Parangon de la télé nostalgie, le conservateur des mélodies Pascal Sevran accompagna les après-midi des téléspectateurs pendant dix-sept ans en défendant la chanson française de toujours.
Sur le plateau télé en technicolor, un tempo d’antan, celui d’une douce France, avec hommes en veste de smoking et femmes élégantes en robes légères. Dans cette atmosphère surannée, s’échappent les notes d’une java sans âge ou d’une chanson couleur feuilles mortes. Un petit bonhomme coquet à mèches blondes et costume pastel cligne des yeux sous la lumière poudrée des projecteurs, éructant des « Tintin ! » à l’adresse de son réalisateur.
C’était La Chance aux chansons, diffusée du 26 mars 1984 au 22 décembre 2000, d’abord sur TF1 puis sur France 2, où des gloires bien mûres tentaient d’effectuer leurs come-back ou leurs derniers tours de piste, où des artistes méconnus, mais familiers aux retraités, poussaient la chansonnette, tandis que des chanteurs bien plus célèbres venaient reprendre leurs anciens tubes dans ce décor de thé dansant. Pendant dix-sept ans, cette émission culte fut un cas unique à la télévision française, sorte d’almanach vermeil de la mélodie, à une époque qui ordonnait singularité et immédiateté pour s’extraire du lot.
Musique chambrée
©PIAU FREDERIC / BESTIMAGE
Jamais le kitsch n’aura été autant hissé sur le pavois et de façon aussi assumée par son animateur vedette, souvent moqué : Pascal Sevran témoigna toute sa vie d’une dilection pour la nostalgie d’une époque dont il ne connut que les derniers feux, accompagnés des souvenirs radiophoniques du temps de sa jeunesse. Cet encyclopédiste du refrain populaire, ardent défenseur de la chanson française d’antan, fut le seul à imposer et à faire durer un tel programme sur le petit écran.
Son émission portait le flambeau d’une certaine chanson, à rebours des courants musicaux de la génération Mitterrand et de la suprématie du Top 50 naissant, qui crachait ses tubes à plein décibels. À l’heure où les ados découvraient le hip-hop, où Jeanne Mas enflammait les dance floors, où la France se trémoussait sur la variété la plus clinquante, la nostalgie était célébrée chaque après-midi avec des ritournelles qui puisaient dans le temps en fuite et des auteurs serviteurs du verbe.
Georgette Lemaire et Georgette Plana célébraient les vertus du Petit Vin blanc, Jacqueline Boyer chantait Parlez-moi d’amour, Anny Gould, Sous le ciel de Paris, Jacqueline François, J’aime Paris au mois de mai, Gloria Lasso, son éternel Étranger au paradis, tandis que Georges Guétary chaloupait son Monsieur Carnaval entouré de palmiers en carton-pâte.
Mise en scène de son personnage
Homme-orchestre haut en couleur autant qu’homme d’affaires, Pascal Sevran avait compris qu’un tel programme ne pouvait tenir sans un pilier inébranlable : lui-même. Sans son autocélébration permanente, son émission aurait sombré avec la pyramide des âges. Mais il surfait sur l’époque qui, déjà, tournait le dos au présent et se réfugiait dans le passé.
Néanmoins, le héros hors du temps des après-midi fut aussi à l’origine de jolies découvertes. C’est sur son plateau qu’on repéra Hélène Ségara, Vincent Niclo, Patricia Kaas, Laurent Gerra, et, qu’en 1984, le quasi-inconnu Patrick Bruel chanta pour la première fois Marre de cette nana-là. L’année suivante, une Québécoise, avec chignon rétro et denture en espalier, roucoulait ses cantilènes sans se douter qu’elle deviendrait une star mondiale : Céline Dion.
Dans cette émission où flottait un parfum de désuétude, les surprises étaient malgré tout légion : Renaud en duo avec l’animateur pour J’ai rendez-vous avec vous ; Francis Lemarque chantant L’Air de Paris avec Jean-Luc Lahaye ; Jean Guidoni reprenant Damia, la célèbre figure du music-hall de l’entre-deux-guerres ; Chantal Goya revenant avec Petit Papa Noël…
L’enchanteur désenchanté
Lorsque, à la fin 2000, à l’instigation de Michèle Cotta, directrice générale de France 2, la chaîne annonça la suppression de La Chance aux chansons, elle reçut des tombereaux de lettres de protestation, puis l’audience des après-midi fondit comme neige au soleil ! Alors, au diable le jeunisme, après neuf mois d’absence, le 16 septembre 2001, le présentateur était de retour pour Chanter la vie, jusqu’à l’été 2007, non plus au creux de l’après-midi, mais le dimanche à l’heure du déjeuner, triplant l’audimat !
Quelques mois plus tard, le 9 mai 2008, retranché dans sa maison de Morterolles (Haute-Vienne), le garant d’une certaine culture à la française est vaincu, à l’âge de 62 ans, par un cancer qu’à aucun moment il ne nomma dans les neuf tomes de son journal, parus chez Albin Michel. La page blanche l’a emporté à jamais.
Dominique PARRAVANO
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