Au téléphone, nous lui avons fait répéter deux fois son âge, craignant d’avoir mal compris. A 66 ans, donc, Petra, postière allemande retraitée habitant un quartier populaire de Francfort, a donné naissance à une fille grâce à une fécondation in vitro (Fiv). Un double don (payant) de sperme et d’ovules, réalisé dans une clinique ukrainienne. Prix total : 9 900 €, vols compris. Un record de maternité ultra-tardive. Quand sa petite Lena aura 10 ans, Petra en aura donc 76. « Et j’espère qu’elle m’acceptera comme je serai, souffle la maman sexagénaire, qui a déjà deux fils, âgés de 25 ans (étudiant) et 11 ans. En attendant, je suis si fière d’avoir réussi à mener cette grossesse à son terme et d’avoir un si joli bébé dans les bras. C’est un miracle. »

Et surtout un exploit médical. Car plus l’âge de la mère est élevé, plus les complications peuvent être gravissimes : hypertension, diabète, éclampsie… sans compter les fausses couches à répétition et la grande prématurité pour le bébé. Mais pourquoi avoir désiré aussi ardemment un enfant à un âge où, en général, ce sont ses petits-enfants qu’on fait sauter sur ses genoux ? A notre grande surprise, Petra nous révèle que pour elle cette naissance hors norme n’est pas une première : « J’ai eu mon fils cadet à 55 ans, grâce à une Fiv, en Angleterre, avec l’ovule d’une donneuse et le sperme de mon mari. Nous avions décidé de recommencer l’aventure et de lui donner un petit frère ou une petite sœur. Entre-temps, j’ai perdu mon mari mais, même veuve, ce désir d’enfant ne m’a jamais quittée. Et mon bébé, c’est la réalisation de la promesse que nous nous étions faite. » Petra balaie toutes les objections – comme celle concernant le risque, pour Léna, d’être orpheline tôt : « C’est ma vie, c’est mon choix. Je n’ai pas de comptes à rendre. Bien sûr que j’ai pesé le pour et le contre mais, au fond, et à tout âge, la vie est une suite de prises de risques, non ? »

PLUS 165 % DE GROSSESSES TARDIVES AU ROYAUME-UNI

Une pionnière ? Une déséquilibrée ? Une mutante ? Avec Petra, on n’est jamais très loin de la science-fiction : « Mes donneurs de sperme et d’ovule ? Je les ai sélectionnés sur catalogue internet, avec mon jeune fils. Il y avait deux cents mères biologiques possibles. Ça nous donnait le vertige. Nous avons choisi une infirmière, que mon fils trouvait jolie et qui a des points communs physiques avec moi. Le donneur serait quant à lui écrivain, selon sa fiche. » Certes, une maternité à cet âge est rarissime* , mais le phénomène des grossesses ultra-tardives touche la plupart des pays occidentaux, grâce à la souplesse des législations en Espagne, en Ukraine, pour le plus grand bonheur de cliniques spécialisées. Mais pour le moment, seules les autorités britanniques ont mesuré la hausse de ces grossesses qui font fi de l’horloge biologique. D’après l’agence gouvernementale américaine Centers for disease control and prevention, le nombre de femmes enceintes à plus de 50 ans a augmenté de 165 % entre 2000 et 2013 au Royaume-Uni. Trois femmes de plus de 50 ans accouchent chaque semaine Outre-Manche.

Les « elder moms » – mères âgées – ont désormais une égérie : en août dernier, Laura Wade-Gery, 50 ans, directrice exécutive de Marks & Spencer, a fait sensation en Grande-Bretagne en annonçant qu’elle partait en congé de maternité pour quatre mois. La stature de cette numéro deux d’un groupe coté en Bourse respectabilise et légitime ces Fiv à 50 ans, souvent considérées comme des caprices de star (, Holly Hunter, mères à 47 ans) ou des coups de folie d’irresponsables. Des caricatures pour celles que nous avons rencontrées, qui soulignent toutes que quand des hommes de 50 ou 60 ans annoncent qu’ils vont être papa (comme l’acteur Jeff Goldblum, à 62 ans), personne ne les accuse d’inconscience et d’égoïsme.

Derrière les inquiétudes pour leur santé, des relents de bon vieux sexisme ? La Fiv serait donc un moyen de corriger une inégalité naturelle entre hommes et femmes ? Et 50 ans, la nouvelle frontière de la maternité tardive ? Pour le professeur René Frydman**, gynécologue obstétricien à l’hôpital Foch, à Suresnes, nous n’en sommes pas loin. Mais pas en France. « En trente ans, la frontière psychologique pour recourir à un Fiv est passée de 35 à 45 ans. Mais au-delà de 43 ans, la Fiv n’est plus remboursée par la Sécurité sociale. Et actuellement, nous constatons pourtant une augmentation des demandes de procréation médicalement assistée (PMA) chez des femmes de plus de 50 ans. » Des désirs rarement satisfaits.

