• Netflix diffuse ce jeudi la très attendue saison 6 de Black Mirror.
  • Les deux premiers épisodes tournent autour du même sujet : la consommation des plateformes de streaming, et critiquent de façon à peine voilée son propre diffuseur.
  • A travers ces deux épisodes très cyniques, la série d’anthologie questionne le goût des utilisateurs pour le sordide et la manière dont les plateformes se servent de cette fascination malsaine pour faire de l’argent.

Netflix n’a visiblement pas peur de faire son autocritique. Black Mirror, créée par Charlie Brooker, dont les cinq épisodes de la saison 6 sont accessibles ce jeudi sur la plateforme de streaming, s’en prend directement à son diffuseur et à son public, sinon ce ne serait pas drôle. La série dystopique nous a habitués à voir chaque épisode comme un miroir grossissant des défauts de notre société, en montrant les effets pervers de nos usages numériques. La saison 6 ne déroge évidemment pas à la règle. A travers ses deux premiers épisodes – Joan is awful et Loch Henry –, elle dissèque nos façons de consommer les plateformes de streaming et brosse un portrait très critique de Netflix qui a la particularité de l’héberger. Comment le géant du Web se fait-il malmener par son propre blockbuster ?

Les deux premiers épisodes tournent autour du même sujet : l’offre culturelle en ligne. Joan is awful (Joan est horrible, en français), portée par Annie Murphy (Bienvenue à Schitt’s Creek) et Salma Hayek Pinault (Frida, Une nuit en enfer), raconte comment la vie banale de Joan bascule quand elle découvre un programme à son nom sur Streamberry, qui ressemble en tout point à Netflix. Sorte de docu-fiction en temps réel, Joan is awful reproduit les faits et gestes de la jeune femme sous les traits de Salma Hayek et la présente sous un jour absolument atroce.

Le pouvoir des plateformes de streaming

Du jour au lendemain, le quotidien ordinaire de Joan est jugé par des millions de streamers qui n’ont aucune conscience de la violence qu’elle subit. Elle perd son travail, se fait larguer par son fiancé et elle ne peut rien y faire. Comme la majorité des gens, elle a signé les conditions d’utilisation de Streamberry sans les lire. Elle ne peut pas non plus attaquer Salma Hayek, la plateforme a développé ce programme à partir d’images générées par une intelligence artificielle adossée à la puissance d’un ordinateur quantique. La star de cinéma n’a pas activement participé à cette œuvre.

Black Mirror jette une lumière ironique sur un système qui exploite les données personnelles de ses utilisateurs. Finalement, Joan ne peut s’en prendre qu’à elle-même. Il suffisait de lire les milliers de pages qui composent les conditions d’utilisation pour se prémunir d’un tel cauchemar. Et si elle ne voulait pas qu’on traque ses faits et gestes, il suffisait de désactiver la géolocalisation et d’éteindre son portable espion pour éviter de voir ses conversations enregistrées et réutilisées dans une œuvre télévisée.

Le portrait de Netflix devient particulièrement acide quand l’épisode dévoile les véritables enjeux derrière Joan is awful. Lors d’une interview avec une journaliste, la dirigeante de Streamberry explique pourquoi ils ont choisi cette jeune femme en particulier. « On voulait une personne moyenne, absolument pas remarquable, pour tester le système. Joan est horrible n’est que le début, le but est de lancer des programmes uniques adaptés à chacun de nos 800.000.000 d’utilisateurs créés par nos systèmes. Les utilisateurs pourront véritablement s’identifier », pointe la dirigeante en toute simplicité avant d’expliquer l’usage du terme « horrible ». « On a testé un contenu plus positif avec un panel, mais nos sujets n’y croyaient pas, ils n’y retrouvaient pas leur vision névrosée d’eux-mêmes. »

La fascination pour les true crimes

En parlant de névrose et de goût pour les contenus scandaleux, l’épisode 2 en remet une couche, taclant à nouveau Netflix au passage. Loch Henry met un coup de projecteur sur les true crimes, filon si cher au géant du streaming. Pia et Davis, un couple de cinéastes, débarquent dans une petite ville écossaise pour tourner un documentaire sur la nature mais quand Pia découvre qu’un tueur en série du nom de Iain Adair a sévi pendant des années dans les environs, elle flaire la bonne affaire. Elle supplie Davis de creuser cette histoire qui a pourtant ébranlé la famille de ce dernier et de vendre le concept à une productrice. Seul hic : Iain Adair n’est pas aussi connu qu’un Ted Bundy ou Jeffrey Dahmer, il faut trouver un angle suffisamment sordide et voyeuriste pour attirer le public. Ça tombe bien, le père de Davis a fait partie des victimes du tueur.

A travers ces deux épisodes ultra-cyniques, la série d’anthologie questionne le goût des utilisateurs pour l’obscène – rappelons que Dahmer est l’une des séries les plus regardées sur Netflix –, et la manière dont les plateformes se servent de cette fascination malsaine pour faire de l’argent. La course aux contenus « engageants » annihile toute considération sur l’éthique. Et, si on met de côté les freins technologiques – l’ordinateur quantique est loin d’être au point et les IA ne savent pas encore générer de tels contenus –, on pourrait oublier que Black Mirror projette un futur dystopique. La description ressemble à s’y méprendre au monde dans lequel nous vivons. Finalement, la série signée Charlie Brooker parle toujours aussi bien des dérives de notre société et de sa fuite en avant technologique. Et ça, ça fait froid dans le dos.

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