“La Nuit du 12” de Dominik Moll, qui a reçu le César du meilleur film le 24 février dernier, est l’occasion de revenir sur l’atroce calvaire subi par une jeune fille il y a dix ans. Un crime qui n’est toujours pas élucidé.

Le meurtre de Maud Maréchal, commis un funeste 14 mai 2013, demeure un cold case des plus emblématiques, pour parler comme dans les séries télévisées. Retour sur les faits. Nous sommes à Lagny-sur-Marne (Seine-et- Marne) paisible bourgade pavillonnaire sans histoires. Les douze coups de minuit ne sont pas loin de sonner.

Maud Maréchal, petit bout de femme n’excédant pas le 1,60 mètre sous la toise, affiche seulement vingt et un printemps et une joyeuse humeur communicative. Ce soir-là, elle a un peu bu, au même titre que les amis qui l’accompagnent dans cette soirée donnée à domicile. Une copine d’alors se rappelle : « Elle était comme d’habitude, toujours avec le sourire, toujours marrante. »

Peu à peu, les invités, dont son frère, rentrent se coucher. Mais Maud a encore envie de profiter de la fête… Puis une dernière cigarette et un ultime verre. Ceux du condamné à mort ; mais cela, elle ne le sait pas encore.

Un quartier tranquille

©Mousse/ABACA

Elle est donc la dernière à quitter la soirée. Il est 2 heures du matin. Plus personne pour la raccompagner, mais qu’importe, la maison familiale n’est qu’à 700 mètres à pied. Le quartier est tranquille et tout le monde la connaît. A priori, elle ne risque rien. Si seulement elle savait, si seulement elle avait su…

Ce qu’en revanche les enquêteurs sauront le lendemain, c’est qu’à moins de 200 mètres de chez elle, 10 avenue du Docteur-Bergonié, ce sont les flammes de l’enfer qui l’attendent. Vers 3 h 30, des voisins entendent bien des cris déchirants et décident d’appeler la police… Un peu plus tard, une patrouille fait sa ronde par hasard dans le quartier, mais ne constate rien d’anormal. Il faut attendre 6 heures pour qu’un travailleur matinal aperçoive des jambes entre le trottoir et la chaussée, et décide d’appeler le commissariat. Ce que les forces de l’ordre vont trouver a de quoi leur glacer le sang.

Torche humaine

Pauline Guéna, qui a signé le remarquable livre en forme de reportage, 18.3 : une année à la PJ (Folio), relate : « Le corps est carbonisé. Le visage n’est pas reconnaissable, les cheveux ont disparu, les vêtements synthétiques ont fondu et se sont mélangés à la chair. On devine un bout de soutien-gorge. La partie basse du corps, les jambes minces, moulées dans un jean, est intacte à partir des hanches. »

Lui aussi présent sur ces lieux de l’horreur, le docteur Bernard Marc, médecin légiste reconnu et vieux routier en la matière, ayant autopsié des centaines de victimes décédées de mort violente, en a encore le cœur serré. Interrogé par Le Figaro, il peine à contenir son émotion : « C’est l’une des scènes les plus dures que j’ai vues. Tout le monde était dans l’effroi. Vous ne pouvez pas faire abstraction de la douleur de la personne. Vous l’imaginez courir en flammes et tourner sur elle-même… »

C’est bien ce qu’il semble s’être produit… On imagine le scénario : un inconnu surgit, asperge d’essence le visage de Maud Maréchal avant d’allumer un briquet. Elle court, transformée en torche humaine, avant de s’effondrer, dans une inhumaine agonie. Bernard Marc, toujours : « Une victime totalement carbonisée nous éloigne de l’humain, car le corps est détruit. Mais là, il y a à la fois la destruction et l’aspect d’un corps jeune. On l’a détruite, mais on la voit encore. Ce décalage est très violent. Cette image-là n’en fi nit plus de me hanter. » Il poursuit : « Il y a l’expression d’une violence totale et d’une haine dans le mode choisi pour l’homicide. Ce n’est pas un mode classique. Il y a une volonté de détruire le visage. »

L’enquête, confiée à la police judiciaire de Versailles, démarre aussitôt. Faute de caméras de surveillance, il n’y a pas la moindre image sur laquelle s’appuyer. Les tests d’ADN sont encore balbutiants et, sur la scène de crime, la seule trace qui ait été trouvée demeure celle de Maud Maréchal, hormis une autre, abandonnée sur ses vêtements, mais qui, à ce jour, n’a jamais pu être identifiée.

Il faut donc travailler à l’ancienne, en commençant par les proches de la victime, mais jusque-là sans succès probant. L’un de ses amis, interrogé et contre qui Maud Maréchal a déjà porté plainte, est tôt relâché, faute de preuves. Un autre intime, lui aussi placé en garde à vue, attire l’attention des policiers, ayant été maintes fois se recueillir sur la tombe de la victime ; manège plus qu’intrigant… Et puis, d’autres débuts de pistes, avortées les unes après les autres. Celle d’un ancien copain d’école qui l’aurait harcelée au téléphone. Idem pour son amoureux de l’époque et ses nombreux anciens soupirants.

Jean-Baptiste Bladier, nouveau procureur de la République de Meaux depuis octobre 2022, déclare : « La victime avait une vie sociale importante et avait, semble-t-il des relations intimes ou amicales avec un certain nombre d’hommes. Certains d’entre eux avaient pu projeter des choses avec elle. Cela complique les investigations. » Et de poursuivre : « Il est difficile d’envisager que l’auteur des faits ne connaissait pas la victime et réciproquement. On peut penser que la personne qui a commis ça n’était pas là par hasard. » Mais l’enquête continue de piétiner…

Nouvelle piste

©Haut et Court

Ce à tel point que le dossier vient de rejoindre le pôle national des cold cases, qui rassemble les « crimes sériels ou non élucidés » au tribunal de Nanterre, dans les Hauts-de-Seine. Un pôle créé le 1er mars 2022 et qui, hormis l’affaire Maud Maréchal, a déjà rouvert 77 procédures, dont 67 informations judiciaires et 10 enquêtes préliminaires. Nul ne sait si les résultats seront au rendez-vous, mais il n’est jamais interdit d’espérer.

Pour l’avocate Corinne Herrmann, représentant les intérêts d’une dizaine de proches concernés, il s’agit avant tout de « redonner l’espoir aux familles d’être entendues. » C’est peu, mais c’est déjà beaucoup. Et aujourd’hui ? Hormis l’indéniable qualité du film de Dominik Moll, qui retrace au mieux l’historique de la tragédie, même s’il ne fait guère avancer les investigations, il y a ces confidences qui ont été directement faites par les meilleurs limiers, policiers et gendarmes : « Le meurtrier est tout sauf un idiot. Autrement, il ne nous aurait pas nargués aussi longtemps. Nous travaillons actuellement sur la piste d’un tueur en série. Pour le moment, il se cache, mais peut aussi frapper à tout moment, là où on ne l’attendra pas. Ces gens-là ne s’arrêtent jamais. Ce sera à nous d’être là, afin d’éviter l’irréparable… »

©Haut et Court

Nicolas GAUTHIER

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