Avec sa couverture frontale, le magazine New York posait déjà la question en 2011.
Crédit : New York. 2011

POURQUOI AVOIR UN BÉBÉ SUR LE TARD ?

« Certes, en théorie, une femme peut faire une Fiv en France jusqu’à 49 ans, si elle vit en couple, mais il n’y a pas assez de donneuses, poursuit le Pr Frydman. Ce sera possible si la loi française permet aux jeunes femmes l’autoconservation de convenance de leurs ovocytes. » Les motivations les plus fréquentes de ses patientes ? « Souvent, une nouvelle histoire, parfois avec un homme plus jeune. Peut-être pour se sentir rajeunir, elles aussi. Toutes les demandes ne sont pas explicites. »

Pour la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval***, « l’autoconservation des ovules pourrait tout de même avoir un effet pervers inattendu, la procrastination procréative. “Cet homme-là, comme papa, pourquoi pas, mais ce n’est pas encore le père idéal dont je rêve. Je peux peut-être trouver mieux : après tout, mes ovules sont au congélateur.” »

« A 53 ans, grâce à mon petit Andrés, 3 ans aujourd’hui, j’ai l’impression d’en avoir 35 », nous raconte Sarah Crowley. Cette Londonienne qui a fait son « coming out » de « jeune mère âgée » dans « The Guardian » en août dernier, rêvait depuis longtemps d’avoir des enfants. Un métier prenant, pas de père potentiel au bon moment : deux raisons d’enfanter tard souvent invoquées par ces jeunes mères quinquagénaires, qui font rimer pré-ménopause et carnet rose. Quand, à 43 ans, elle rencontre Esteban, treize ans de moins qu’elle, tous deux tentent vite de faire un enfant. En vain. « A mon âge, c’était déjà trop tard pour avoir un bébé. Mais j’avais 60 % de chances de réussite avec l’ovule d’une jeune donneuse fécondé avec le sperme d’Esteban. »

Le couple n’a pas hésité longtemps. Direction l’Espagne, où les délais d’attente sont plus courts qu’à Londres. Mais Sarah se découvre une anomalie immunitaire qui complique le projet. « J’ai fait comme dans mon boulot : je me suis accrochée, en dépit des critiques. Je remotivais Esteban qui, au bout de cinq tentatives ratées, avait envie de tout laisser tomber. Parce que nos vies étaient comme entre parenthèses. » Sept longues années plus tard, le médecin espagnol de Sarah a enfin une bonne nouvelle : elle attend des jumeaux. Une fille et un garçon. Les médecins implantent en effet plusieurs embryons pour augmenter les chances d’obtenir au moins un bébé. « Je nageais dans le bonheur, tout en me demandant si mon corps de 50 ans serait en mesure de porter deux bébés. » Et puis la jumelle d’Andrés est morte, in utero, à quatre mois de grossesse, et Sarah a dû la porter jusqu’au bout. « C’était terrible. Tous les jours je me disais : “Et si l’autre meurt aussi, après tous ces traitements épuisants, ces voyages, ces dépenses, toutes ces années ? Petit ange, veille sur ton frère, il faut qu’il naisse.” » Bien décidée à tout faire pour rester en forme, et à avoir l’air jeune le plus longtemps possible, comme toutes les mères âgées que nous avons rencontrées, Sarah fait du sport, consulte une nutritionniste et espère bien devenir centenaire afin de fêter un jour les 50 ans d’Andrés.

UN BÉBÉ APRÈS 50 ANS : UN PROJET QUI CHOQUE

D’autres jeunes mères âgées sont frustrées de ne pas avoir vu leurs aînés grandir. Elles veulent un bébé pour tout recommencer en mieux. Comme Christine, 55 ans, divorcée. « Regarder mes jumeaux dormir la nuit, caresser leurs petits pieds… c’est merveilleux. Mon amour pour mes bébés n’ôte rien à celui que j’ai pour mes aînés, une fille et un garçon âgés de 25 et 27 ans. Mais, jeune maman travaillant dans la restauration sur la Côte d’Azur, j’avais une vie de dingue, et finalement mes enfants ont été élevés par leurs nounous et leur père. Seule, j’ai plus de temps à moi, plus de moyens qu’à 30 ans, et encore de l’amour à donner. »

Le projet a choqué ses grands enfants. « Ma fille m’a traitée d’irresponsable, et menacée : “Si tu fais ta Fiv, je ne te parlerai plus jamais.” Finalement, elle m’a avoué qu’elle-même avait du mal à avoir un enfant et qu’elle avait trouvé ma grossesse à 53 ans totalement injuste. J’étais bouleversée, je me sentais coupable, même en n’ayant rien fait de mal. » Désormais, Christine encourage sa fille à tenter elle aussi une PMA. Et dans la même clinique qu’elle, en Ukraine, compte tenu des délais d’attente en France. Mais comment les médecins accueillent-ils ces parturientes âgées quand elles reviennent enceintes de l’étranger ? Pas toujours avec bienveillance, et même parfois avec une franche hostilité. « J’ai été traitée par le mépris et la culpabilisation. On m’a traitée de folle. C’est plus facile d’avoir un bébé à 50 ans quand on est une femme puissante ou célèbre que lorsqu’on est madame Tout-le-Monde », lâche Brigitte, juriste dans le secteur bancaire.

