zabel, Patrick Sébastien…) ou italienne (Amanda Lear qui présente le jeu Cherchez la femme), dessins animés japonais (Olive et Tom, Jeanne et Serge, Princesse Sarah) et émissions de Stéphane Collaro et ses fameuses coco-girls (Collaricocoshow, Mondo Dingo).
La droite au pouvoir, La Cinq au placard
La Cinq vit au-dessus de ses moyens. Elle perd plus d’argent qu’elle n’en gagne. Berlusconi fait cavalier seul, s’affranchit des règles en diffusant des téléfilms érotiques aux heures de grande écoute, des contenus violents et des films pas encore sortis en salle. Le CSA bondit.
L’arrivée de la droite et de Jacques Chirac, devenu Premier ministre en mars 1986, va bousculer Berlusconi. Fini les passe-droits, il faut rentrer dans le rang. Jacques Chirac privatise TF1 (rachetée par Bouygues) et résilie la concession de La Cinq. En 1987, une nouvelle chaîne du même nom lui succède, menée par Robert Hersant, toujours avec le Cavaliere.
La Cinq nouvelle mouture gagne peu à peu ses galons mais elle n’est pas reçue dans certaines régions. Son audience mord la poussière. Accumulant les déficits, elle se voit infliger des amendes pour diffusion de programmes violents ou non-respect de quotas de diffusion.
Naufrage à l’italienne
Les actionnaires se divisent et Hersant jette le premier l’éponge en 1990. Le CSA désigne le groupe Hachette, dirigé par Jean-Luc Lagardère, qui rêve de se lancer dans la télévision, pour gérer la chaîne. Berlusconi reste actionnaire mais est privé de tout rôle opérationnel. L’ambition de Lagardère, qui tente de miser sur la qualité, se fracasse sur la réalité économique. Les pertes se creusent et la liquidation judiciaire de la chaîne est prononcée. Elle cesse d’émettre le 12 avril 1992. Sa disparition entraîne de vifs débats. Le gouvernement préemptera rapidement son canal pour lancer la chaîne franco-allemande Arte dans un tout autre registre, loin des outrances de l’Italie paillettes.
Et aussi…
La pub sous toutes les coupures !
En France, c’est donc sur La Cinq que, pour la première fois, les films sont coupés par des publicités. Au grand dam de certains cinéastes.
Pour manifester son opposition, Bertrand Tavernier renverra sa médaille de chevalier des Arts et des Lettres à Jack Lang. Yves Mourousi interrompra même, sur TF1, une interview de François Mitterrand par un spot pub, pour protester contre le droit qu’aura La Cinq de diffuser de la publicité.
Dominique PARRAVANO
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