- Une victoire après des années de luttes
- Au-delà du mariage, le droit de construire sa famille
- Des noces d’étain pour une loi en demi-teinte
Deux mariées en costumes, une en noir, l’autre en blanc, un moelleux au chocolat pour le dessert, une sortie de mairie sous les lancers de riz…Amandine fait défiler les photos sur son ordinateur. Dix ans plus tôt, en août 2013, elle se mariait avec Marion, sa compagne depuis 2006. « Si la loi était passée plus tôt, on se serait mariées dès 2009 ou 2010″, nous confie t-elle.
Les deux Parisiennes ont fait partie de celles et ceux qui ont manifesté dans les rues début 2013 pour l’ouverture du mariage pour tous. “C’était une promesse de François Hollande pour son élection en 2012, il était hors de question qu’on nous prive encore plus longtemps de ce droit”, s’indigne encore Marion en repensant à ce début d’année mouvementé, il y a dix ans déjà.
Une victoire après des années de luttes
Malgré l’existence du PACS mis en place en 1999 et une plus grande acceptation sociale de l’homosexualité, la proposition crée immédiatement une forte polémique. Rassemblé sous la bannière de “La Manif pour Tous” un collectif inter-associatif organise alors des dizaines de manifestations dans toute la France pour protester contre le projet de loi, au nom des “droits de la famille”. Plus de 300 000 personnes manifestent lors de la plus grosse journée de mobilisation.
“Quand j’y repense, ça me glace le sang. Tous ces gens dehors criant des insultes homophobes, nous comparant à des pédophiles, des zoophiles ou des pervers, c’était abominable”, témoigne Antoine, encore ému. Ce juriste niçois à la retraite a pris pour époux Nicolas, son compagnon depuis les années 90, dès l’été 2013. “Il faut remettre en perspective qu’on avait déjà traversé la crise du Sida qui avait tué bons nombres de nos copains, on s’était battu pour le PACS, et là, en plein 21ème siècle, il fallait de nouveau que l’on sorte dans la rue pour demander nos droits, face à des gens pas concernés qui voulaient nous les refuser. C’était lunaire !”.
Séropositif, le mariage était aussi pour lui une manière de se protéger, face à une administration très discriminante envers les personnes porteuses du VIH (les critères de refus d’un prêt bancaire pour les personnes séropositives n’ont été assouplies qu’en 2022). “Maintenant, en étant mariés, je sais qu’il récupérera tous mes biens, on a fait un contrat de mariage. On a tellement vu de copains perdre leur compagnon pendant la crise du Sida et se retrouver dépouillés de toute leur vie commune, parfois même pas invités à l’enterrement, que pour nous, il était urgent de nous marier pour nous sécuriser”.
Au-delà du mariage, le droit de construire sa famille
Promulguée le 17 mai 2013, la loi permet également une reconnaissance de filiation et l’ouverture de l’adoption pour les couples de même sexe, un vrai soulagement pour Nathalie et Karine : “nous n’avons pas attendu l’ouverture de la PMA en France pour concevoir notre petite fille, sinon, on aurait dû passer notre tour ! », ajoutent-elles.
Leur fille, Nora, est née en 2010 après un parcours de PMA en Belgique. “Pendant trois ans, Karine n’a pas figuré sur son livret de famille, quand bien même on l’élevait à deux, et on la considérait comme notre fille. Nous marier, c’était surtout l’occasion de sécuriser notre famille. Si quelque chose m’était arrivée durant ces trois années, on aurait enlevé Nora à Karine. Franchement, même dix ans après, ça me fait encore trembler de peur”, relate Nathalie.
Pour le couple qui franchit le pas en juillet 2013, pas de grande fête ni de buffet gigantesque, mais une petite cérémonie en présence des plus proches puis un dîner au restaurant. “On a pas vraiment eu le temps de s’organiser, on avait tellement peur que la loi ne passe pas. Avec tous ces homophobes dans la rue, on a tremblé pendant des mois. Alors dès que la loi a été votée, zou, on a direct fait les papiers pour la mairie et prévenu nos familles”.
Du côté d’Amandine et Marion, la cérémonie était également sobre. “On n’a pas eu le temps de prévoir grand-chose, on s’est mariées au plus vite, à la fois par militantisme, comme un pied de nez à tous ceux qui avaient voulu nous interdire ce droit et aussi car on voulait rentrer dans un parcours de PMA le plus tôt possible”.
Des noces d’étain pour une loi en demi-teinte
Quand on demande aux trois couples ce qu’ils pensent de la loi rétrospectivement, Antoine hésite. « À la fois c’était incroyable d’enfin arriver à cette égalité, mais en même temps, je trouve que le gouvernement qui était quand même de gauche n’a pas été assez ferme pour condamner les manifs pour tous, autant dans la rue que dans les médias. Que ce soit moi ou tous mes proches homos, voir défiler ces gens dans la rue avec leurs horribles pancartes nous a fait énormément de mal. On s’est senti humiliés”.
Même son de cloche pour Nathalie et Karine : “la loi en tant que telle n’était pas suffisante quand on y repense, il a fallu attendre 2021 pour l’ouverture de la PMA pour toutes en France, ça aurait dû passer dès le début”.
Les trois couples fêtent désormais leur noce d’étain, et ont chacun prévu de célébrer cette date cet été. “Vu qu’on s’est un peu mariées à la va-vite il y a dix ans, cet été on a prévu une grande fête avec tous nos proches, et nos deux enfants !” partage Amandine.
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