Les mères âgées doivent aussi affronter la curiosité insistante ou les railleries. « Je ne réponds aux questions que lorsqu’on ne me regarde pas comme une bête de foire, confie Christine. Comme je fais jeune, pour avoir la paix je fais croire que j’ai 45 ans ou que j’ai adopté mes enfants. » Brigitte, de son côté, s’est sentie exclue d’échanges entre jeunes mères moqueuses à son égard. Elle est aussi parfois prise pour la grand-mère de sa fille de 8 ans.

« A l’école, les copains d’Andrés auront des mères beaucoup plus jeunes que la sienne, anticipe Sarah, la Londonienne, mais nous vivons dans une ville ouverte et anticonformiste. Il y a toutes sortes de parents : gays, solos ou remariés. » Comme beaucoup de jeunes mères âgées, Sarah ressent néanmoins un décalage avec ses amis. « Surtout quand ils parlent de leur future retraite (pas moi, je n’ai pas le droit de vieillir) ou des études supérieures de leurs enfants. Pour Andrés, c’est bientôt la maternelle. »

Enceinte et célibataire à 50 ans passé, elles ne font pas forcément fuir les hommes. Anne, 51 ans, en est la preuve. « Pendant longtemps je n’ai eu envie ni de me caser, ni d’avoir des enfants. Mon désir de maternité est venu après mes 35 ans. J’étais enceinte de quatre mois, grâce à une Fiv en Espagne (et un emprunt de 7 000 €), lorsque j’ai rencontré un divorcé, déjà grand-père. Le deuxième soir, prenant mon courage à deux mains, je lui ai annoncé ma grossesse en cours. Et, stupeur, il n’est pas parti en courant. Je n’en reviens pas qu’il envisage avec autant de joie et de sérénité de replonger dans les couches pour un enfant qui n’est pas le sien. »

Crédits : Taken by 56grad Germany / Getty Images

Grossesse tardive : 3 questions à Geneviève Delaisi de Parseval, auteure de  Voyage au pays des infertiles, 9 mois dans la vie d’une psy 

Marie Claire  : La fécondation in vitro (Fiv) à 50 ans, c’est la fin pour les femmes de la hantise de l’horloge biologique  ?

Geneviève Delaisi de Parseval* : Je pense que toutes celles qui ont accouché à 50 ans et plus grâce à la médecine doivent éprouver un sentiment de toute-puissance, de fierté. Mais tout le monde n’aura pas recours au don d’ovocyte parce que, une Fiv à 50 ans étant impossible en France, il faut aller à l’étranger. Et plus on est âgée, plus ça coûte cher. Ensuite, dans les couples, les deux partenaires ne sont pas forcément d’accord. Parce que ce n’est pas rien, un don ovocyte provenant d’une inconnue. Ça signifie que l’enfant à venir n’aura pas le patrimoine génétique de sa mère, même si elle l’a porté pendant neuf mois. C’est pour ça, d’ailleurs, que la possibilité légale de conserver ses propres ovocytes (en échange d’un don dans un centre de procréation médicalement assistée) afin de les utiliser plus tard est promise à un grand succès. 

Un enfant après la ménopause, avec ses propres ovules décongelés, c’est un nouveau combat féministe  ?

Oui, mais c’est un peu réducteur de dire « féministe », parce que c’est d’abord un combat médical. Le don d’ovocyte, qui permet à une femme de 50 ans d’avoir des gamètes de bonne qualité, a fait changer le regard des obstétriciens. Ils ne trouvent en général rien à redire lorsque ces grossesses sont bien suivies, ce qui est souvent le cas à cet âge. L’autoconservation des ovules pourrait tout de même avoir un effet pervers inattendu, la procrastination procréative : « Cet homme-là, comme papa, pourquoi pas, mais ce n’est pas encore le père idéal dont je rêve. Je peux peut-être trouver mieux  : après tout, mes ovules sont au congélateur. » Mais il faudra néanmoins toujours passer par une Fiv pour enfanter tard, et celle-ci ne réussit pas à chaque fois, loin de là. C’est ce que j’explique aux femmes désespérées qui me disent : «  Regardez Halle Berry, elle a eu un enfant à 47 ans… Elles y arrivent toutes, et pas moi.  »

Est-ce que le regard de la société change sur ces grossesses hors normes ? 

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